James Dean et François Truffaut – s’ils s’étaient rencontrés – eurent pu fêter ensemble la même date anniversaire : 8 février 1931 pour Dean, 6 février 1932 pour Truffaut.
Qu’avaient-ils en commun à part les feux du septième art, le mirage Hollywoodien et les bolides décapotables? Une enfance déboussolée. Une immense vacuité affective du côté maternel. Une ambition galopante : le même instinct de Rastignac de province. Corporate grégaire pour François, solitaire sulfureux pour James.
Dean n’ignorait pas que les mauvaises langues telle Hedda Hopper ou Louella Parsons, l’avaient baptisé le «cendrier humain» en référence à ses inclinaisons masochistes et sa bisexualité débridée et opportuniste.
– Mon âme ne fait pas le trottoir, écrivait-il à son amant Bill Blast, et mon cul… Je m’assois dessus.
La messe est dite. Il l’assuma avec humour en faisant peindre en lettres noires «Little Bastard» sur le capot de sa Porsche 550 Spyder. Petite garce. Au moins James annonçait la couleur.
Et il ricanait, à 180 km heure, au volant de son futur cercueil d’acier, de cuir et d’aluminium qui le conduisait – à tombeaux ouverts – vers les abîmes défunts et perpétuels de Salinas.
James se voulait immortel, insatiable et foutrement pressé – Tout voir, tout boire, tout lire, tout vivre ! – joueur de congas, apprenti matador, poète du dimanche, amoureux éconduit par Pier Angeli, il rêvait de la vieille Europe et apprenant des passages du Petit Prince de Saint-Ex par cœur.
Movie star adulée mais esseulée, Dean côtoyait chaque seconde son passé : le fantôme du petit cul-terreux parvenu de l’Indiana qui perdurait sous son blouson en cuir et au bout de la nuit, il refusait d’aller dormir seul, quêtant une présence, une affection, une tendresse.
Sinon… devant la prétention virile et musclée d’un Marlon Brando, il était aussi troublé qu’une midinette. Aussi dépendant affectif qu’un chaton orphelin. Malin, James usait de ses fissures internes pour étoffer ses personnages et réveiller ses mémoires émotionnelles.
Son agent lui prévoyait un prochain film avec Marylin Monroe. Le cocktail devait être explosif!
C’est donc ce visage d’ange torturé que Truffaut découvrit – fasciné – en 1954 lorsqu’il assista à la projection de A L’Est d’Éden d’Élia Kazan. Au moins son jeu d’acteur ne transpirait que la sincérité.
– Il n’y a rien entre le texte et moi, juste mon souffle…
Truffaut qui flinguait le cinéma français et ses idoles ampoulées aux élocutions de diva tragédienne : Ce pauvre Gérard Philippe, lui et les stances du Cid, quel mortel ennui.
Enfin, l’Amérique apportait du sang neuf.
Truffaut rallia au fan club de Dean, l’ensemble de la rédaction des Cahiers du cinéma… Rivette, Godard, Rohmer, Chabrol. Pour la plupart d’entre eux, l’adhésion allait de soi : ce petit mec sauvage avait leur âge, 24 ans!
Même génération, même culte de la moto, du jazz et des filles qu’on déculotte pour un bain de minuit.
La mort brutale et fracassante de James Dean, ce vendredi trente septembre 1955 – à la tombée du jour – traumatisa François et la bande des Cahiers :
– Nous devions soudainement prendre soin les uns des autres… Nous avions échappé à la guerre… Mais à la route qui tue?
Effectivement. Le cabriolet véloce et rutilant étant l’apanage minimum des frimeurs de Saint-Germain – Vadim, Marquand, Distel, Filipacchi – l’explosion industrielle des mécaniques, autoroutes et destinations à la mode, projetterait contre les murs, les arbres et dans les ravins, un cortège impressionnant de corps et de carrosseries démantibulées : – …Adieu Jean-René Huguenin, Roger Nimier, Sunsiaré de Larcône, Camus, Françoise Dorléac, Porfirio Rubirosa, Gauthier & Vincent Malraux (les deux fils d’André), Jackson Pollock, Théo Sarapo, Prince Ali khan…
En août 1975, alors que je tournais avec Truffaut «L’Agent de Poche», Paris Match sortit un numéro spécial fêtant les vingt ans de la mort de James Dean (1955- 1975). Un livret de dix pages, comprenant des interviews, et des photos couleur, noir & blanc… Incroyable !
