Pourquoi avoir emprunté le titre de Psychanalyse de contes de fée pour le premier chapitre ? Les contes de fée sont-ils les anecdotes du monde politique que raconte son grand-père, ou s’agit-il du sentiment d’être béni des dieux que ce dernier fait régner sur toute la famille?
Cela va un peu ensemble. Pour moi, une Matière Inflammable est un roman historique sur l’histoire contemporaine. Le livre, ou plutôt les deux premiers tiers du livre, sont écrits par le narrateur des années plus tard. Il essaye de réfléchir sur ce qu’il pense être les mythologies familiales dans lesquelles il a grandi et dont il croit qu’elles ont conditionné sa vision du monde. Un parallèle satirique est dressé dans le premier chapitre avec les légendes qui circulent dans la famille d’Anne Sinclair telles qu’elles lui sont rapportées par l’un des personnages : Ingrid Bergman se penchant sur le berceau de la future star télévisée sur le bateau ramenant toute la famille en France après-guerre, la vocation sacrée du journalisme, etc. C’est-à-dire la façon mi-héroïque, mi-naïve dont un certain nombre de familles juives ont réécrit leur histoire après-guerre pour conjurer l’angoisse de l’extermination. En surface il y a une forme de récit un peu lyrique où tout se termine bien, et qui peut paraître un peu ridicule, un peu kitch, et puis, en-dessous, un exorcisme plus ou moins réussi. L’une des choses qui m’intéresse est la quête paradoxale de normalité que ce genre d’histoires traduit. Survivre était tellement improbable que le simple fait de respirer normalement parait le résultat d’une place d’exception. Un sentiment de confiance en soi infantile sous-tendu par la certitude inverse, intime et inconsciente que n’importe quoi peut arriver à n’importe qui. Quand vous grandissez dans un environnement de ce genre, il y a peu de chance que vous vous sentiez tout-à-fait à votre place où que ce soit. Des écrivains comme Philip Roth ont exploré les contradictions et les impasses provoquées par ce genre d’état d’esprit dans la vie quotidienne. Mais que se passe-t-il quand on sort de la vie quotidienne, justement ? Que se passe-t-il quand le kitch intime, l’excès de confiance et l’excès d’angoisse, rencontrent le pouvoir politique ?
L’autre chose intéressante, pour moi, est le parallèle entre cela et les mythologies nationales française d’après-guerre. C’est le sens de la citation de De Gaulle que j’ai mise en exergue : « Ce qu’il y a en moi d’affectif imagine naturellement la France telle la princesse des contes (…) vouée à une destinée exceptionnelle. » La nécessité, sous l’Occupation, de construire une identité politique contre Pétain et, après-guerre, la nécessité de reconstruire le pays, impliquait aussi la fabrication d’un récit national où « tout est bien qui finit bien ». La France avait résisté, le pays avait toujours été du côté des Etats-Unis et de l’Angleterre, contre les forces de l’Axe, et elle restait une puissance impériale inchangée. Il y avait d’un côté les traîtres, qui n’étaient plus là, et de l’autre la France éternelle, princesse des contes, inentamée par la souillure de la guerre. La spécificité des familles juives était elle aussi gommée. Historiquement, c’est le gaullisme et le communisme qui ont été les grands pourvoyeurs de ce récit où la fiction tient une place ambiguë. Ambiguë parce que en partie vraie, et nécessaire pour reconstruire l’avenir. En même temps, il y avait évidemment beaucoup d’à peu près dans tout ça. En réalité, il suffit de lire Céline ou Saül Bellow pour réaliser que l’opinion en 49 voyait d’un sale œil la présence américaine en France ; l’antisémitisme restait vivace ; et, en fait de puissance, les processus de décolonisation allaient vite montrer à quel point elle était devenue relative.
Ce sont ces deux fictions, familiale et politique, qui ont sous-tendue les décennies de prospérité, les fameuses Trente Glorieuses, avec leur mode de vie qui nous paraissait normal à l’époque, mais nous semble aujourd’hui, avec le recul, le résultat d’une parenthèse bizarre. Cette parenthèse s’est achevée avec la guerre froide au début des années 90, quand débute l’action du roman. Il y un grand malentendu là-dessus. Ce que l’on appelle « la fin de l’Histoire » est en fait la fin des idéologies gaullistes, communistes, c’est-à-dire le retour de l’Histoire dans toute sa complexité. Le retour du réel avec son poids de refoulé.
