Paris, le 22 mars 2013

 

 

De Dominique à Roderic

Mme Lorena Cristofori di Baldicastello a lu de près mon blog d’hier, et elle a des reproches à me faire : « Victor Hugo n’est pas entré au Panthéon de Paris pour sa sexualité, mais pour son œuvre poétique et littéraire, sa propagande humaniste et internationaliste, et son courage farouche quand il s’est opposé au coup d’Etat de Napoléon III, et exilé pendant vingt années. Vous laissez penser, sans le dire évidemment, que DSK aurait pu lui aussi être panthéonisé. C’est à la fois honteux, et offensant pour nous, les femmes du monde. C’est comme dire : Silvio Berlusconi sera béatifié. »

Madame, veuillez me pardonner, mais je vous trouve bien ingrate de ne pas même rappeler ce que l’Italie doit à Napoléon III. Que l’Empereur ait été conspirateur, tyran et parjure, ne devrait pas faire oublier à une Italienne que, même s’il a soustrait Rome à l’emprise de Victor-Emmanuel – et c’est donc à lui, avant Mussolini, que nous devons l’existence du Vatican – il a soutenu le principe de nationalités et le comte de Cavour. Dois-je vous rappeler que celui-ci avait dépêchée à Paris sa propre cousine, femme mariée qui plus est, avec mission de séduire le chef de l’Etat français ? Aucun historien sérieux ne tient rigueur au père de l’unité italienne du maquereautage de la comtesse de Castiglione. Passons.

Et suivons M. Leibniz dans son invention des mondes possibles. Il est certain que celle-ci tombe sous l’accusation de « relativisme » dont le pénultième pape était prodigue. Mais Vérité sous Benoît XVI, erreur peut-être sous François Ier. Tout anti-relativistes que soient supposément nos cardinaux, certains ne comptent-ils pas sur quelque aggiornamento au Vatican ? Les « offensives » de style traditionnaliste dissimulaient mal une politique de Fort Chabrol, de Fortress Vaticano, qui a fait des dégâts dans l’opinion publique. Déjà le New York Times de ce matin est aux anges : il voit dans Bergoglio un deal maker willing to compromise. Pour le grand quotidien libéral (au sens américain), il n’est pas d’éloge plus flatteur. Si vous êtes un deal maker willing to compromise, tous les espoirs vous sont permis. De plus, étant cardinal, Bergoglio se serait montré a pragmatist on gay union issue. Ah ! permettez que, pour l’amour du pragmatisme, on vous embrasse, Papounet !

Je disais donc qu’un monde possible où DSK serait pape n’a rien de contradictoire en soi-même. Il est juif, mais le regretté cardinal Lustiger l’était aussi. Il est porté sur la chose, ce qui laisse penser qu’il en a deux, et pendantes à souhait. D’autre part, le second pape Borgia, cher à Philippe Sollers, n’était pas manchot quand il s’agissait de troncher. Or, son portrait n’a pas été voilé au Vatican, que je sache, comme le fut celui de Marino Falier dans la salle du Grand Conseil au Palais des Doges.

Sur dralloc.chez.com vous avez la liste des papes depuis 2000 ans. Le nom des papes douteux et antipapes est en italique. Celui du Borgia est en romain. Je consulte sur Google Livres l’ouvrage d’Armand Saintes, de 1825, qui consacre une notice à chacun des papes. Roderic Borgia y est à sa place d’Alexandre VI, 215e pape.

M. Saintes ne flatte pas son portrait. « Ce pontife, écrit-il, s’est acquis la plus honteuse célébrité. Sa vie offre un si monstrueux mélange de tous les vices, qu’il nous est trop pénible de les retracer. » Moyennant quoi il précise : « Il nous suffira de dire que, pour assouvir son ambition et ses passions haineuse, il fut tour à tour assassin, parjure, empoisonneur, etc. » Le censeur relève cependant que ce pape, si indigne à ses yeux de moraliste de filiation kantienne, sut éviter une guerre ente l’Espagne et le Portugal en traçant la ligne de démarcation des possessions des uns et des autres dans la bulle Inter caetera.

Toujours est-il que le Borgia ne fut pas excommunié. C’est lui qui excommunia. Il excommunia en particulier Savonarole. Vers 13 ans, au plus haut de mon robespierrisme, le moine avait toutes mes faveurs. Mais lui aussi avait mal fini. Comment être Savonarole ou Robespierre sans succomber sous les canailles ? La lecture du Prince, que je fis l’année suivante, m’apporta un début de réponse : s’armer ou périr. Comment aurais-je pu devenir trotskiste ?

