Nous sommes la veille du vernissage de l’exposition des Aventures de la vérité, la grande exposition d’été de la Fondation Maeght.
Tancrède Hertzog (texte) et Yann Revol (photos) font la lumière sur la monumentale œuvre de Huang Yong Ping : La Caverne de Platon.

Montage de la "Caverne de Platon" de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la « Caverne de Platon » de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol

Certains l’ont peinte, d’autres l’ont gravée ou encore dessinée.
Lui, il l’a faite, la Caverne, celle du célèbre mythe de Platon. Elle est là, en trois dimensions, trônant au milieu de la salle de la Mairie de la Fondation Maeght. Lui, c’est l’artiste chinois Huang Yong Ping. Son œuvre est un gros roc en résine peinte, une météorite échouée dans une salle de musée, où elle s’est délicatement posée. Mais là encore, que ce fut compliqué ! Six mètres de long, près de trois de haut, une cloison à construire pour que la structure prenne appui, l’électricité à amener pour éclairer l’intérieur et un mode d’emploi de plusieurs dizaines de pages afin d’assembler correctement les dizaines de morceaux composant cette caverne grandeur nature arrivée en kit. Sans parler, à l’instar de la Pietà de Jan Fabre, du camion grue une fois encore mobilisé jusque tard dans la nuit pour acheminer les pièces détachées.
Le mythe qu’elle illustre et qui se retrouve décliné dans toutes les œuvres de cette première section de l’exposition peut être considéré comme l’histoire à la base de l’histoire de l’art. Et une histoire qui commence mal pour l’art. Dans ce mythe, Platon propose une expérience de pensée : imaginez une caverne, des hommes y sont enchaînés, ils n’en sont jamais sortis. Ils ne connaissent le monde extérieur que par des ombres dansantes projetées depuis l’extérieur sur les parois de leur grotte, c’est-à-dire indirectement, de manière détournée. Ils ne perçoivent des choses que leur pâle reflet, leur forme, et non pas leur essence.
Et qu’est-ce qu’une forme découpée qui imite la réalité mais qui n’est pas elle : de l’art. L’art, pour Platon, n’est qu’un simulacre. Il représente, il copie la réalité, mais il n’a en rien sa qualité. Et Platon n’aime pas les mensonges, donc Platon n’aime pas les artistes, et il les bannit de sa Cité idéale.
Depuis les temps de la Grèce antique, bravant l’interdit platonicien repris par la suite par nombre des religions de ce monde, les artistes ne s’en sont pas moins saisis de cette histoire. Huang Yong Ping s’y est intéressé avec sa Caverne en 2010.
On ne peut entrer dans la carcasse lithique qu’il a créée, mais un trou ménagé dans l’une des parois permet d’en scruter l’intérieur. On découvre alors non pas les hommes enchaînés imaginés par Platon dans son conte didactique mais de petites statues représentant des talibans accroupis et des moines bouddhistes. Comment ces personnages pour le moins incongrus se sont-ils frayé un chemin jusque dans le domaine de la philosophie grecque ? En réalité, avant d’être la Caverne platonicienne, cette œuvre engagée représente tout à la fois l’une de ces cachettes rupestres des montagnes afghanes où les djihadistes se tapissent dans l’ombre d’une niche sacrée, et un monastère excavé où les moines se retiraient pour méditer, tels qu’il en existe des milliers dans les pays bouddhiques. Le lien entre ces deux univers, c’est l’iconoclastie, et c’est donc Platon si l’on peut dire.
La Caverne de Platon est une œuvre engagée, pour l’art et contre ses ennemis, contre les tenants modernes, violents, de la haine de l’image, contre ceux-là qui aujourd’hui encore, au nom de Dieu, détruisent les œuvres élevées à sa gloire, ces talibans, lointain lecteurs de Platon, qui dynamitèrent les immenses et magnifiques Bouddhas sculptés dans la roche des montagnes de Bamyan, en Afghanistan, des œuvres pluriséculaires effacées de l’histoire de l’humanité en quelques instants. La Caverne de Ping concentre en elle l’ancien et le moderne, le rappel de l’interdit et de la suspicion qui plane sur les arts depuis les origines. Dans un étrange face à face silencieux, c’est dans la caverne, à nouveau, que tout se joue : la lettre ou l’image, le combat qu’elles se livrent, l’une qui tente d’asservir l’autre. Au centre de la première pièce de l’exposition, cette caverne résume et lance ces Aventures de la Vérité.

Montage de la "Caverne de Platon" de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la « Caverne de Platon » de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la "Caverne de Platon" de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la « Caverne de Platon » de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la "Caverne de Platon" de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la « Caverne de Platon » de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la "Caverne de Platon" de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la « Caverne de Platon » de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la "Caverne de Platon" de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Montage de la « Caverne de Platon » de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Talibans en attente d'être intégrés à l'instalation la "Caverne de Platon" de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Talibans en attente d’être intégrés à l’instalation la « Caverne de Platon » de Huang Yong Ping. Photo : Yann Revol
Mise en place d'éclairage directionnels pour les oeuvres
Mise en place d’éclairage directionnels pour les oeuvres
Bernard-Henri Lévy rédige les textes introductifs des salles d'exposition
Bernard-Henri Lévy rédige les textes introductifs des salles d’exposition