Le début est assez perturbant au niveau de la narration. Il est principalement au présent, parfois au passé composé, et donne l’impression d’avoir non seulement le point de vue de l’enfant, mais aussi son récit. Certaines exclamations participent à cet effet. Si on comprend au bout de quelques pages que le narrateur est en réalité le personnage devenu adulte, l’impression de lire l’enfant reste de façon diffuse, et cause certains chocs. Est-ce voulu ?
Je ne sais pas si c’est un choc, mais en tous cas c’est voulu, oui. J’avais expérimenté ça dans un de mes anciens livres, Chaos. Le premier chapitre est satirique et la satire est le privilège de la jeunesse, de l’inexpérience et de la confiance en soi. L’écriture porte ça. C’est une satire au carré, si vous voulez, dans la mesure ou elle traduit aussi le poids de naïveté de cette ironie juvénile.
Je pense plus particulièrement à la description charnelle du corps nu de son père[1]. On imagine facilement l’enfant être étonné, dégoûté ou étourdi par le corps de son père, mais pas en ces termes.
Pourquoi pas ? L’adolescent de 12 ou 13 ans est naïf et ironique, certes, mais cette ironie est aussi la voie d’accès à une forme de colère. Avec l’adolescence, le narrateur prend conscience d’une différence entre ce qu’on lui raconte et ce qui est. Il a le sentiment de s’être fait avoir. Et puis dans sa brutalité, le langage de la vérité est physique. Après tout, la mythologie des contes est contredite par la brutalité des corps. C’est aussi cela, le thème de l’affaire DSK : comment la brutalité des corps contredit les légendes dorées.
La dureté de l’avis qui est attribuée à l’enfant est-elle vraiment celle de l’enfant, ou celle de l’adulte qui narre son enfance ?
A treize ans le narrateur prend conscience d’un fond de brutalité, non seulement chez lui, mais dans les rapports qui sous-tendent les membres de sa famille, en particulier les rapports père-fils. Trente ans plus tard, il cherche à traduire cette brutalité dans l’écriture. Il se penche dessus, mais sans être tout à fait certain qu’elle soit réellement passée. C’est d’ailleurs cette ambigüité que lui reproche Paula, dans sa lettre qui sert de commentaire au livre.
Frank ne se pense au-dessus de son père qu’à travers son grand-père. Il reproche presque à son père d’être illettré, en comparaison ; il l’accuse de fuir les « êtres solaires », alors qu’on comprend avant même que cela soit dit que ce sont eux qui le repoussent ; et c’est son grand-père qui le pense promis à un avenir grandiose. Est-ce ce grand-père qui crée le mépris de Frank pour son père ?
Oui, en partie. Mais c’est aussi l’histoire que Frank se raconte.
Lorsque Julia, qui sort avec Franck, lui apprend, amusée, que le grand-père a tenté de la séduire, Frank se demande s’il est humilié pour lui-même ou pour son grand-père. Qu’en pensez-vous ?
À dix-huit ans, quand il est face à Julia qui lui dit ce qu’il s’est passé, je pense que c’est les deux en même temps. Il est terriblement vexé que son grand-père ait pu faire ça, il ne se voit lui-même pas complètement comme un homme, il est humilié par tout, il est à vif. C’est un gamin, à ce moment-là. Il n’a aucun recul : il découvre.
En même temps, il ne respecte pas davantage son père après avoir été lui-même humilié par son grand-père.
Non, peut-être pas. (Silence.)
Après avoir été le pourvoyeur des mythologies intimes, le grand-père une fois mort, apparaît à Frank, qui médite devant son cadavre, comme la clé d’une certaine brutalité machiste familiale. Il a une trentaine d’années, à ce moment-là. À trente ans, c’est encore possible d’avoir des problèmes non réglés avec ses parents. La question est de savoir dans quelle mesure cette nouvelle vision des choses n’est pas elle-même trop facile, dans quelle mesure Frank n’attribue pas sa propre brutalité à l’héritage, ou à l’Histoire collective. Paula le lui reproche, d’ailleurs. Qu’est-ce qui vient de l’individu ou du général, quelle est la place de l’Histoire chez un être ?
Il y a une véritable obsession, non pas seulement pour son père, mais pour la question du père et de l’ascendant en général. N’est-ce pas surtout une obsession pour le passé immédiat ?