Dominique eût-il succédé à Rodéric, qui dira qu’il l’eût emporté dans l’opprobre ? M. Saintes laisse dans son etc la qualité de luxurieux, les trois épithètes qu’il énumère suffisant à sa démonstration. Et la mienne est probante. Il n’y a nulle objection dirimante à  un monde possible comportant l’élévation de DSK au trône de Pierre.

De même, je vous peindrai volontiers un monde consistant où un Strauss-Kahn, économiste, pair de France sous Louis-Philippe comme Hugo l’avait été, Premier ministre en lieu et place de Guizot, se rallie à la seconde République, est nommé, lui et non pas Victor Schoelcher, Président de la Commission d’abolition de l’esclavage. Dès lors, c’est lui et non Schoelcher qui finit dans ce Panthéon que Lacan appelait, quand il tenait son séminaire à la faculté de Droit, « le vide-poches d’à-côté ». Expliquez-moi pourquoi on aurait retenu contre le baron Strauss-Kahn plus que contre le soi-disant vicomte Hugo le goût de la femme.

Dans le monde actuel, si la probabilité de la panthéonisation ou vaticanisation de DSK est en effet très faible, rien ne dit que vous ne retrouverez pas cette belle intelligence installée dans un personnage dit de Vieux Sage. Il aurait pour tenir cet emploi du répertoire plus de fond que le regretté Stéphane Hessel – mais ce n’est pas forcément un avantage pour interpréter le rôle, qui demande une touche de débilité, au sens de Lacan. Le maître de la rue de Lille appelait en effet débile un sujet se tenant entre plusieurs discours. Ce n’est pas une injure, puisqu’il donnait comme exemple de débile le divin Platon. Donc, nous laisserons Badiou, le fameux communiste platonicien, succéder à Hessel, dont le rapproche son penchant pour l’utopie. Strauss-Kahn sera Barre par exemple, en moins rogue et plus redistributif, un Kissinger de la diplomatie économique. Il dira : « Y a moyen de s’arranger » car c’est un vrai deal maker willing to compromise. Il ne manquera jamais d’amis au New York Times.

M. Berlusconi, lui, n’est pas un DMWC, mais c’est un maître de la communication mouderne. Selon Laurent Fabius (Le Point paru hier, p. 20), si Ratzinger ne lui avait pas cassé le coup en détournant l’attention des médias à son profit par son harakiri institutionnel, Berlusconi aurait gagné les élections italiennes. Le beau Silvio ne se serait jamais lancé en politique sans les encouragements du Vatican, qui venait de voir s’effondrer la démocratie-chrétienne (et craxienne), et se cherchait une nouvelle écurie. Je me  souviens d’avoir appris que Berlusconi était le candidat de la Curie au moment même où celui-ci entrait dans l’arène, et ce, par une confidence d’un collègue analyste, un Milanais, le cher MB, introduit dans les sphères. Ma stupéfaction l’amusa. Donc, ne jurons de rien. Berlusconi reste en odeur de sainteté à la Curie romaine. Voyons ce que le pape des pauvres fera du roi des riches.

Cédric

Je savais Cédric Villani allumé depuis que j’avais lu cet été son étonnant, détonnant, passionnant Théorème vivant. J’ai pu voir hier, comme tout un chacun, qu’il avait su déclencher Le Monde, lequel va sortir sous sa direction une série d’ouvrages de pop’mathématiques. J’applaudis. En tout état de cause, celle-ci fera date dans l’histoire de la presse. Je n’imagine pas que mes amis de RBA, « grupo de comunicacion lider, presente en 49 paises », laissent d’autres l’éditer en langue espagnole. Vicente Palomera saura leur passer le mot. Peut-être est-ce déjà fait. Mais je veux consigner ici que c’est avant que ne soit connue l’initiative Villani-Le Monde qu’a été composé par Valérie Gautier, du La Martinière Groupe, le premier essai de la maquette destinée à la couverture des Cahiers pour l’Analyse n°11.

Je n’imagine pas de monde possible où le divin Cédric n’y figure pas. Ce serait pour moi un plaisir que de l’interroger. Sur d’autres de sa discipline il a l’avantage, non seulement d’être « génial », mais d’être lucide : il sait qu’il a un désir, et même plus d’un. Je vous invite, Cédric Villani, à converser avec moi sur le désir du mathématicien. C’est une pop’invitation, une pub pour la psychanalyse comme pour les mathématiques.

