J’avoue ne pas être fan de tout ce que fait François Ozon. Pourtant, son dernier film, « Dans la maison », m’a emballé.
Il parvient à faire ce que peu de films français parviennent à faire : être à la fois intelligent, drôle et, je le crois, populaire. Et pas en alignant, comme certains, une ribambelle de vedettes issues de la télévision.
Le film est tiré d’une pièce de théâtre de Juan Mayorga, un auteur espagnol qui a du succès chez lui. Les détracteurs habituels de François Ozon diront que les qualités de « Dans la maison » viennent de là.
C’est sans doute vrai pour la structure de l’histoire, où le principe de « mise en abyme » est porté à son paroxysme. Il s’agit d’un professeur de lettres, qui pousse un de ses jeunes élèves, en qui il croit déceler un immense talent d’écrivain, à écrire. Celui-ci commence par appâter son maître en le faisant pénétrer dans une famille ordinaire et à exciter son goût du voyeurisme. Puis, il se lance dans la description des rapports qu’il a avec son propre maître et, bien sûr, son entourage, en l’occurrence, sa femme. Enfin, évidemment, son récit fait évoluer furieusement vite l’histoire et les rapports que son prof’ a avec ses proches et qu’il avait contenus jusque-là : on ne vous racontera pas la fin !
Mais, c’est loin d’être exact pour tout le reste. C’est-à-dire, ce à quoi je pense qu’Ozon cherche à parvenir depuis le début de sa carrière : mettre ses immenses qualités de directeur d’acteurs, son sens du cadre et de l’espace — après tout, le point de vue du film est l’observation d’un espace —, au service d’une histoire forte et diaboliquement vertigineuse.
Le casting est épatant. Un jeune acteur ambigu et doté d’un immense talent (Ernst Umhauer), idéal pour le rôle, un Fabrice Luchini qui semble avoir (enfin) mis son goût du cabotinage dans sa poche, et qui se révèle presque touchant en prof frustré par une carrière d’écrivain raté. Soyons honnête : il porte littéralement le film. Enfin, des seconds rôles importants et justes : Kristin Scott-Thomas, en épouse retorse (toujours impec’), Emmanuelle Seignier, Denis Menochet… bref des acteurs parfaits tout en étant très loin de la version « téléfilm France 3 » que l’on serait en droit d’imaginer, vu le sujet.
« Dans la maison » marque certainement un tournant dans la carrière de François Ozon. Le doit-il à ses nouveaux producteurs qui semblent le pousser vers ce pour quoi il est fait ? Il semblerait, en tout cas, qu’il ait (enfin) trouvé sa voie et que, soudainement, ce après quoi il tournait (sans jeu de mots) depuis un bon moment, fasse sens. C’est-à-dire que son goût étrange pour l’adaptation de pièces de boulevard ringardes des années 60 (« Huit Femmes », « Potiche …) s’explique enfin.
Ce qui est récurrent, dans son œuvre — puisqu’il faut bien parler d’« œuvre » quand on a déjà réalisé 13 ou 14 films —, c’est une attirance incontestable pour des récits où l’explosion de la famille est en jeu. C’était déjà le cas avec son premier long-métrage, « Sitcom », ça l’est toujours aujourd’hui.
Tous les moyens sont bons pour ce dynamitage qui semble lui tenir tant à cœur : une utilisation sans retenue du kitsch, une attirance constante pour l’ambigüité sexuelle, un sens inné de l’usage de stars ( « à la française », comme dirait Edouard Baer) qu’il prend avec gourmandise pour ce qu’elles sont et ce qu’elles cachent : déboulonner des statues, cela marche toujours !
Bien sûr, Ozon n’est ni George Cukor, ni Pasolini, mais il construit son cinéma avec intelligence et élégance et il n’est pas sûr qu’il ne devienne pas rapidement le « vrai » cinéaste que le cinéma français attend depuis des lustres (Jacques Audiard mis à part).
A la fois auteur et populaire, très français mais très compréhensible — et apprécié — à travers le monde. Un cinéaste très au-dessus, en tout cas, de la plupart des fausses valeurs qui hantent nos écrans et que l’on encense à longueur d’années.
A star is born ?
Dans la maison, de François Ozon
Date de sortie : 10 octobre 2012 (1h45)
Avec : Fabrice Luchini, Ernst Umhauer, Kristin Scott Thomas
Genre : Thriller