Lorsqu’il écrit son manuscrit Frank essaye de retrouver une dimension temporelle. Le livre ne traite pas tant de la question des ascendants que de celle de l’Histoire. L’affaire DSK est prise à partir du début des années 90, pas à partir du Sofitel. A partir de la fin de la Guerre froide, en fait. C’est une césure à laquelle je tiens beaucoup. Une des raisons de mon intérêt pour cette question est qu’il me semble qu’on assiste, avec le déclin relatif de la position des intellectuels, qui était dominante durant la Guerre froide, à une résurgence de la dimension romanesque en littérature. Il me semble que la littérature, une fois que les grands discours idéologiques ne sont plus de mise, les livres tentent de retrouver, par la fiction, une dimension plus mémorielle. Le rapport à l’histoire, au politique, change. C’est cette fameuse question de l’identité qui fait retour, et qui est souvent for mal comprise, d’ailleurs. Ce que l’on appelle la quête identitaire n’a rien à voir avec le refuge dans une identité fixe. C’est une tentative pour comprendre comment chacun de nous est historicisé.
La matière inflammable est-elle la famille de Frank en particulier, ou la famille dans l’absolu ?
C’est beaucoup de choses. J’aime bien les titres gigogne.
Pourquoi ce bandeau pour le livre ? Pourquoi un passeport, flouté ? Le passeport, n’est-ce pas déjà le summum de la non-identité, qui nous réduit presque à notre existence ?
L’idée est venue comme ça. Je trouvais que ça collait bien avec le sujet. Une matière inflammable me paraît être le genre de livre qu’on peut trouver dans un pays en crise d’identité, précisément.
Le passeport est en feu. Est-ce à dire que Frank est aussi de la matière inflammable, que ce n’est pas lui contre tous, mais tous contre tous ?
On peut voir ça comme ça, oui.
On arrive assez vite, non pas à un roman sur DSK comme on peut le croire avant la lecture, non pas à un roman sur le père comme on peut le penser au début, mais à un roman de la complexité, où vous essayez de montrer l’existence de sentiments absolus, opposés et coexistants. Vous écrivez d’ailleurs : « Au XXIe siècle, ce n’est plus que les gens sont quelque chose socialement et autre chose dans le privé, c’est qu’ils sont simultanément des choses multiples dans le privé et dans le public. Et leurs réalités non-compatibles se superposent comme des mille-feuilles ».
Oui. Ca me semble correspondre à ce qu’on vit, non ?
Je suis vraiment parti de l’affaire DSK. L’histoire m’intéressait par son caractère invraisemblable et romanesque, évidemment. En même temps, j’étais convaincu qu’un roman sur l’affaire elle-même ne pouvait pas avoir le moindre intérêt. Je le pense toujours, d’ailleurs. Parce que quiconque écrit « sur » DSK, « sur » Anne Sinclair ou « sur » Nafissatou Dialo se retrouve d’ans l’embarrassante situation de paraphraser les articles de presse. Ou, pire, de se mettre « dans la tête » de personnes réelles, que l’on fait alors parler et penser par clichés, sans rien savoir d’eux. Il fait généralement les deux, ça devient du café du commerce imprimé et on appelle ça de la fiction. Ce type de démarche repose sur la foi naïve, romantique, que la littérature peut tout, que l’écrivain ou le romancier aurait une sorte d’accès mystique, rimbaldien, si l’on veut à « la réalité ». C’est oublier que, sur une affaire de ce genre en particulier, la réalité qui nous parvient est déjà médiatisée. S’il y a un droit de l’écrivain à s’emparer de figures publiques, c’est d’ailleurs bien parce que c’est avant tout ce qu’elles sont : des figures publiques, médiatiques, rien d’autre. Par définition, nous ne savons rien d’elles autrement que comme cela. Il n’y a aucune différence, de ce point de vue, entre l’écrivain et le quidam de base : On ne sait rien. C’est de là que je suis parti. Du fait curieux que, pendant l’affaire, plus on apprenait de choses sur chacun des protagonistes, moins on comprenait ce qu’ils étaient. Chaque jour, les protagonistes devenaient plus ambigus, plus opaques – plus on en savait, moins en savait –, et il me semble que c’est ce qui arrive de plus en plus dans la vie des êtres en général.