Pierrick

Mon excursus sur la langue bretonne m’a valu plusieurs témoignages dont je ferai état, mais un autre jour, car je voudrais garder à ce blog une taille raisonnable. Par une autre voie, j’ai appris ce matin un prénom breton dont j’ignorais l’existence : Pierrick. Donc : Dominique, Roderic, Cédric, Pierrick. Quelque chose insiste.

 

Post scriptum

A peine ai-je fermé que je rouvre. D’abord à cause d’une lettre manuscrite de Françoise VDP, qui m’interprète dans les divagations de mon blog.

Si j’ai dit que Bergoglio et Amalia étaient des amoureux à douze ans alors que la presse leur aurait seulement prêté « une dizaine d’années », c’était, pense-t-elle, parce que ça pensait en moi à notre idylle à nous deux quand nous avions cet âge. Françoise m’avait envoyé, il y a deux ou trois ans, la photocopie des lettres et cartes postales que nous avions alors échangées. Elle ne me reproche pas de ne pas lui avoir encore répondu. Elle se voit « en passe de devenir sainte », tandis qu’elle voit en moi « le pape de la psychanalyse, encore vivant. » Françoise, please ! Ni sainte, ni pape, ni soupape. Vivant, d’accord. Mon Ecce homo ! serait plutôt :  « Je suis un théorème vivant ». Laissez-moi à mon rêve.

Ce que j’admire, ce sont ces gens qui réussissent à dissimuler leur passé, comme Mitterrand ou Jospin – ou d’autres, les plus fortiches, ceux qu’on ne découvrira jamais, comme les grands hommes de Monsieur Teste. Il y a aussi Richard Sorge, qui espionnait l’ambassade d’Allemagne à Tokyo pour le compte de Staline. Les Russes sont des as de la discipline, on l’a vu encore récemment aux Etats-Unis.

Du coup, j’évoquerai le mail que m’envoie AnneLise Heimburger, cette jeune actrice qui écuma les milieux du théâtre pour faire signer la « Lettre aux psychiatres iraniens ». Ayant lu mon blog sur les hommes-chats, elle m’envoie un article sur le fouet dit « chat à neuf queues » (voir ci-dessous). J’apprends en le lisant que la ville de Martin Heidegger, où Husserl est mort, où Karl Rahner est né, était le siège d’un Musée des Tortures ! Qui l’eut dit ? Qui l’eut cru ?

La notice Wikipédia précise : « Attraction touristique pure sans rapport avec Freiburg, le musée de la torture médiévale se trouvait place de la Cathédrale, et fut déplacé. Une chocolaterie est maintenant installée à sa place. » Ach so ! Mais quels touristes espérait-on attirer en installant un tel musée place de la Cathédrale ? Qui a eu cette riche idée ? Et quoi motiva le déplacement ? En attendant de le savoir, cette métaphorisation de la torture (médiévale mind you, not otherwise) par le chocolat me reste sur l’estomac.

AnneLise me signale en passant que France Culture vient de diffuser en cinq épisodes La République de Platon d’Alain Badiou. Debilis debilem fricat. Vous pouvez encore en capter le dernier morceau ce soir. Si mon souvenir est bon, l’auteur ou l’éditeur m’avait envoyé le livre à sa sortie, car dans le monde des Idées, sachez-le, on ne se bat pas en duel avec un renégat, on lui fait cadeau de sa prose – pour le rééduquer sans doute.

Dalila, retour de Buenos Aires, me fait cadeau d’un livre de Silvina Ocampo rédigé en vers libres. Le titre est magnifique, et de l’époque de la psychanalyse : Invenciones del recuerdo.

Chat à neuf queues

 

 

Chat à neuf queues, au musée des tortures à Fribourg-en-Brisgau.

Un chat à neuf queues est un instrument de torture — un fouet — composé d’un manche de bois de 30 à 40 cm de long auquel sont fixées neuf cordes ou lanières de cuir d’une longueur qui varie de 40 à 60 cm dont chaque extrémité mobile se termine par un nœud ou une griffe en métal.

Les pirates notamment s’en servaient pour punir. Le marin qui allait être fouetté devait lui-même faire les nœuds. Un chat à neuf queues ne servait qu’une seule fois car les cordes ensanglantées transmettaient des infections.

Le cat o’nine tails fut utilisé comme sanction disciplinaire dans l’armée britannique. Supprimé en 1838 dans l’armée de terre, il fut néanmoins rétabli quelques années plus tard. Il est aboli définitivement vers 1870.

Il semblerait que le chat à neuf queues ait fréquemment été utilisé dans des camps de concentration pendant la seconde guerre mondiale pour punir les prisonniers ou les torturer, comme le témoigne Rudolf Vrba dans son livre Je me suis évadé d’Auschwitz.