Il y a un an jour pour jour, la Libye proclamait la libération totale du pays et le début d’une ère nouvelle de liberté. Qu’en est-il un an plus tard du Printemps libyen ?

Kadhafi était mort quatre jours plus tôt, honteusement lynché par des révolutionnaires en joie, alors qu’il fuyait, vaincu, sa ville natale de Syrte.
Les choses commençaient mal. Les amis de la Libye libre, tous ceux qui, au nom du devoir d’ingérence et de la solidarité avec les opprimés, s’étaient portés aux côtés de l’insurrection libyenne dès le printemps de Benghazi, pouvaient craindre le pire. Le lynchage du Guide était-il le coup d’envoi de la vendetta généralisée ? Lui délivrait-il ses lettres d’infamie ? L’heure des Erynies après quarante ans d’une tyrannie aussi brutale qu’ubuesque avait-elle sonné pour les adversaires du dictateur déchu et ses suppôts ? Le temps de la justice expéditive était venu ?

Que l’on pense aux massacres des Communards par les Versaillais au terme de la Semaine sanglante en 1871, aux fusillades des Bolchéviks au lendemain d’octobre 17, aux massacres de masse des Républicains espagnols par Franco au sortir de la guerre d’Espagne, à l’épuration à la Libération de la France en 1944, aux dizaines de milliers de harkis algériens abandonnés derrière eux par l’armée française et tombés aux mains du FLN vainqueur en 1962 : les fins de guerres civiles font couler des fleuves de sang. Vae victis, malheur aux vaincus !

Nous étions suspendus, dans les jours et les semaines suivantes, aux nouvelles en provenance de Tripoli. Le printemps libyen allait-il tourner à la tragédie et trahir ses idéaux, le CNT, désormais maître du pouvoir à Tripoli, allait-il renier ses engagements d’une justice sous les auspices du Droit ?

Comme j’en ai avancé l’explication sur ce même site de La Règle du Jeu, le lynchage de Kadhafi (les deux minutes précédant sa fin filmées au portable connurent une diffusion mondiale) puis l’exposition publique de sa dépouille ainsi que celle de son fils dans la morgue de Misrata, suscitèrent la réprobation mondiale et eurent pour effet à rebours de bloquer et faire rentrer le diable de la vengeance généralisée dans sa boîte.

Il y eut, ici ou là, quelques règlements de compte sauvages. Les populations noires du Fezzan, où transitaient les mercenaires africains à la solde de Kadhafi, le payèrent, lors de l’installation des nouvelles autorités révolutionnaires, d’une répression qui fit des dizaines de morts. Les kadhafistes irréductibles de Beni Walid, fief du dictateur, furent assaillis sans merci (ils le sont encore aujourd’hui). Descendants d’esclaves africains, les habitants de Tawarga, à quarante kilomètres de Misrata, dont, par centaines, des hommes à la solde de Kadhafi avaient participé à l’assaut barbare contre la ville de leurs anciens maîtres, n’ont pu, accusés d’atrocités et de viols, regagner Tawarga, dont toute la population, craignant les représailles, avait fui en août 2011 devant la contre-offensive victorieuse de la ville rebelle.
Mais, au total, on est loin du bain de sang redouté.
Les centaines de prisonniers kadhafistes détenus à Misrata, que Marc Roussel a pu librement filmer pour notre film Le serment de Tobrouk, de BHL et moi-même, étaient en bonne santé, n’étaient pas, à les interroger sur ce sujet, l’objet de mauvais traitements.
Les milices d’anciens chebabs, réticentes à se dissoudre dans une Libye en proie au chomage et qui s’emploie tant bien que mal à les enroler dans une police et une armée régulière, peu à peu à peu s’y résolvent (cela prendra du temps, mais le mouvement s’accélère). L’irrédentisme de la Cyrénaïque, dont on agitait le spectre dès la victoire acquise, ne s’est pas manifesté. Les islamistes, qui furent un des fers de lance de la guerre de libération, n’ont pas fait de Darnah le fief que l’on redoutait. L’économie repart, la reconstruction est en marche, la production pétrolière a retrouvé son niveau d’avant la guerre, les travailleurs immigrés reviennent et les chantiers de construction, partout abandonnés par les Chinois, les Coréens dès le début des combats, redémarrent.

Certes l’instabilité politique a marqué cette première année libyenne, mais elle n’a pas débouché sur le chaos, encore moins sur la victoire des islamistes aux élections de juillet 2012 au suffrage universel au Congrès Général National, qui vient de nommer Premier ministre Ali Zeidan, ancien président en exil de la section libyenne des Ligues des Droits de l’homme et qui fut six mois durant notre compagnon de guerre, de Paris à Benghazi, de New York à Dakar, de Misrata au Djebel Nefoussa.

Il y eut, bien sûr, l’assassinat de l’ambassadeur américain à Benghazi, le 11 septembre dernier par des terrorises islamistes, au lendemain d’un film abject sur You Tube d’un Copte égyptien de Los Angelès bafouant Mahomet. Mais, dix jours plus tard, des dizaines de milliers d’habitants de Benghazi chassaient les brigades salafistes de la ville, au prix de plusieurs morts, ces mêmes salafistes qui, fin août, avaient détruit les mausolés « impies » de saints musulmans à Zliten, Tripoli et Misrata.

Tout n’est pas réglé, loin de là, en Libye, la paix civile est encore loin d’être assurée par l’Etat, et la jeune démocratie est fragile. Mais si l’on compare la Libye d’après-guerre, sortie d’une dictature de quarante ans au prix d’une lutte qui fit des dizaines de milliers de morts, détruisit villes et installations civiles en nombre, ruina l’économie, avec la Tunisie et l’Egypte aujourd’hui qui chassèrent leur dictateur respectif sans guerre civile, où sont les islamistes au pouvoir ? A Tunis et au Caire. Pas en Libye, qu’on disait promise au pire, faute d’expérience totale de la démocratie, sans vraie société civile, divisée en tribus, sous la coupe des milices.

Il s’avère que la guerre de libération, loin, une fois gagnée, de transformer les combattants rebelles en soldats perdus et de diviser les vainqueurs pour le partage du pouvoir, aura été une école de liberté et de démocratie, aussi basique fut-elle, pour la population libyenne dans sa majorité. Le « plus jamais ça », plus jamais Kadhafi, est devenu le garant de la cohésion nationale, le barrage aux instincts de revanche, et le moteur, cahin-caha, d’un début de fonctionnement démocratique d’institutions, il est vrai, encore en gésine, mais qui n’existaient pas, fût-ce de façade, dans la Libye « d’avant ».
Rien n’est acquis, mais la Libye n’a pas cédé à la tentation de la vengeance, du repli identitaire et religieux.
Rendez-vous donc, de nouveau, dans un an, pour confirmation, espérons-le, du Printemps libyen.

2 Commentaires

  1. 50 000 000 d’ € donnés ..
    Quels sont les journalistes français qui enquêtent sur le sujet et sur tant d’autres ???

  2. Qui peut croire à ce joli conte de fée lybien ? lol
    Et les 50 000 000 d’ € donné par le dictature déchu à N. Sarkozy , qu’ attend-on pour en parler au fils Kadhafi encore vivant mais retenu on ne sait où et par qui ?