Mitra Kadivar fait figure de pionnière. Cette psychanalyste iranienne travaille avec ferveur depuis près de vingt ans pour permettre l’introduction de la psychanalyse dans son pays. Depuis Téhéran, elle a organisé de nombreuses conférences consacrées à Freud et Lacan et a créé la première association psychanalytique d’Iran, la Freudian Association. Une association qui a été reconnue d’utilité publique par le ministère de l’intérieur iranien. Mais, il y a six semaines, le combat de Mitra a connu un revers tragique.
Menacé par des quiproquos kafkaïens, le parcours courageux de la psychanalyste méritait pourtant plus d’égards. Son histoire avec la psychanalyse commence quand, déterminée et rigoureuse, Mitra Kadivar, un diplôme de médecine en poche, séjourne à Paris pour parfaire ses connaissances et sa pratique clinique. Elle y effectue notamment son analyse entre 1983 et 1993 et rencontre des praticiens de l’École de la Cause freudienne, dont son fondateur Jacques-Alain Miller. De retour à Téhéran, Mitra Kadivar ouvre un cabinet et essaye de créer une chaire au sein d’universités locales. Les refus essuyés ne la dissuadent pas de former des psychanalystes dans son pays ; ainsi, sans autre local à disposition, elle dispense des cours dans son propre cabinet. Mitra et ses élèves obtiennent en 2008, après trois ans d’attente, l’autorisation de créer une association de psychanalyse. Un nouveau projet mobilisait dernièrement ses forces : l’ouverture d’un centre de traitement pour toxicomanes au sein même de son domicile.
Mais c’est alors que la psychanalyste de 58 ans voit une banale histoire de voisinage tourner au drame. Un médecin légiste estime, après la seule consultation d’un dossier de plainte de bruits entre voisins, qu’elle serait aux prises d’hallucinations auditives.
Déclarée schizophrène, elle est internée à l’hôpital psychiatrique de l’École de médecine de la Téhéran University of Medical Sciences. Attachée, elle est soumise à des injections forcées de neuroleptiques, puis menacée d’électrochoc. Sous la pression de Jacques-Alain Miller et ses soutiens, et visiblement conscient de la bonne santé mentale de sa « patiente », le médecin-directeur Mohammad Ghadiri finit par stopper les injections et accorde à Mitra une heure d’Internet par jour. L’iranienne a pu alors entrer en contact avec ses étudiants, mais également et surtout avec Jacques-Alain Miller, via des mails qui témoignent d’une pleine possession de ses capacités intellectuelles et de sa faculté de jugement.
Mitra, qui se dit persuadée de finir ses jours internée contre sa volonté, a accepté la proposition de Jacques-Alain Miller de relayer son appel à l’aide. Jeudi 7 février une interview du psychanalyste pour Le Point, accompagnée d’une pétition diffusée sur le site de La Règle du Jeu et de Lacan Quotidien, lance la campagne de mobilisation. A ce jour, la cause de Mitra Kadivar a déjà recueilli plus de trois mille signatures tandis que Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères, promet un suivi attentif de la situation.
Mitra Kadivar, en quelques dates
1954 – Naissance
1979 – Diplômée de médecine à Université de Mashhad (ville au Nord-Est de l’Iran)
1983-1993 – Effectue son analyse à Paris
1994 – Ouvre un cabinet à Téhéran
2001 – Commence à dispenser des cours
2005 – Dépose une demande pour la création d’une association de psychanalyse auprès du ministère de l’intérieur iranien
2008 – Le ministère de l’intérieur accorde, à Mitra et ses élèves, la permission de créer la Freudian Association (la première association psychanalytique en Iran)
Le 24/12/2012 – Est internée de force, et contre l’avis de spécialistes, dans l’hôpital psychiatrique de la Téhéran University of Medical Sciences