Je m’appelle Benito IV, et je suis un chien, le chien de Marine Le Pen. Vous avez bien lu. Ok, ok, je sais parfaitement, dans ma petite tête canine, ce que vous êtes en train de vous dire. Vous vous dîtes : oh non, pitié, ils n’en sont quand même pas réduits à faire cela ? A faire parler un chien, pour combattre le populisme brun ? Ils ne sont pas tombés si bas ? Je vous rassure : ceci n’est pas un truc, un artifice. C’est réellement ma confession, le manifeste original de l’animal domestique des Le Pen. La preuve ? La voilà: absolument personne, en tous cas personne d’un peu malin, ne songerait à faire un truc aussi ridicule que ça, je veux dire : faire parler un chien. Trop casse-gueule, trop ridicule, ce genre de prosopopée à deux balles. Alors, il faut m’écouter. Je ne fais pas ouah, ouah, mais je suis bien un chien, un chien d’extrême droite. Et non, par pitié, merci les clichés, je ne suis pas un berger allemand. L’humour fascisto-sceptique de CM1, on a compris. NON. Je suis un labrador autrichien, de pure race.
Je sens que vous avez une dernière objection. Vous vous demandez à quoi bon lire les longues pages de ma litanie à quatre pattes et de mes convictions à quatre branches gammées ? La vie est si courte, et il faut voir Syracuse, Corfou et leurs enfants sirocco, la vie est si courte, et Gibraltar cyprès. Alors là, dignement, mais fermement, je vous répondrai que je suis proprement passionnant, et si trois millions de personnes écoutent chaque matin Eric Zemmour sur RTL, alors, il me semble qu’on peut bien tendre l’oreille cinq minutes pour les chroniques d’un chien fasciste car l’un dans l’autre, niveau intérêt, c’est kif-kif.
Je suis donc le compagnon à poils longs des Le Pen, et j’ai décidé de briguer la députation de la cinquième circonscription des Alpes-Maritimes en Juin prochain, sous les couleurs du FN. Oui, sincèrement, il n’y a pas de raison. Dans cette famille, tout le monde fait de la politique : Jean-Marie, sa fille Marie-Caroline, candidate à l’Assemblée en 1997 également, le mari Philippe Ollivier, proche de Bruno Mégret, et puis bien sûr, Marine, son compagnon Louis Alliot et, enfin, à la troisième génération de cette souche prometteuse, Marion Le Pen, qui veut devenir, certains ont de la chance, la députée du Vaucluse, à 23 ans. Alors, franchement : pourquoi pas moi ?
D’autant, que je suis particulièrement expérimenté. C’est en effet moi, et moi seul, qui ait communiqué, par une méthode de télépathie extraordinaire, le programme du FN aux équipes de campagne. Quoi ? Vous ne pensiez pas sérieusement que ce fatras d’idées délirantes étaient, réellement, sorties du cerveau d’un être humain ? Laissez-moi aboyer de rire, non mais franchement.
Par exemple : la sortie de l’euro. Je ne pensais pas qu’un truc aussi absurde passerait, qu’ils le reprendraient à leur compte. J’avais au préalable essayé de leur vendre le retour au sesterce, mais je crois qu’ils ont compris que c’était pour rire. Mais pour le Franc, là, j’ai été scié ; en y réfléchissant, même un bœuf ou Gilbert Collard peuvent saisir l’inanité d’une telle mesure. Avant l’euro, dans un monde où les changes sont flottants depuis les accords de la Jamaïque (1976), avoir une monnaie nationale n’était aucunement un gage de souveraineté. Je ne me souviens pas que dans les années 1980-1990 on s’amusait joyeusement à créer du papier monnaie . La raison en est simple : plus on imprime de billets, moins la monnaie vaut cher, l’inflation grandit, les investisseurs n’ont plus aucune raison de s’installer chez nous, le pouvoir d’achat des entreprises françaises chez nos principaux partenaires commerciaux s’effondre, et à ce stade, Franz Olivier Giesbert meurt d’apoplexie. Tout est une question de confiance. Donc, avant l’euro, on faisait très attention à s’aligner sur le mark, une monnaie forte, en le claironnant partout et en évitant de faire chauffer les rotatives : je ne voudrais pas être mesquin, mais ça ressemble quand même pas mal à aujourd’hui. Donc, Marine Le Pen est victime de ce que j’appellerais l’illusion « rénovation du Forum des Halles » : non, ce n’était PAS mieux avant.