– Mais QUI est ce mec ?
Découvrir l’existence de James Dean fût un choc. Autant que ma rencontre avec Truffaut.
Je démarrais le métier d’acteur et j’avais besoin de modèle. De mentor artistique.
Mais James…
Son aura trimballait beaucoup de promesses alléchantes. La Californie, Hollywood, Ursula Andress et Pier Angeli. J’interrogeais François à propos de ma nouvelle idole – ignorant la foule d’articles qu’il lui avait consacrés – mais il ne m’en tint pas rigueur.
Plutôt amusé. Comme ma mère :
– Pourquoi un gamin de quinze ans s’intéresse à un type disparu en 1955? Ne me dis pas que tu es un… Inverti ????
Truffaut ignorait le «hier» et la nostalgie : – Ce sont des souvenirs qui s’ennuient…
Seul ce qui arriverait demain, le branchait. Le prochain film. Pas le temps ni la place de s’encombrer. Il avait une œuvre à achever. Quarante films, au moins.
Pas TROIS comme James Dean! Un peu court sur le C.V.
Ok, je devais zapper James, et Truffaut estimant que la légende humaine et urbaine – sauf, dans le cas d’un projet de film et d’un scénario – devait se cantonner aux bibliothèques, parfois aux expositions. Basta.
La seule exception consentie aux souvenirs que l’on réveille résidait à la cinémathèque. Là Truffaut mordait à pleines dents dans la madeleine de Proust : Renoir, Hitchcock, Mankiewicz, Rossellini, Ford, Wilder…
Et les starlettes aussi. Truffaut s’illuminait quand les bombes anatomiques pointaient leurs corps et leurs poitrines majuscules. Les Rita, Ava, Sophia, Ursula…
Et nos belles actrices françaises qu’il ne pouvait s’empêcher d’effeuiller et de caresser en cinémascope les longues gambettes, des cuisses jusqu’aux talons aiguilles, des bas coutures jusqu’à la fixation des jarretelles.
D’ailleurs, question lingerie, François – du premier jusqu’à son ultime film Vivement Dimanche! – ne cessa de zoomer sous les jupes de Marie, de Delphine, de Claude, de Françoise, de Bernadette, de Dani, de Catherine, de Fanny…
Dessous soyeux où se cachait sans nul doute, le mystère de la féminité, le repos du guerrier, le fantasme de la vierge putain.
Ma jeunesse innocente d’alors, m’épargnant (pour si peu d’années) le fétichisme Truffaldien, je continuais sur ma lancée 1955 et passait à l’occasion à son bureau pour lui parler de l’Éden, du Rebelle sans cause, de Géant…
Sans succès. On est moderne où on ne l’est pas.
Éludant vivement le mythe hollywoodien, Truffaut – avant de me congédier – me conseilla juste d’observer mes ainés (Dewaere, Depardieu…) et je retournais dans mon coin Versaillais, grommelant tel un hobbit pubère en circuit fermé, que :
– Quand même, James ceci, James cela… Super gars, Dean, il fuck the system!!!
Truffaut avait sans doute oublié que lui aussi, il avait dans sa prime jeunesse, rêvé et tremblé pour ses héros et ses chevaliers contrariés. Il y a toujours une princesse à délivrer. Moi, James, il a été un peu comme son jumeau en musique, Elvis qui inventa le rock n’roll en 1954… Deux panoramas immenses aussi fascinants que l’Ouest américain, aussi sauvages que des mustangs, aussi limpides que les chutes du Niagara ou la chute de rein de Marilyn Monroe.
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Curieuse cette fascination du cinéma américain chez les plumes des Cahiers.
La mémoire de de Jimmy se perd dans les limbes de l’oubli …mes élèves pensaient que c’était un joueur de foot …