La tribune que Vincent Maraval a publiée dans le journal Le Monde à quelques jours de la clôture des comptes annuels des sociétés et alors que la profession toute entière profite du « coffret des Césars » pour faire le bilan de la production française de l’année, marquera incontestablement une date.

Une date symbolique dans l’évolution économique du cinéma français : celle de la prise de pouvoir d’un groupe informel regroupant des producteurs, des distributeurs, des vendeurs à l’étranger et des responsables de Festivals sur ceux qui le dirigeaient jusque-là : un groupe tout aussi informel regroupant responsables de filiales cinéma de chaînes de télévision, habitués de certaines Commissions attribuant des financements et toute une partie de l’establishment cinématographique.

Cette prise de pouvoir est habile car, non seulement elle était latente depuis quelques années déjà, mais elle se fait en profitant de la faiblesse actuelle – conjoncturelle ? – de beaucoup d’acteurs essentiels du paysage cinématographique français (PCF) : un PDG de France Télévisions que beaucoup disent sur un siège éjectable, un Président du CNC que beaucoup voudraient – malheureusement – voir partir, une ministre écartelée entre les restrictions budgétaires et les pressions de Bruxelles.

Elle se fait par ailleurs très intelligemment car, comme les avions cherchant à écarter les missiles destinés à les abattre, elle envoie des leurres. Des leurres aux relents poujadistes : « les acteurs français sont trop payés », et parfaitement hypocrites puisque ce sont ceux-là mêmes qui les dénoncent qui les ont ainsi payés (et défendus) depuis des années. Hypocrisie aussi dans la façon de mépriser les « dénonciateurs » de Depardieu tout en citant nommément,lui-même, les « parvenus » du cinéma français.

Vincent Maraval a tendu un piège. Et les uns et les autres tombent dans le panneau, quand bien même ils veulent s’y opposer.

Car la dénonciation des « riches » est dans l’état d’esprit de l’époque et, comme dans la polémique sur l’« exil » de Gérard Depardieu, les faux problèmes occultent les vrais.

En effet, cette prise de pouvoir se fait par rapport à de vrais problèmes : la réelle mauvaise qualité du cinéma français, qui n’est pas récente mais que beaucoup avaient intérêt à cacher depuis de longues années, et que différents évènements ont contribué à masquer : succès impressionnant d’un film comme Intouchables, pluie d’Oscars comme jamais pour un film français, The Artist, augmentation régulière de la fréquentation des salles de cinéma…

Et, comme ce problème-là est réel – et remarqué depuis longtemps par la presse étrangère –, les bouches s’ouvrent.

Chacun y va de son dada qu’il croit apercevoir de manière fantasmatique dans le texte de Maraval : défense inconditionnel d’un cinéma d’auteur pointu pour les uns, dénonciation des subventions publiques ou mauvaise qualité des scénarios pour les autres.
Ce n’est pas une « omerta » qui régnait sur le cinéma français, ses acteurs et ses critiques, mais un silence assourdissant et, sur ce plan-là, tant mieux que la bulle éclate et que les choses se disent.

Car, qu’en est-il vraiment de ces faux problèmes ainsi dénoncés ? Certains acteurs touchent trop d’argent, c’est vrai, et alors ? Certains producteurs aussi et certains distributeurs encore plus.

C’est ainsi depuis les débuts du cinéma – on pourrait même ajouter que beaucoup d’acteurs connus le sont pour de mauvaises raisons – et c’est aussi le cas pour beaucoup de footballeurs – pour prendre une comparaison à la mode – et personne n’y trouve rien à y redire.
Javier Pastore est-il trop payé au PSG et Lionel Messi pas assez au Barça ? Personne ne remet pour autant en cause le système des salaires dans le foot.

La loi de l’offre et de la demande n’a rien à voir avec le fait qu’il y ait trop ou pas assez de subventions. Le cinéma a toujours été fait par des gens qui pariaient sur des succès qui n’arrivaient pas toujours. Tout producteur a toujours souhaité ne produire que des films « qui marchent » !

Par ailleurs, comme d’habitude, on fait dire aux chiffres ce que l’on veut bien qu’ils disent.

Comparer ainsi le budget moyen d’un film français, alors que la notion même de « budget moyen » n’est qu’une moyenne entre les 60 millions d’euros d’Astérix et les 100.000 euros d’un documentaire sorti dans une salle, avec celui d’un film indépendant américain est absurde. Les films indépendants américains ont des budgets tout aussi différents les uns des autres et bien malin, de toute façon, qui pourra dire qui est vraiment « indépendant » dans le cinéma américain.

De même, parler de « rentabilité » en ne s’appuyant que sur les chiffres des entrées salles France est ridicule car partant du principe que les films ne se « rentabiliseraient » que là et pas par leur audience télé ou les montants de leurs ventes à l’étranger.
La plupart des films que cite Vincent Maraval comme des échecs en salle seront sans doute des succès à la télévision où le public n’est plus du tout le même qu’au cinéma.

En revanche, on voit bien ce qui se profile derrière ces mots : le désir de changer profondément le système de financement du cinéma français en ne faisant confiance qu’au public et aux recettes, et en faisant fi de ce qui a préservé notre cinéma alors que la production s’écroulait en Italie, en Espagne ou en Allemagne.

Être dans l’état d’esprit d’aujourd’hui et ne croire qu’à un imaginaire libéralisme absolu comme sauveur de l’économie.

La réalité, c’est que cet équilibre bâtard qui a fait la renommée artistique et économique du cinéma français est en train d’être discrédité, mais pas par les salaires des acteurs : par la mauvaise qualité artistique de beaucoup de films, par l’incompétence de certains réalisateurs auxquels sont attribués des budgets colossaux, par la complaisance de certains critiques et par la connivence de certains décideurs avec des producteurs.

Ce système qui est, en soi, extrêmement défendable et le fruit du travail et de l’influence de responsables professionnels brillants, de ministres décidés comme André Malraux ou Jack Lang, est en passe de rendre l’âme faute d’une volonté politique ferme et déterminée, faute d’ambition, faute d’insolence.

Il est temps de retrouver cette volonté sinon ce seront les démagogues qui s’empareront du cinéma français. Et, avec eux, des capitaux issus de fonds de pension plus intéressés par les choix budgétaires qu’artistiques, ou directement venus des recettes pétrolières comme c’est déjà le cas dans le football.

Le monde du cinéma français avait sans doute besoin d’un vrai débat et c’est tant mieux. Mais il n’a ni besoin de solutions de facilité ni de vivre dans l’ère de la dénonciation.

Un commentaire

  1. Cet article est très intéressant mais je trouve que la première idée selon laquelle un groupe prend le pouvoir sur un autre à la « direction » du secteur et donc le transforme en profondeur n’est pas assez explicitée. Quelles sont les nouvelles relations? quels sont les nouveaux rapports de force? En quoi le cinéma a-t-il changé avec ce groupe et pour aller vers quoi? Ce peut être le sujet d’une prochaine chronique du loup.