Normal ? François Hollande veut l’être. Depuis son élection, on le voit, badin et souriant, rentrer chez lui, quasiment la baguette sous le bras : oh tiens, des caméras, quelle surprise ? François Hollande est en train de résoudre le paradoxe de Tocqueville : les Français veulent être gouvernés par un Super-Privilégié, et en même temps, être tous semblables.

En effet, depuis que l’on nous a déclarés « libres et égaux », il existe deux modalités, en démocratie, de concevoir le pouvoir.
Premièrement, cette assemblée de frères, le Peuple, gouverne par lui-même et pour lui-même, d’où : révolution, fin de l’autorité (puisque personne n’a de légitimité spéciale), cacophonie, parlement, Mélenchon, relativisme, égalité absolue, tout se vaut, Finkelkraut qui s’étouffe. Nos amis américains en sont là. Nos amis allemands aussi, dans une moindre mesure. Si vous avez l’impression qu’Angela Merkel a des vêtements de luxe ou des privilèges royaux dans ses soins capillaires, vous êtes de mauvaise foi. Nous, peuple de France, qui sommes bien plus malins, avons choisi une autre solution. La masse désigne par le vote un Super Roi, sous lequel, pour parler comme Alexis, « tous vivent égaux, dominés, mais heureux de leur confondante similitude ». On conserve à la fois ce sentiment rassurant que chacun vaut l’autre, et, en même temps, cette beauté de la hiérarchie, de l’Ordre, des huissiers à pompons, des palais dorés. Sauf que, au bout d’un moment, ce hiatus énorme entre l’égalité absolue de tous et l’extrême pouvoir d’un seul devient choquant, insupportable. Alors, régulièrement, pour s’amuser, et pour montrer que c’est nous qui commandons, les Français, nous, décapitons notre Roi. Demandez à Nicolas. D’où un système bancal, avec au fondement l’égalité absolue, mais qui refuse d’assumer les conséquences institutionnelles, en conservant, par nostalgie, notre bon vieux Roi adoré.

C’est précisément cette tradition-là que François Hollande met à mal. Tous les jours, il s’emploie à signifier la Normalité, à être la Normalitude, la Semblance, chantre du banal, du quotidien, du même absolu. François Hollande est notre voisin de palier à tous, le beau-frère sympa de Corrèze, ce mec touchant et transparent, le Pierre Richard de la République, où ai-je mis mes clés, Valérie chérie, est-ce qu’il me reste du dentifrice ? Robespierre avait des « vêtements élimés et sales, dont on eut dit qu’ils étaient inchangés depuis la jeunesse à Arras » (Michelet), et ainsi, il pouvait incarner à lui seul cette masse d’égaux, d’anti-privilégiés, les Français. François Hollande, lui, se promène, « déambule », fait ses courses. On a envie de l’inviter à un barbecue. Il est « Monsieur-tout-le-Monde », au sens propre, la Démocratie incarnée : ni trop riche, ni trop pauvre, intelligent, mais juste ce qu’il faut, rondouillard et séduisant, rigolo et austère. Inodore, transparent, sympathique, et symbolique. Tous se reconnaissent en lui, et par lui, ils gouvernent : il est le Scrutin Majoritaire en chair et en bedaine, l’Esprit des Lois, la Volonté Commune. De la Démocratie en Corrèze.

Il est vous, moi, mon oncle, le boucher, Laurent Fabius, n’importe qui. Banal et familier. Non plus le Roi démocratique, mais la Démocratie-Roi. François Hollande, mine de rien, avec son personnage entre Achille Talon et Louis XVI réparant les serrures de Versailles, est en train de refonder la Cinquième République, bien loin de la tradition française. Il nous invite à une autre tradition, celle du parlementarisme, et de l’égalité sans l’autorité. Ce peut être sa chance, ou sa malédiction.