J’ai eu alors l’idée d’inventer une intrigue, avec des personnages créés de toutes pièces, donc desquels je saurais tout, des personnages qui tourneraient autour, qui navigueraient dans l’orbite de DSK et Sinclair, des courtisans. Eux, avec leurs vérités, pourraient dire tout ce que l’on peut dire, tout ce que l’on peut croire savoir de ce qui s’est passé, et à travers eux, si j’avais de la chance, je pourrais peut-être arriver à évoquer des questions que l’affaire me semblait soulever – sur les rapports du pouvoir, sur la société française, sur les relations de couple, sur la complexité de la vie aujourd’hui aussi : sur ce qui est privé, et sur ce qui est public, sur ce que c’est que mentir et sur la nature du langage. Ces notions –mensonge, réalité, fiction- sont devenues très complexes. Aucun romancier sérieux ne peut dire, ‘je mélange la réalité et la fiction et ça donne un livre sur le monde contemporain.’ D’abord parce que aucun écrivain sérieux ne mélange fiction et réalité, et d’autre part parce que aucun de ces termes n’est plus clair du tout. Le vrai problème est celui-ci : Au XXème siècle, l’invraisemblable est devenu la catégorie dominante des choses. Or le travail du romancier est de rendre vraisemblable les histoires qu’il invente. Comment, dès lors, peut-il encore avoir la moindre pertinence ? Comment raconte-t-on l’invraisemblable –ce qui, par définition, ne peut pas être raconté sans paraître faux, ou ridiculement absurde? Ces questions que se posaient, en Europe, Primo Lévi, Danilo Kis, Vassili Grossman –en bref les écrivains de la littérature concentrationnaire- et aux USA, Truman Capote, Norman Mailer ou Roth, n’ont pas disparu. Elles sont même plus que jamais actuelles. Ce sont elles qui sous-tendent le négationnisme, par exemple, ou les théories du complot. Phénomènes bien plus profonds qu’on ne le croit et que l’on ne résoudra pas à coup de romantisme.
D’un autre côté, vous affirmez que la littérature se doit d’exagérer. Est-ce à dire que le livre, ou, en deuxième recours, l’œuvre, ne peut pas réellement dire cette superposition ? Peut-elle au moins l’énoncer, ou la faire comprendre ?
Un des thèmes du livre est la déperdition du langage. Un des personnages dit : « le vrai pouvoir d’un homme de pouvoir, c’est de vider les mots de leur sens ». Dans le système médiatique où nous sommes, c’est encore plus vrai. Le travail du romancier face à cela, c’est donner forme à la réalité par les mots, de les charger de sens autant qu’il le peut. C’est une lutte contre la déperdition du sentiment de réalité. En ce sens, et en ce sens seulement, le roman est un art très politique.
En dehors de son aspect élogieux, est-ce que le qualificatif de néo-balzacien vous convient ?
Pour ce livre-là, oui. Je crois que Balzac y est cité plusieurs fois. Paula parle de la « problématique du parvenu si chère au roman français ». Dès qu’on parle d’arrivisme, en particulier de l’arrivisme culturel avec le poids symbolique qu’a encore la culture en, on pense nécessairement au Balzac d’Illusions perdues.
Le personnage de DSK est presque secondaire dans le livre – ce qui compte, c’est sa trajectoire.
Oui. Je répète : je pense que ce n’est pas le travail du romancier, de se livrer à des spéculations sur ce qui avait pu se passer dans la fameuse suite du Sofitel. Certaines choses sont dites dans le livre, parfois sévèrement – et même très sévèrement –, mais il ne s’agit pas de jouer au détective ou au journaliste.
Par rapport aux autres romans sortis sur l’affaire, on peut quand même dire que vous vous intéressez moins, ou en tout cas pas autant, pas de manière aussi essentielle, à l’obscénité de l’affaire et de DSK.
Il me semble que si, mais je le fais d’une manière qui est la mienne.
Ce n’est pas la première fois que vous écrivez sur un événement réel et médiatisé. Quels droits a l’écrivain – et les concernés – face à l’événement ?
