Nous sommes dans une petite boutique, dont le seuil est gardé par une clochette en plomb, quelque part entre l’Elysée, Solférino et le grand carrefour de l’Information. De cette boutique, on ne distingue d’abord que l’enseigne, « Protagoras & Fils Langue de Bois, Communiqués, Eléments de Langage en tous genres », un peu, il est vrai, jaunie-fanée par le passage du temps ; de cette boutique, c’est Harlem Désir, Premier Secrétaire du Parti Socialise qui saisit la poignée tintinnabulante, et trottine, pressé de répondre aux sollicitations des médias, en ces instants où François Hollande vient d’achever sa conférence de presse, vers le comptoir imposant où le renseigne un employé, docilement.
« – Bonjour Monsieur, lance Désir, je suis un habitué, je viens souvent chez vous, voilà, je voudrais quelque chose de pas trop cher, mais convenable, pour fêter un grand évènement, célébrer quelque chose, voyez.
– Succès gouvernemental ? demande l’employé.
– Exactement.
– J’ai ce qu’il vous faut, répond, après mordillage de lèvre inférieure, l’employé. Il farfouille dans le rayon « Communiqués et louanges ». Tenez : « Nous avons vu un Président fort, avec un cap clair, qui engage la France dans la voie du redressement… ». C’est un modèle allemand, ça marche très fort en ce moment. Ca vous va ? Bon ça nous fait 4000 signes, il y a un peu plus, je vous le mets quand même ?
– Avec plaisir !
– Je vous l’emballe pas, hein, c’est du prêt à utiliser hein ? Ha mais attendez ! »
Moment de tension, de suspense, dans la vieille boutique où les souches de gros bois grincent, jouent avec rugosité dans les recoins un peu obscurs, prêtes à être débitées pour fournir chaque invité de Jean-Michel Apathie, chaque jour que Dieu fait et que RTL émet depuis la Rue Bayard.
« – C’est-à-dire que… Il a déjà été réservé par un autre client, se reprend l’employé, alerté. Il trifouille dans ses factures. Un certain Monsieur François Bayrou….
– François Bayrou ? Impossible !
– Non non je vous assure : « François Bayrou et le MoDem se félicitent d’avoir vu un Président fort, avec un cap clair… ». Et ha, il y a aussi une version de presse qui est partie, y a pas deux minutes : Philippe Tesson, pour « Le Point », écoutez-donc : « Enfin, nous avons vu un Président fort, avec un cap clair… »
« – François Bayrou ? Philippe Tesson ? Le Point ? »
Harlem Désir prend une chaise. Et demande un verre d’eau. Il a chaud. Très chaud.
« – Et une certaine Laurence Parisot a commandé nos deux derniers exemplaires, en version interview. », précise l’employé. Je vous les lis ! « Je me félicite au nom du patronat d’avoir vu un Président fort, avec un cap clair, qui engage la France dans la voie du redressement… »
Harlem Désir s’éponge. Il se pince. Se gifle. S’auto-balance un verre d’eau dans la tête. Tente une strangulation sur son propre cou.
Cependant, en même temps que l’incrédulité grandissante du premier secrétaire se manifeste par des soubresauts auto-attentoires infiniment plus violents voire dangereux puisque c’est l’état de somnambulisme qui fut supposé, proposé par Harlem Désir en tant que réponse la plus satisfaisante à la configuration astrale franchement absurde et même délirante, carnavalesque, comme si une faille, une crevasse bordée d’abîme s’était faite repli dans l’épaisse damasserie du temps normal, linéaire, euclidien, pendant que s’engendre de nouveau à chaque seconde cet état de somnambulisme hypothétique, donc, que ni les tentatives lancinantes frisant avec la scarification caractérisée ni les plongées actives dans divers liquides revigorants (eau, whisky, acide désinfectant) n’arrivent à repousser, un nouveau client pousse la porte de l’antique échoppe, semblable aux pharmacies de nos beaux et vieux villages, aux dimanches charmants.
C’est Jean-Marc Ayrault, tout droit revenu de l’Elysée.