C’est comme cette légende de « la Loi de 1973 » que Marine Le Pen ressort à chaque plateau télé. Sincèrement, je ne voulais pas lui souffler une telle bêtise, mais ma maîtresse a sorti le grand jeu : toilettage, su-sucre, et pour me défouler, quelques mollets de militants mélenchonistes dans les rues de Montretout. Alors, j’ai cédé. Et, pris de court, la langue pendante, le museau luisant, j’ai inventé le Grand Complot de 1973. Selon Marine Le Pen, répétant mes jappements paranoïaques, d’obscurs comploteurs ont obligé, par cette Loi, à acheter soudain aux marchés financiers. Comme on ne la lui fait pas, à elle, Madame Le Pen a remarqué qu’en 1973, c’était Georges Pompidou qui était au pouvoir. Et où avait travaillé Georges Pompidou ? A la banque Lazare, pardi. Et où, à cette époque, encore, travaillait le cousin du neveu du voisin au coiffeur de Georges Pompidou ? Je vous le donne dans le mille : au Crédit Municipal de Clermont-Ferrand. En fait, la France empruntait avant 1973 aux marchés financiers, et face aux désordres monétaires mondiaux, un simple comparatif des taux à longs termes montrent que la solution des marchés était et reste la plus efficace, économe et rapide pour les emprunts les plus gigantesques. Sincèrement, le jour où Marine a cru à mon histoire à dormir debout, c’était au moins aussi rigolo que La Vérité Si Je Mens 3.
Il y a encore cette histoire d’immigration zéro. Peut-être mon plus beau coup. J’étais en forme, ce jour là. Jean-Marie, Pôpa, m’avait fait jouer un bon quart d’heure à aller cherche rson œil en verre, revenir, repartir, c’est un bon chien ça, repartir, fouiner sous le meuble, revenir, encore. Qu’est ce que l’immigration zéro ? Il faut que votre esprit examine l’hypothèse d’un monde où chacun reste à jamais dans son pays. Plus personne ne bouge, éternellement. Une sorte de 1,2, 3 soleil !, mais à l’échelle planétaire, éternellement. D’autant que la justification économique d’un arrêt de l’immigration m’a toujours paru étrange, même à moi, un chien. Le FN dit: ils prennent le travail d’autres. Nicolas Sarkozy le dit, l’UMP le dit aussi. Or, quand il s’agit de critiquer les 35 heures, la droite dit : ah ah ah, mon bon ami, le travail, voyons, ce n’est pas un gâteau qui se découpe, non mais franchement. Est-ce que l’emploi est un stock indivisible entre autochtones, mais sécable soudain entre Français et étrangers ? Ou est-ce que, à supposer qu’une des deux hypothèses soient vraies, on ne se ficherait un peu de nous ?
Histoire d’assurer ma pitance dans la gamelle en acier de Silésie, j’ai poussé le vice à assurer jusqu’au service après-vente de mes théories. Le souvenir de mon grand père, Benito II, abandonné sur la route des vacances au Tyrol, pour cause de complaisance envers une lévrière afghane (mon dieu) me hante : la vie d’un chien est un combat de chaque instant. Alors, pour enfoncer la dernière touche de crédibilité au programme FN, j’ai concocté l’argumentaire suivant. Si les gens votent pour nous, c’est à cause de :
1) l’insécurité sociale (éprouvée par cette classe moyenne trop haute pour bénéficier des minima sociaux et vivant dans des zones où les services sociaux ferment)
2) l’insécurité économique (chômage, emploi précaire)
3) l’insécurité culturelle (on se sent envahi, oppressé par une expansion jugée agressive de communautés ou de religions exogènes).
