Nous sommes si loin des rastafari de la Jamaïque que nous les prenons à la légère. Nous rions de ces hommes gorgés de marijuana, coiffés de grands bonnets et affublés de tuniques tricolores vert jaune rouge. Du moins au début, car la réussite de ce film-documentaire est de les amener progressivement vers nous par le truchement d’une musique, celle du divin Bob Marley.
Ces rastas semblent des fous mystiques, qui nous entretiennent de leur croyance en Jah, du Roi des rois Hailé Salassié, réincarnation du Christ, revenu deux mille ans après avoir été crucifié sur le Golgotha. Si nous rions de ces prêcheurs, c’est que cette simplicité et cette authenticité nous terrifient. Ces hommes et ces femmes qui se dévoilent dans le film, nous préférons les assimiler aux fumeurs de pétards de chez nous, faire passer leurs délires pour comiques, au lieu de nous pencher un instant sur eux et tenter de comprendre cette soif d’absolu qu’ils couvent.
Les rastas clament haut et fort, au fur et à mesure des entretiens, l’existence d’un monde où Dieu est partout présent, qu’on chante chaque jour. Un Dieu de bonheur et de fraternité. Si nous prend l’envie d’en rire, c’est le signe d’une crainte étouffée. Crainte d’un monde où la religion n’est pas seulement affaire de culture. Car ces rastas entretiennent une relation directe avec Jah. A cette immanence, nous avons préféré jadis un rapport transcendantal ; nous avons besoin d’un intermédiaire, d’une Église, pour ne pas avoir à nous soucier de ces questions fondamentales. Elles nous inquiéteraient trop. Car la subtilité de cette culture rastafari est qu’elle mêle intimement le sacré au profane. Dans ce mariage, que nous avons tant de mal à concevoir, de sérieux et d’allégresse, se trouve l’essence du reggae. Et le documentaire a su rendre ce ton.
C’est là qu’intervient la musique de Bob Marley et de ses Wailers, que le film assimile à un sésame qui ouvrirait au monde entier les portes de cette étrange Jamaïque. Le Pape du reggae entendait jouir d’une renommée planétaire. Le film se compose d’images d’archives et d’entretiens avec sa femme, Rita, les membres des Wailers, la Miss Monde qui fut l’une de ses compagnes, son producteur, et bien d’autres. Nous le voyons sur scène et dans les coulisses, tel qu’il a voulu s’exposer, nous voyons son visage tel qu’il regardait le monde. Nous le suivons pas à pas depuis son enfance, ses premiers enregistrements, sa rencontre avec son producteur, la tentative d’assassinat et son retour héroïque sur scène face à des dizaines de milliers de fans. Le film insiste sur le métissage dont Bob Marley aura été l’emblème – son père était un capitaine anglais.
Le visage de Bob Marley, parmi tous ceux que l’on croise dans le film, est le seul qui tende à l’universel. Alors que chacun, ici, tente de le raccrocher à sa propre histoire, à l’annexer à soi, à son camp, le Pape du reggae, échappant aux siens, demeure, tel qu’en lui-même l’éternité le change, une icône de liberté et de fraternité pour le monde entier.
aaah ça fait du bien de lire un article qui ne finisse pas en caricature excessive, sous forme de vomi acide dans la critique, de caresse linguale moite dans l’éloge, ou de lyrisme ridicule dans le ton