– Bonjour bonjour monsieur. Je vais vous prendre comme d’habitude, lance le Premier Ministre, accoudé au comptoir froid façon poivrot de picon-bière, quelque chose pour démentir, recadrer, se défiler, reculer, tâtonner, revenir en arrière, corriger, ratiboiser, enfin bref, quelque chose du genre « Toute l’équipe gouvernementale travaille au succès du redressement national, et les propos de (compléter ici avec le nom du Ministre concerné) sont à lire dans le sens voulu par François Hollande et une majorité de Français, celui du succès, dans la justice et le rassemblement, et il est hors de question d’aborder ce débat en des termes qui ne sont pas… » Enfin bref, coupe court Ayrault, comme d’habitude, quoi.
L’employé lui fait alors une figure de grossiste en daurades royales, réjoui et complice.
– Je vous mets quel nom ? Sapin ? Montebourg ? Peillon ?
Pris de court, Jean-Marc Ayrault consulte son calepin.
– Voyons voir… Attendez… C’est-à-dire que depuis le rapport Gallois… Ah…Montebourg ? Non, il est félicité par toute la presse… Quoi ? on le trouve crédible et sérieux ? Bizarre… Bon alors Peillon ? Il n’a rien dit ? Peillon sérieux et silencieux… Etrange…
Ayrault tourne frénétiquement les pages du carnet.
L’employé : « Non mais si vous n’avez besoin de rien…. »
Ayrault : « Attendez ! Attendez ! C’est impossible ! Y a toujours quelqu’un ! Je vais vous trouver ça… Alors… Euh…Moscovici, Mosco a forcément dû dire un truc mou, sans convictions… Non ? Il est impliqué, maintenant ? »
L’employé, désolé : « C’est pas grave, M’sieur Ayrault, vous êtes un bon client, y a des jours avec, y a des jours sans… »
Ayrault, devenu fou, enlevant sa cravate, montant sur le comptoir, « Mais qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce qui se passe ? Des ministres devenus bons ? Un vrai projet politique ? Qu’est ce qui m’arrive ? »
Et Jean-Marc Ayrault, dansant une sarabande bavaroise, s’en va en gloussant de plaisir, laissant son camping-car en double file, sous les yeux inquiets de sa femme, qui, pour ne pas prolonger cette euphorie toute népalaise, décida alors d’attendre encore une semaine pour lui annoncer la mise en examen de Martine Aubry.
Après l’égrènement absurde de ces révolutions intranquilles, l’employé maussade de « Protagoras & Fils Langue de Bois, Communiqués, Eléments de Langage en tous genres », ramasse sa mélancolie, ses regrets et son cafard, se sert un café, et remue l’étendue de ses pensées ; peut-être devra-t-il renouveler son stock, dépenser ses dernières épargnes pour acquérir une collection plus actuelle, et ainsi, se mettre en danger de faillite ; non, il faut bien se rendre à l’évidence : le temps des petits commerces est terminé ; désormais les agences américaines d’éléments de langage en gros lui voleront toute sa clientèle…
Il est alors à ce point de désespoir, quand Jean-François Copé ouvre la porte.
– Bonjour bonjour, lance Copé, j’vous prends tout comme d’habitude.
– Ah ! Monsieur Copé !, lance l’employé, tout à coup ressuscité.
– Oui, toujours mon petit texte bien médiocre, et bien hypocrite, pavlovien et faussement indigné, exactement comme tous les jours, depuis six mois ! Mettez bien le paquet en allusions graveleuses et en coups de massue sur la gauche ! Vous faîtes ça si bien, on est toujours bien servi chez vous, y a pas à dire !
– Ah heureusement que vous êtes là pour faire vivre le petit commerce, Monsieur Copé, s’égaille l’employé soudain ramené à la vie, furetant dans tous les coins, prenant la commande, envoyant son commis dans l’arrière boutique, rangeant sa vitrine, époussetant les présentoirs. Merci, merci ! Et le bonjour à Madame Copé ! Et la bise aux enfants !
Et c’est ainsi que « Protagoras & Fils, Langue de Bois, Communiqués, Eléments de Langage en tous genres » ne fit pas faillite, fusionna, et eut de nombreuses filiales.