En 2007 était présenté en sélection officielle du Festival de Cannes Persepolis, long métrage d’animation de Vincent Paronnaud et Marjane Satrapi, adapté de la bande-dessinée de cette dernière. L’œuvre autobiographique, récompensée par le prix du jury, retrace l’enfance et l’adolescence de la petite Marjane, rêveuse et rebelle, entre l’Iran d’après la révolution et une Autriche où elle apprend à vivre, ou survivre, sans véritables amis ni famille. Malgré le succès international et les nombreux prix attribués à ses bandes-dessinées et films, la jeune femme subit encore et toujours de régulières tentatives de censure. Siégeant au comité éditorial de la Règle du jeu, la réalisatrice, dessinatrice et auteur lutte au sein de la revue contre la censure, en soutenant par exemple son compatriote iranien Jafar Panahi, cinéaste condamné à vingt ans d’interdiction de réaliser des films.
Ainsi, cinq ans après sa sortie sur les écrans, Persepolis a été déprogrammé d’un festival à Tanger dans le plus grand secret, bien qu’il ait obtenu l’aval de la censure marocaine en juin dernier.
La Cinémathèque de Tanger, célébrant les 25 ans de la Fondation Groupama Gan pour le cinéma, avait initialement prévu trois projections du film, les 7, 11 et 15 juillet. Les organisateurs avaient même envisagé d’inviter Marjane Satrapi. Le film franco-iranien n’a finalement jamais été diffusé.
Cet épisode n’est pas sans rappeler les menaces de mort proférées à l’encontre du directeur de la chaîne de télévision tunisienne Nessma, Nabil Karoui, condamné à une amende de 2400 dinars pour avoir diffusé le film de la réalisatrice iranienne.
À Tanger, un deuxième film a connu le même sort : Shaqiya, du cinéaste israélien Ami Livne, retraçant l’histoire de trois Bédoins vivant dans le sud d’Israël, à qui les autorités imposent un ordre d’expropriation. Ce long-métrage avait également été autorisé par le CCM, avant d’être déprogrammé face à l’agitation suscitée par des militants de BDS Maroc (branche locale d’une organisation appelant à exercer des pressions politiques, économiques et culturelles sur l’État d’Israël).
Aucune explication n’a été donnée, Gilles Duval, délégué général de la Fondation Groupama Gan, préférant parler de « principe de précaution » plutôt que d’autocensure.
Le Centre cinématographique marocain (CCM), qui délivre les visas d’exploitation des films, avait pourtant autorisé la projection de Persepolis durant le festival. Le directeur du CCM, Noureddine Saïl, dément ainsi toute tentative de censure.
Toutefois, le silence qui règne autour de la déprogrammation du film nécessite d’être levé au plus vite. Marjane Satrapi affiche sa désillusion, en déclarant au site d’information Rue89 : « J’ai l’habitude d’être censurée, attaquée, déprogrammée… »
Réfugiés derrière un accord factice du CCM, les tenants de la censure parviennent aujourd’hui encore à miner la liberté culturelle du pays. Les œuvres de Marjane Satrapi, dépeignant une réalité qui oscille entre innocence et brutalité, prennent tout leur sens dans un contexte de possible désillusion et doivent être montrées à la jeunesse issue des Révolutions arabes.
Puisqu’on a censuré le film en Tunisie,il aurait été improbable de ne
Pas le faire au Maroc. C’est le grand Maghreb de la censure qui est entrain
De se construire.