Paris, le 11 mars 2013

J’ai passé un dimanche de bénédictin, voué aux notes du Séminaire VI. Deux oasis dans mon désert. Christine Angot sur ma « théorie de la littérature », laissée au milieu du gué : « Votre texte est enthousiasmant ! Il semble nous dire : allez, quoi ! tout est possible. Il suffit de ne rien faire, merci. »

Café avec Stéphane Zagdanski, venu en moto. A ma demande, il me résume son Chaos brûlant, qui transpose et hallucine l’affaire DSK ; je prends des notes. Mon style serait plutôt Ordre froid (mais non glacé). Ou Réel sans loi ? Le réel sans loi est-il un chaos ? On peut le soutenir. Est-il brûlant ? S’il l’est, l’est-il nécessairement ou occasionnellement ? J’aurais fait un bon scolastique. En définitive, j’aurais pu appeler ce blog Sense and sensibility. Que pense Christine Angot de Jane Austen ? Et qu’aurait pensé Jane Austen de Christine Angot ? Nonsense and unsensibility ?

Nous sommes faits pour nous entendre, Zagdanski et moi. Il a un contentieux avec Christine Angot. Aïe ! Il écrit sur Heidegger et les Juifs. Double aïe ! Le divin Martin n’a jamais dit un mot de Spinoza. Que faut-il comprendre ? Zeitlos Unsinn ?

Lundi matin, 8h : je fais un saut chez CCB, qui me lit la dernière version de son texte. Squeaky-clean ! Comment en vient-il à me mimer Mme Simone répondant à la télévision à des questions sur ses amours ? Liste interminable de ses amants. Sur d’Annunzio, l’intervieweur : « C’était un très bel homme… » Elle : « Ne croyez pas ça ! Il était petit, laid, grêlé, il avait des dents affreuses, mais quand il parlait, c’était un autre homme. Les femmes, c’est comme les lapins : on les attrape par les oreilles. » Christian rit. Il n’a pas oublié cette émission, vieille d’un quart de siècle. Un avocat, c’est tout le monde qu’il attrape par les oreilles. Un analyste aussi. Nous sommes ces deux haruspices qui ne peuvent se regarder sans rire. Mme Simone a été découverte par Sarah Bernard. Celle-là a fait une fin à Belle-Île, où je serai jeudi avec Judith, chez nos amis Matet.

Paris, le 12 mars 2013

J’expédie les notes du Séminaire à Marie-Pierre et à Nadia. J’ai une heure pour penser à mon audition par le Sénat sur le « mariage pour tous ». Je vais leur dire la vérité : la première fois que j’ai entendu parler de mariage pour les homos, il y a une dizaine d’années, je riais. Cela me paraissait incongru. Je pensais à la fable de La Fontaine, « Le paon se plaignant à Junon ». Le paon voudrait avoir la voix du rossignol ; Junon lui répond qu’on ne peut pas tout avoir.

Tout animal n’a pas toutes propriétés.

Nous vous avons donné diverses qualités :

Les uns ont la grandeur et la force en partage ;

Le faucon est léger, l’aigle plein de courage ;

Le corbeau sert pour le présage,

La corneille avertit des malheurs à venir ;

Tous sont contents de leur ramage.

Cesse donc de te plaindre, ou bien, pour te punir,

Je t’ôterai ton plumage.

Je raisonnais ainsi : les amours des homos sont clandestines, certes, ou du moins elles ne sont pas consacrées par la loi ; en revanche, leurs jouissances sont plus nombreuses et plus intenses que celles des hétéros. Qui a la meilleure part ? Pourquoi se ruer dans la servitude ? Etc.

Le sénateur Sueur, président de la commission des lois, me réserve un accueil charmant. Le rapporteur, M. Jean-Pierre Michel, et Mme Catherine Tasca m’honorent de leurs questions. M. Leleux, sénateur des Alpes-Maritimes, l’un des vice-président de l’UMP, réprouve mes propos sur la marchandisation de l’être humain : je l’ai déclarée inhérente à son être. J’essaierai de m’expliquer mieux dans la préface du livre d’Helena Bonnaud, L’inconscient de l’enfant.

De gauche comme de droite, les sénateurs ne me laissent pas ignorer qu’ils voient en moi un « brillant normalien », tandis qu’ils seraient, eux, « des gens du terroir ». La prochaine fois, me dis-je, je commencerai en disant : « Dans mon petit village de Guitrancourt, je parle souvent avec le terrassier, et… » Je donnerai des signes de ruralité, comme aurait dit Barthes. Mon beau-frère, Thibault Lacan, qui est venu assister à l’audition, me dit : « Tu n’as pas songé à devenir maire de Guitrancourt ? » C’est une idée.

Paris, le 13 mars 2013

Il n’est rien que j’aime comme passer deux heures avec Valérie pour la couverture d’un livre. C’est elle qui invente. Je donne le titre, une idée, un motif. Tout à fait Bach et Frédéric II de Prusse. Je reste fasciné à la voir composer la couverture de mon premier cours à paraître en français. A la fin, il ne reste rien des images que je lui avais apportées. C’est du jamais vu, sobre et hypermoderne. Je ferai valider par mes amies de 14 ans, Elsa, Hélène et Lucile, ma petite-fille, qui se posent comme les arbitres du cool.

Je demande à Valérie de monter la couverture du n°11 des Cahiers pour l’Analyse. On refait à l’identique la couverture Seuil, sauf en bas un bandeau noir pour donner son assise à la page, et qui rappelle celui que Faucheux m’avait fait pour Ornicar ? A la place de « Cercle d’épistémologie de l’Ecole normale supérieure », je lui fais mettre : « Cercle d’épistémologie de l’Institut Lacan ». Le titre du numéro me vient en un éclair au moment où Valérie me pose la question.

Elle m’a accueilli par un cadeau : le nouveau livre de Nicolas, son compagnon, qu’il m’a gentiment dédicacé, Dictionnaire politique de science. Le rapprochement se fait brusquement : « Valérie, il faut que Nicolas y soit, dans les Cahiers pour l’Analyse ! »

Nous descendons voir Nadia. Hervé de La Martinière a rassemblé tout son monde dans un grand immeuble moderne en lisière de la Porte d’Orléans. C’est Montrouge, et c’est Paris. Au 6e, le Seuil. Au 4e, Valérie, et Hervé lui-même, si je ne me trompe. Au 3e, Nadia. Elle a été engagée pour être l’éditrice de Lacan et celle de mon Orientation lacanienne. Pour occuper ses loisirs, Hervé lui a demandé de créer un secteur littérature. Je lui dis la chance que nous avons de commencer à zéro dans une maison sans passé.

Elle me montre les couvertures des deux premiers romans qu’elle édite, et qui sont des premiers romans. Toutes les deux m’en parlent avec enthousiasme. Voilà des auteurs qui seront défendus. Comme Nathalie Georges, fille aînée de Georges Lambrichs, Nadia, fille de Geneviève Brisac, est tombée dans la marmite littéraire à la naissance. Elle est vive, directe, rit beaucoup. Son mail : nbutaud@lamartiniere.fr

 

Paris, le 14 mars 2013

Zum Belle-Île !