On dit aux têtes brûlées, aux grands timides, aux gens en excès : « Tu n’es pas obligé. Ne force pas ta nature. Ne te fais pas meilleur ou pire que tu n’es. Non, tu n’es pas obligé d’en rajouter, pour te faire aimer ou détester. Laisse béton. Demeurer soi. Rester cool. »
Delon, moins qu’un autre, n’est pas obligé de se faire son propre ennemi, son négationniste-maison, son anti-Delon. Le râleur Delon n’est pas obligé de faire, plus qu’il n’en faut, sa mauvaise tête. Car Delon le gaulliste, Delon l’acheteur de l’Appel du 18 juin, Delon l’acteur-fétiche de l’homosexuel Visconti, Delon qui fut Monsieur Klein, et tant d’autres Delon, solaires, magnifiques. Delon porteur de vraies blessures, de grandeur, de rigueur dure et triste. Bel animal fier ; insolence de l’allure ; force des mots.
L’homme a la nostalgie d’un grand cinéma porteur de rêve, animé de grandes passions. Le cinéma, aujourd’hui, dit-il, ne fait plus que de la télé, à peine améliorée? Admettons. Le désenchantement quand on a été un grand acteur, quand on a été Delon? On peut comprendre. « Mon monde est mort et moi avec », a dit celui qui fut Tancrède dans le Guépard, et tant d’autres parfaits personnages dans bien des films de légende.
Delon, peut-être, est mort (pas sûr, quand même), puisqu’il le dit. Mais croit-il voir son monde survivre, ses beaux fantômes un jour revivre, en hurlant avec les loups? Applaudir les mauvaises passions françaises, cette anti-France lepéniste, rance, haineuse, ressentimenteuse, toute cette franchouillardise décadentiste, cette beaufitude à moustache, tout ce dont Delon fut et reste l’exact antonyme, le parfait contraire : pire qu’une faute, quel contre-sens sur soi!
Delon la Colère, soit. Mais à bon escient. La France va mal, les Français ne vont pas bien? Hélas. Mais en rajouter? Mais Marine le Pen le sursaut? Marine le Pen le recours? Quelle rigolade, cher Alain Delon! Où êtes-vous allé chercher pareille fumisterie, pareille sanie? Marine le Pen et les siens, ces prophètes de malheur, qui, en bons revanchards de l’affaire Dreyfus, de Vichy, de l’Algérie Française et de l’OAS, se réjouissent du malaise français, qui le fouaillent, qui s’en gargarisent, s’en repaissent et s’en nourrissent. Qui l’augmentent. Qui affolent les pauvres, les chômeurs, les oubliés, les paumés, qui mettent jour après jour de l’huile sur le feu. C’est leur fond de commerce, leur « divine surprise » à eux, que le pays souffre, qu’il aille mal. C’est comme la défaite de la France en 1940 pour leur ancêtre à tous, Charles Maurras. Aujourd’hui, les coupables de tous nos maux seraient les immigrés et les millions de descendants d’immigrés, plus les Roms, plus l’Europe, plus l’Amérique, la finance internationale, plus la mondialisation.
N’en jetez plus. Demain qui? Les nouveaux « cosmopolites », les homos, les juifs, les intellectuels, les urbains, les bobos, les nantis, ces éternels « ennemis de l’intérieur »? Bonjour le retour des années 30, bonjour la France en guerre civile avec elle-même.
Alors Delon prêtant sa voix, prêtant la main à ça, à ce remugle? On a déjà « perdu » Depardieu, se vautrant aux pieds de Poutine et des éventreurs de la Tchétchénie, se pissant dessus.
Va-t-on perdre Delon, cette image, oui, de la France à l’étranger, cette belle et forte image. Va-t-elle se retourner contre elle-même, contre lui? Delon, âme faible?
Oui au coup de gueule, au sursaut. Non au masochisme, à la rancœur, aux boucs émissaires, au chant des sirènes, à la saloperie. Non au lepénisme, non au cochon, disait un anti-fasciste célèbre, qui sommeille en tout homme et cherche à se faire passer pour un ami du genre humain.
Oui à un nommé Alain Delon. Oui à un certain Delon.
Delon rester Delon.
«Alain Delon a toujours été quelqu’un d’extrême droite. S’il est gaulliste comme il dit, alors c’est version OAS. Tout le monde pioche ce qu’il veut dans De Gaulle.» Charles Berling : «Delon a un discours déplorable». varmatin.com, 12 octobre 2013.
L’OAS fut sans doute avec la Révolution nationale le mouvement le plus antigaulliste que notre pauvre terre ait jamais expulsé. Charles de Gaulle fit l’objet d’une quantité d’attentats de leurs parts respectives qui dépasse l’entendement quand on pense au fait qu’il en réchappa. Monsieur Berling, avec tout le respect que je vous dois, réfléchissez ou fermez-la! La gauche est au plus bas, elle ne se relèverait pas si on l’obligeait, maintenant, à se traîner un Delon. L’Histoire n’a rien à faire dans un shaker. Elle se boit sec. Si vous vous découvrez incapable d’y résister, restez à jeun.
Cher Gilles,
Merci pour cet article !
Amitiés
Alexis Duclos
Face à Delon nous sommes très nombreux à être devenus de fanatiques amnésiques. Ses propos et le positionnement politique de Delon sont connus depuis bien longtemps. Ce n’est pas un scoop. c’est fou ce que la beauté, savamment caressée et capturée par l’œil de verre peut avoir comme effet! En fait cela ne me bouleverse pas plus que ça, j’adore le cinéma… En revanche les valeurs du peuple Français dont je n’imaginais pas la beauté capturée par un autre œil de verre… Ca ça me bouleverse, vraiment!