« Pour Valentin, je vous confie ma Lolo, prenez bien soin d’elle ! À bientôt, Alma. »
Quelques mots rédigés au feutre, écriture rouge ; tels quelques baisers posés sur un visage par une jolie bouche habillée d’un rouge à lèvres discret. Une écriture franche, une belle main d’écrivain ; et dès les premières lignes tomber amoureux de sa Lolo ; une douce envie, un peu folle peut-être, de la prendre dans nos bras, de lui parler, de lui dire « arrête », et si tu essayais d’être heureuse ?
Car Lolo, sujet de ce livre, souffre, c’est sa seule manière de vivre ; Lolo est une jeune femme en quête d’identité, une starlette perdue dans la lumière qui souhaite subir une énième augmentation mammaire. Son chirurgien, inquiet, lui demande alors d’aller chez le psy pour qu’il autorise ou non la périlleuse opération.
Commence à partir de là un roman bouleversant et tragique, l’histoire de Lolo racontée à travers ses séances… Car Alma Brami réussit le tour de force de rentrer totalement dans la peau de Lolo et de faire tenir ce roman uniquement sur le récit de ses séances de psy.
Une Lolo qui vous tire les larmes, qui vous fait rire… Manipulée par son mari, persécutée par sa mère ; et le cabinet du thérapeute, son seul refuge sur terre, ou son tombeau, c’est selon.
Alma Brami dépeint avec brio la complexité du personnage (bien au-delà de l’image éculée de la bimbo siliconée), à tel point que l’on n’arrive jamais vraiment à savoir qui est Lolo… Une petite fille qui a oublié de grandir ? Une sacrifiée de l’amour objétisée et prête à donner sa vie pour ce mari qui lui fait tant de mal ? Une jeune vedette de télé-réalité, avant l’heure, recherchant la célébrité quel qu’en soit le prix ? Une manipulatrice?
Et puis il y a ce corps, personnage essentiel du roman, dont elle est captive ; un corps lourd, omniprésent qui ne lui appartient plus vraiment, qu’il faut trafiquer, opérer, comme si chaque coup de bistouri était un je t’aime ; combat vain à la façon de ses enfants qui pensent pouvoir vider la mer de son eau, armés de leurs petites pelles et de leur seaux.
Instants dramatiques aussi qui vous laissent le souffle suspendu à vous dire « si j’avais été là je lui aurais dit l’intolérable, pourquoi personne ne l’a fait » lorsqu’elle évoque les coups, avec tant de naïveté.
« Maman elle m’a tapée dessus plein de fois, j’en suis pas morte ! Ça m’a remise à ma place, comme on dit, la tête sur les épaules ! Alain, s’il levait la main sur moi, c’est que vraiment je l’aurai bien cherché. Bah quoi ? C’est pas ça être adulte ? S’excuser, reconnaître quand on a fait une bêtise ? Et bah chez moi ce qui est mérité est mérité ! Et si ça doit passer par les coups pour que tout s’arrange, ça passe par les coups ! Après on pleure, on fait un bisou, et tout rentre dans l’ordre. C’est quoi quelques bleus franchement ? C’est pas un drame non plus ! »
Alors oui, du début à la fin, on ne peut s’empêcher de penser à Lolo Ferrari, dont Alma Brami s’est inspirée, et pourtant c’est un roman, un vrai roman, un grand roman et surtout pas un « biopic » ; c’est à la fois un manifeste féministe (par pitié ne réduisons pas les femmes à leur corps), une réflexion globale sur le sens de nos vies, sur la folie (qui est fou ? celui qui traite l’autre de fou ou celui qui est accusé de folie ? qu’est-ce que la folie ? qui décide ?), sur la célébrité, miroir aux alouettes des désespérés de l’amour, sur la psychanalyse qui ne sauve pas toujours (puisque seul le psychanalysé peut se sauver) ou encore sur la mort qui parfois est agréable quand les plaies sont trop profondes, quand le cœur saigne et que le cerveau hurle trop fort.
Ce livre est, à l’image de Lolo, un petit bijou charmant et terrifiant, le genre de roman qui vous poursuit encore longtemps après avoir l’avoir refermé, comme les belles histoires d’amour. Une Lolo restée éternellement enfant que son mari se refuse à aimer, l’infantilisant à l’extrême :
« Non, il dort pas non plus avec moi, il dit que c’est dangereux, un mauvais coup est si vite arrivé en se retournant la nuit, et que ce serait une catastrophe. Et puis il dit qu’il a besoin d’un bon sommeil réparateur pour pouvoir bien s’occuper de moi le lendemain. Il est drôle Alain, il a installé un babyphone, vous savez, le truc pour entendre si le bébé pleure, il l’allume et si y a un problème, il remonte. »
On termine le roman avec une frustration, de ces frustrations lancinantes, obsédantes : pourquoi Lolo n’a-t-elle jamais pu trouver ces bras dans lesquels elle aurait eu besoin de se blottir ? Et de se prendre à rêver que nous pouvons lui offrir ces bras alors que déjà tout est fini… Sauf ce livre, qui restera.
Ruez-vous sur Lolo et retenez bien ce nom : Alma Brami ; vous assistez avec moi aux débuts d’une grande romancière dont on entendra beaucoup parler dans les années qui viennent.
Je vous laisse avec ce court extrait du livre qui nous ramène à cette question que chacun se pose ou s’est posé un jour. Comment savoir qui nous sommes ?
« Vous n’avez pas répondu toute à l’heure, si j’étais folle vous me le diriez ? Hein ? Vous me laisseriez pas croire que tout va bien ? J’ai confiance en vous, j’ai tellement confiance en vous, y a qu’en vous en qui j’ai confiance. Dites-moi qui je dois être et je le serai. »
PS : ma chère Lolo, votre psy ne pouvait répondre à cette question, comme personne d’ailleurs. De mon côté je me permets simplement de vous offrir, où que vous soyez, cette phrase simple, cette phrase magnifique, celle de Jean Cocteau : « Ce qu’on te reproche, cultive-le, c’est toi ». Et sachez que, personnellement, je ne vois aucun inconvénient à la « folie ».
Lolo, Alma Brami, Plon, 3 janvier 2013, 176 pages, 16,50 euros, ISBN : 2-259-21913-6