Place Saint-Michel, Paris, jeudi 6 juin, fin d’après-midi, nous sommes près de 4000 rassemblés pour dénoncer les petites ordures d’extrême droite dont les coups ont entraîné la mort de Clément Méric. Il y a là le ban et l’arrière-ban de l’extrême gauche, également le Front de gauche dans toutes ses composantes, ainsi que le PS. Et aussi l’UEJF, SOS Racisme, d’autres associations encore. Les slogans contre le fascisme sont massivement scandés ; Il y a bien sûr des «no pasaran». C’est la classique mobilisation antifasciste. Il semble qu’à travers la France il y a eu un peu plus de 15 000 personnes dans la rue. Samedi 8 juin ce sont à nouveau quelque milliers de manifestants qui ont exprimé leur solidarité avec le jeune homme tué par les brutes skinheads. C’est bien. C’est bien de réagir contre les groupuscules de nazillons. Ils ont beau être marginaux, ils n’en sont pas moins dangereux. La preuve avec la mort du jeune militant «anti-fa». La preuve avec leurs violences lors des manifestations contre le mariage pour tous. La preuve avec leurs appels xénophobes haineux. La preuve avec la noyade de Brahim Bouarram, le jeune Marocain que les crânes rasés avaient jeté à la Seine en marge du cortège du Front national le 1er mai 1995.
La preuve aussi avec leur soutien au bourreau syrien Bachar al-Assad. Ça on le sait moins, mais ces ultra-nationalistes sont de grands défenseurs du régime baasiste qui a massacré plus de 100 000 personnes en 26 mois. La preuve aussi avec leur solidarité envers Poutine. Car Poutine est un homme à leur goût : autoritaire, nationaliste, raciste, comme eux. Et comme eux ennemi de la démocratie occidentale. La preuve aussi avec leur indéfectible amour pour Chavez.
Pour Chavez le porte-étendard glorieux du socialisme latino-américain ? Eh oui, pour Chavez l’autoritaire, l’ennemi du «complot impérialiste», comme eux. Pour Chavez qui soutenait Bachar al-Assad, comme eux. Pour Chavez qui était comme eux un «antisioniste», lui qui en juin 2010 avait lancé «Maudit sois-tu, État d’Israël !»
Pour Chavez que Jean-Luc Mélenchon appréciait tant ? Oui, en effet. Ça fait un peu désordre, n’est-ce pas ? Mélenchon, qui était au rassemblement anti-fachos place Saint-Michel, et la fachosphère, ciblée par ce rassemblement, sont l’un et l’autre de très grands admirateurs de feu le président vénézuélien. A vrai dire Chavez n’est pas le seul point de convergence entre l’ultra-droite et une bonne partie de la «gauche de la gauche». Dans les rangs de cette dernière on est en effet plus qu’hésitant dès lors qu’est abordée la question syrienne. Et pour cause : les plus abrupts des gauchistes – et des mélenchonistes – voient derrière l’insurrection la main de l’impérialisme et du sionisme, lesquels, selon eux, tenteraient, avec leurs alliés qataris et saoudiens, de renverser Assad parce qu’il incarnerait la résistance à Israël et aux visées US sur la région. Exactement ce que proclament les groupuscules d’extrême droite. Quant à Mélenchon lui-même, qui déclarait sur France-Inter en 2012 : «On laisse les Syriens gagner eux même leur révolution», il s’opposait à la levée de l’embargo sur les armes en faveur de l’insurrection car ce serait «une faute contre la paix» – une paix qu’il doit être le seul à déceler en Syrie et au nom de laquelle il en vient à laisser la maffia assadiste en position de force militaire.
Le régime syrien n’est certes pas dûment estampillé nazi, ses troupes ne portent pas la croix gammée. Est-ce pour cela que cette dictature criminelle bénéficie de la mansuétude de la gauche radicale, ou du moins que ses exactions monstrueuses ne déclenchent pas la même mobilisation ? Petit rappel : nous n’avons jamais été plus de 3000 ou 4000 à battre le pavé contre le bourreau de Damas. Étrange comme le bel élan antifasciste semble peu sensible au sang que fait couler la dictature Assad, dont il n’est pas inutile de rappeler qu’elle a généreusement accueilli et caché le criminel hitlérien Aloïs Brunner.
Ce bel élan antifasciste, on aurait également aimé le voir au lendemain de la tuerie de Toulouse. Assassiner quatre Juifs parce que juifs, dont trois enfants, ce n’était peut-être pas assez signé fasciste, pas assez 100 % d’extrême droite ? Ah bien sûr Mohammed Merah n’était pas un skinhead, il ne portait pas le bomber noir, ne se réclamait pas de l’ultra-nationalisme. Mais il est temps de comprendre que le fascisme se décline différemment selon les lieux et les époques. Tout comme Franco, Salazar et Hitler étaient des variantes du totalitarisme mussolinien, nous sommes désormais confrontés à une nouvelle forme d’idéologie totalitaire et raciste, à un islamo-fascisme qui tue aux quatre coins de la planète, au nom d’al-Qaïda ou du régime iranien. L’extrême droite «classique» s’est rangée derrière la dictature des mollahs et le Hezbollah, dans le camp chiite ; l’extrême droite islamiste opte plus généralement pour les fondamentalistes sunnites. Mais les uns et les autres vouent une haine meurtrière aux Juifs et rêvent de voir Israël rayé de la carte. Les criminels du 11 septembre, ceux de Londres, Boston ou celui de Paris sont appelés des terroristes. Ce qui définit un mode d’action et une qualification pénale. Mais leur définition politique relève bel est bien d’une forme nouvelle de fascisme. Lors de la manifestation appelée à Paris par l’Union des étudiants juifs de France le 19 mars 2012, au soir des quatre assassinats antisémites de Toulouse, il aurait été bon que l’on entende aussi les antifascistes. Auxquels il faut sans doute rappeler que certains des plus agités du «Printemps français», lors de la dernière Manifestation pour tous, portaient le keffieh palestinien.