J’ai eu le privilège de voir le dernier film nord-coréen « exportable », « Comrade Kim Goes Flying », lors de sa présentation au récent Festival de Pusan, au sud de la Corée du Sud.

L’évènement a eu, comme on l’imagine, un grand retentissement là-bas vu les rapports plus que tendus qui unissent actuellement Coréens du Nord et du Sud (on se rappelle les missiles envoyés il y a quelques mois par l’armée du Nord sur des marins sud-coréens qui avaient causé des dizaines de morts, la fuite récente d’un soldat par la ligne de démarcation, évènement au cours duquel il tua ses supérieurs, sans parler des menaces d’attaques nucléaires quasi-permanentes de la part des Nordistes).

Il n’empêche, les Coréens du Sud sont fair-play et, surtout, curieux de voir ce que deviennent leurs « cousins » nordistes : beaucoup de sujets de films sud-coréens tournent ainsi autour de la difficile intégration de ceux qui ont fui le Nord.

Mais, revenons-en au film lui-même, présenté par ses producteurs comme la « première comédie romantique nord-coréenne » et, jusque-là montrée au seul Festival de Pyongyang en juillet dernier.

Le film est coréalisé et coproduit par trois personnages : le premier est un réalisateur nord-coréen inconnu au bataillon, la deuxième est une réalisatrice de court-métrage belgo-flamande, Anja Daelemans, et le troisième, Nicholas Bonner, un anglais étonnant, au look de « compagnon de route », installé à Pékin et seul intermédiaire, grâce à son agence de voyages, pour quiconque cherche à voyager en Corée du Nord.
L’argent du film provient de subventions belges, d’un apport financier personnel de Nicholas Bonner et d’un apport en nature, considérable, de la Corée du Nord : figurants par dizaines, acteurs à profusion – payés à l’année et donc gratuits –, techniciens idoines. Sans parler des décors, et, sans doute, du laboratoire.

Le sujet : comme le résumait, à la fin de la projection le coréalisateur anglais, il s’agit d’une jeune fille « qui n’accepte pas qu’on lui dise : non ! ». Ce qui est déjà étonnant pour un film issu d’un pays où il faut surtout dire : oui. Ce qui l’est encore plus, c’est que le film s’ouvre par une séquence (métaphorique?) où la même jeune fille, enfant, s’amourache d’une colombe blanche et se promet de, comme elle, un jour, voler. Vers la liberté et la Corée du Sud, par-dessus la ligne de démarcation entre les deux pays ? Non, car la jeune fille cherche en fait à devenir la reine du trapèze et son ambition de liberté se contentera de l’espace clos d’un cirque.

Pour elle, le chemin sera long. D’abord rejetée par un bellâtre, lui-même trapéziste de renom, qui la méprise copieusement, elle décide (forcément) d’aller travailler, en attendant, au sein de la classe ouvrière. Elle devient ainsi travailleuse modèle dans une mine de charbon : on ne pouvait rêver mieux. Grâce à sa force physique (?), ses revendications féministes et à son enthousiasme considérable – plus, la présence de son père comme commissaire politique de la dite mine de charbon, ça aide! –, elle fera très vite la Une des journaux locaux provoquant la jalousie des uns et des autres.

Puis, elle parviendra à forcer les portes de l’école de trapèze et du cirque et à conquérir le bellâtre trapéziste – en étant la meilleure, bien sûr – comme dans le plus classique des scénarios hollywoodiens.

Car le film a, malgré ses origines, des relents – et c’est peut-être là le plus étrange – de succédané du cinéma hollywoodien de grand-papa : celui de l’époque de la Guerre Froide, en gros.

Le tout, dans la plus pure tradition du cinéma maoïste du début des années 70 : ouvriers au nirvana, relations entre les gens d’une naïveté confondante et, bien sûr, absence totale de sexe et même du moindre frôlement. Pour une « comédie romantique », c’est grave !

Par ailleurs, on y rit tout le temps et à tout bout de champ : c’est normal puisque le communisme nord-coréen met sa population dans une véritable extase et que le bonheur est partout ! On me rétorquera que sur le plateau du Grand Journal de Canal Plus, aussi, mais le contexte n’est pas vraiment le même. Là, on est plus proche de l’Union Soviétique de Staline ou de la Chine de Mao et on sait, depuis, ce qui se cachait derrière ces sourires forcés : les souffrances, la famine, la ruine et les déportations. Sans parler des massacres de masse.

Mais le film vaut surtout pour ce qu’il montre de la Corée du Nord, cette citadelle inaccessible.
Les rues sont vides de toute voiture, les routes de campagne aussi, même si on a la surprise de voir s’arrêter un 4×4 Hyundai dernier cri, piloté par un « riche », sans doute un cadre dirigeant du Parti, qui prend aussitôt en stop notre héroïne.
Les gens sont tous habillés pareil, comme au temps de la Révolution Culturelle, et on se dit que le chef costumier n’a pas eu grand chose à faire. Idem pour le décorateur : murs vides de toute déco, tables nickel, façades de bâtiments vierges de la moindre affiche ou du moindre tag (ce n’est pas le genre du pays !).
On remarque aussi qu’entre homme et femme on ne s’appelle pas par son prénom mais on se dit : Camarade ! C’est du plus haut comique quand les scènes se passent dans l’intimité.

Enfin, on constate que le numérique n’a pas encore envahi la Corée du Nord, puisque le film semble tourné sur pellicule, avec une lumière qui laisse, parfois, franchement à désirer. Idem pour les téléphones qui n’existent pas : on se prend à être nostalgique de cette époque (qui est encore celle de la Corée du Nord, visiblement) où les scénarios s’écrivaient sans la facilité du coup de fil au portable !

Last but not least, on se rend compte que les problèmes sont, en Corée du Nord, les mêmes que partout : les jeunes veulent prendre la place des vieux, croissance démographique oblige. Le fond de l’histoire se rapproche ainsi de celui de « Black Swan », le dernier film de  Darren Aronofksy. Tout l’enjeu consiste ici, en effet, à ce que le bellâtre trapéziste, qui avait pour partenaire une femme plus âgée – qui sentait que sa carrière déclinait – la remplace par la jeune et rayonnante jeune fille. Résultat atteint à la fin : la rayonnante jeune fille pique la place de la femme plus âgée, au boulot comme dans le cœur de son partenaire.

Comme quoi, malgré le communisme, le naturel revient au galop. C’est certainement la chose la plus rassurante de ce film kitsch, qui vaut plus pour ce qu’il ne dit pas que pour ce qu’il dit.

Et si c’était cela, la Corée du Nord ?
« Le pays où les rêves deviennent réalité », est-il écrit dans un carton, au début du film. Les réalisateurs ne manquent pas de culot !

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