En somme, un besoin de frontières, de repères, face à une mondialisation violente, anxiogène et libérale-libertaire. Mouvements d’hommes, de capitaux : délocalisations et immigrations, deux facettes du même problème. Oui, je sais, ça a l’air crédible. Moi-même qui ai élaboré ce discours à la mode, entre deux rasades de croquettes, je peux, éventuellement, m’y laisser prendre. La misère sociale et économique participe sans conteste du vote FN, dans le Nord et l’Est, notamment. Et la peur xénophobe aussi, au premier chef, car c’est évidemment l’obsession d’une majorité de l’électorat de notre famille, mais de là à dire que ce sont deux problèmes liés, il y a un pas énorme. Christophe Guilluy, devenu ces temps-ci l’idole de tous les racistes attribuant au « peuple » leurs névroses de maurassiens, explique avec acuité, dans ce best-seller à l’Elysée intitulé « Fractures Françaises », le basculement des classes populaires vers le vote frontiste. Éric Zemmour cite sans cesse Guilluy, car son propre constat rejoint celui du géographe de gauche : les milieux populaires se sont sentis chassés des banlieues, plus proches des métropoles donc plus favorisées, vers des territoires ruraux sinistrés, et ce à cause d’un sentiment de « mise en minorité ». En clair : les employés moyens ont quitté les tours des HLM vers les villages en déconfiture, sous la pression des voisins Comoriens envahissants. Ils s’installent alors là, dans cette France excentrée, cette France des paumés, où les hôpitaux ferment, les médecins se pendent à leur stéthoscope par désespoir, et le chômage pullule. D’où : ressentiment, haine, et ce que l’auteur appelle « la séparation », la fin du vivre-ensemble. N’importe quel être humain en aurait conclu que c’est tout sauf un problème d’immigration, mais bien une question d’urbanisme, de mixité sociale, d’emploi. Heureusement, j’étais là, avec mon hémiplégie cérébrale : l’idée que c’était la faute aux immigrés, cela ne pouvait venir que d’un sous-doué neuronal comme moi. Je m’en suis tapé la truffe d’hilarité contre les murs de ma niche, pendant au moins quinze jours.
Hélas, à présent, je ne puis plus rien espérer de cette vie infime : hier de grands malfrats m’ont enlevé, emmené, puis fait subir les derniers sévices dans une geôle aux ténèbres artichauts, et j’ai dû leur avouer, tout, absolument tout, de mes idées, de mon programme, de mes rêves, et maintenant mon cœur ventricule mes derniers souffles d’espoir. Cette après-midi, pourtant, ils ont feint de me relâcher, quand je finis de leur confier mes vues générales sur l’avortement, dont ils se sont empressés de noter les moindres parcelles, sur un calepin un peu fade ; et me voilà dans ce grand parc qu’ombrellent des saules en deuil, les sycomores amande amères, et les œillets feuilles-mortes. Ils sont au courant, pour mon rôle d’éminence grise de Marine : l’heure est au jugement dernier. Le soleil infuse dans le ciel, comme une rasade de lait volute un thé au jasmin et au loin, les marronniers, Armée Premier Empire, défilent devant le Carrousel des Tuileries ; décidément, je ne leur dirai pas comment convaincre les électeurs du FN sur le terrain de l’Europe. J’en ai déjà trop laissé échapper, avant-hier, quand je leur ai confié le projet de présomption de légitime défense, pour les morts commises par des policiers. Des colverts, là-haut, au-dessus des ardoises du Palais de l’Elysée, parmi la frondaison des nuages : je reviens, en trainant les pattes, vers le tronc lichen que ma laisse embrasse, et m’assoit, avec déconfiture, près des arbustes clairs et de l’énorme Buisson où tourneboulent des abeilles similor.