J’ai écrit un papier sur ce sujet dans Le Monde, à la sortie du livre de Marcela Iacub. Tout-à-l’heure, j’ai utilisé moi-même le terme, mais en fait, parler de « droit » fausse déjà la question. L’écrivain n’a pas droit à quoi que ce soit. Ca n’existe pas, le droit à l’expression, quand on parle sérieusement d’une démarche artistique. Si je veux écrire ce que je pense de l’affaire DSK ou de quoi que ce soit d’autre, je n’ai pas besoin de faire un livre pour ça, je peux passer un article dans Le Monde ou Le Point ou Libération. Un roman, il s’impose ou non, et on ne le fait pas pour donner son avis ou faire la morale. Il se trouve que, pour raisons disons généalogiques je pouvais connaître des personnes assez proches des acteurs de l’affaire. Il se trouve aussi que c’est un milieu sur lequel j’avais déjà écrit, par exemple dans Une place dans le monde, et qui m’a toujours intéressé. A partir de là… si l’impulsion vient spontanément, si l’événement a une résonance intime en vous, alors vous êtes tout à fait fondé à écrire dessus, vous ne pouvez d’ailleurs pas vous en empêcher. Toute la question est de trouver la bonne manière de le faire. Ce n’est pas une question de droit, mais de comment.
Pouvez-vous préciser ?
C’est une question formelle. Par exemple, dans ce livre-ci, la nécessité qu’à un moment donné, aux deux tiers du livre, se produise une rupture narrative, qu’un personnage, en l’occurrence Paula, vienne contredire dans une lettre tout ce qu’on vient de lire, ça m’est apparue très vite. Pendant que j’écrivais, je prenais des notes en me disant : « oui, voici ce que dit le narrateur, mais voilà pourquoi il le dit et voilà ce que l’on pourrait dire aussi pour le contredire». Le défi du romancier aujourd’hui, me semble-t-il, c’est de vivre dans un monde où plus personne ne peut tout savoir mais où, en même temps, tout doit être dit dans l’espace de son livre.
Est-ce à dire qu’il ne faut pas donner parole aux personnages réels, en tout cas en prétendant leur être fidèles ?
Je ne sais pas ce qu’il faut.
Quand Don DeLillo écrit Libra, par exemple, il met en scène Lee Harvey Oswald et un certain nombre de gens autour de lui qui ont effectivement existé, il invente les dialogues, et on voit l’enfance, l’adolescence, la vie du futur assassin de Kennedy. Pourquoi ça fonctionne ? Pas seulement parce que DeLillo a digéré une documentation extraordinaire, ni parce qu’il est extraordinairement doué mais parce qu’il ne perd jamais de vue la fiction. Le thème du livre est extrêmement centré : il ne s’agit pas de savoir qui a tué Kennedy, mais de dessiner une problématique. La fiction fait sens tout de suite, elle est perceptible, il n’y a aucune ambiguïté.
En 2010, lors de la sortie de votre livre précédent Quand j’étais Normal, vous déclariez au magazine Transfuge : « Si Nicolas Sarkozy n’a pas inventé le conflit d’intérêt, du moins fait-il apparaître au grand jour tout ce qui, avant lui, se traitait dans les ombres. C’est sa grande vertu transgressive. Et il est à craindre que, par réaction, le prochain président, quel qu’il soit, posera, sur la vie publique une chape de plomb moraliste, vertueuse, qui garantira un épouvantable ennui mais ne changera absolument rien aux pratiques, bien au contraire. » Qu’en pensez-vous aujourd’hui ?
Que j’ai eu de la chance de tomber aussi juste.
[1] « La graisse du ventre, les jambes lourdes, les deux petits sacs de chair du scrotum fripé, et ce bout de tuyau charnel et brut, au gland lourd, si disproportionné quand je le compare au mien – son pénis qui pendouille au rythme de son pas bovin et plat frappant le carrelage des toilettes. Oh ! ce corps si exceptionnellement non exceptionnel, si théâtralement non théâtral! ».
La manière dont vous parlez de l’affaire DSK est dinge.
Enfin un livre sur ce sujet hautement romanesque qui ne prétend pas détenir la vérite sur ce que personne ne peut savoir.
A part, bien entendu, les principaux intéressés…
J’ai lu votre « Quand j’étais normal ». Un grand livre. J’ignorais la sortie de celui-ci. Etrange, puisque l’affaire DSK fait autant parler d’elle… La moindre petite miette sur ce sujet fait buzzer..
C’est peut-être justement pour cela que, comme « Quand j’étais normal » de la littérature telle qu’on aime : pudique et révélatrice à la fois.
Tout est politique.
Il ne pourrait en être autrement avac le littérature. Le seul art qui échappe peut-être à la politique est la musique.
D’où mon amour pour cet art. On se repose du tout politique en écoutant des musiques autres que du Wagner et la marseillaise….