Sur la page de garde des dernières « Recommandations de bonne pratique » émises par la HAS en juillet 2011, version « phase de lecture et de consultation publique », figure l’énoncé explicite de sa méthode : « Recommandations par consensus formalisé ». La méthode considère 4 niveaux de preuves.
— Le premier, « Preuve scientifique établie » admet les « essais comparatifs randomisés de forte puissance … ou méta-analyse d’essais comparatifs randomisés ».
— Le second, « Présomption scientifique » admet des « essais randomisés de faible puissance, des études comparatives non randomisées bien menées, des études de cohorte ».
— Le troisième, « Faible niveau de preuve », admet des études rétrospectives, des séries de cas, des études comparatives comportant des biais importants ».
— Et enfin, le quatrième, « Accord d’experts », hors gradation, est décisif : « les recommandations sont fondées sur un accord entre experts du groupe de travail, après consultation du groupe de lecture. L’absence de gradation ne signifie pas que les recommandations ne sont pas pertinentes et utiles. Elle doit, en revanche, inciter à engager des études complémentaires ».
Les premières pages de ces « Recommandations » sont agrémentées, après chaque phrase du sigle (AE), correspondant à « Accord d’experts ». Elles sont décisives, comme celle-ci : « Prise en compte de considérations éthiques visant à limiter les risques de sous-stimulation ou au contraire de sur-stimulation de l’enfant/adolescent dans la priorisation des interventions à mettre en œuvre (AE) ». Mais dès la page 5, on trouve ceci «Mise en œuvre, dans les 3 mois qui suivent le diagnostic de TED, d’interventions individualisées, précoces, globales et coordonnées, débutées avant 4 ans, qu’il y ait ou non retard mental associé (grade B), selon une approche comportementale ou développementale de type ABA (grade B), modèle de Denver (grade B) ou TEACCH (grade C) ou selon une prise en charge intégrative (grade C), dont la thérapie d’échange et de développement (AE), en veillant à utiliser un mode de communication et d’interaction commun, afin de ne pas disperser l’enfant/adolescent dans des activités éclectiques». Dès la première recommandation d’importance, on nous dit que l’approche ABA est de grade supérieur à tout autre et qu’en plus, l’ensemble des interventions doit s’effectuer en utilisant le modèle éducatif comportemental « pour ne pas disperser l’enfant/adolescent ». ABA gagne contre la méthode intégrative proposée par la majorité de la psychiatrie française inspirée par la psychanalyse.
L’équipe canadienne du neuroscientifique Laurent Mottron a démontré combien l’approche ABA est sujette à discussions du point de vue des critères mêmes de preuve qu’adopte la méthode du « consensus formalisé ». Il suffit de ne pas se laisser fasciner par les résultats des méta-analyses, de s’intéresser à l’histoire des méthodes comportementales, aux problèmes éthiques qu’elles soulèvent, à l’inclusion ou non des études admettant les punitions, et aux types de punitions admises, pour que l’évidence de grade B recule. Rien de ces débats, pourtant cruciaux, n’est mentionné.
Nous voyons donc la première caractéristique de la « méthode de consensus formalisé ». Il s’agit de faire taire les objections à la soi-disant évidence devant la magie du chiffre. Plus généralement, nous voyons que la HAS est traversée d’opinions très opposées entre le petit groupe des chercheurs peu cliniciens, ou cliniciens de laboratoires, et les représentants de la grande majorité des praticiens psychiatres qui traitent effectivement les enfants/adolescents autistes, dans une grande misère de moyens. Les débats entre le petit nombre et le grand nombre auraient dû dans la méthode choisie, être réduits au silence par la considération de l’évidence chiffrée des études et des méta-analyses. Or, c’est impossible. L’évidence est trompeuse et les chiffres fournis ne font pas taire les divergences d’interprétations, pas plus que dans le cas de l’interprétation des données fournies par les séries statistiques de l’Evidence Based Medecine (EBM). Ainsi, les débats passent au niveau 4, au niveau de l’Accord entre experts (AE).
La méthode de « consensus formalisé », n’admettant le débat entre experts qu’au niveau le plus faible obtient un résultat paradoxal. D’une part, elle élimine les méthodes inspirées par la psychanalyse, dans les niveaux de preuve importants, puisqu’elles ne se prêtent pas au chiffrage des séries statistiques randomisées, et d’autre part elle concentre tous les problèmes ainsi déplacés vers le niveau 4. Elle n’obtient pas le silence, elle le déplace. Les affrontements n‘en seront alors que plus virulents puisque concentrés à un niveau où les identifications de chacun sont d’autant plus en péril qu’il n’y a aucun autre niveau ou procédure d’appel. Le niveau de l’Accord entre experts, censé être la soupape de sécurité de la machinerie bureaucratique et de ses élaborations statistiques, se révèle en fait celui où se concentrent les problèmes repoussés et déniés.
Le communiqué haâtif de la HAS, anticipant sur le document qui a été présenté aujourd’hui, renvoie la formulation finale à une navette entre « comité de lecture » et « groupe de pilotage» où toutes les tensions s’accumulent. Le député Fasquelle parle de «pressions » qui s’exercent sur la HAS, sans doute parce qu’il considère que tout est groupe de pression en dehors de lui-même et ses amis de la méthode ABA. C’est une version du « nul n’a d’esprit, hormis moi et mes amis », bien connu. En fait, la subtile distinction entre le « non recommandable », puisque non chiffré de façon à faire taire toute objection, et « l’interdit » est là comme stigmate de l’impossibilité de faire rentrer les débats dans le chiffrage. Ce n’est pas le seul.
On peut aussi ajouter la façon dont les différents représentants des lobbys scientistes se pressent pour faire admettre leurs hypothèses comme une certitude et procéder par intimidation. La semaine dernière, dans Le Monde du 23 février, dans la page Débats, le président de l’association « Vaincre l’autisme », neurobiologiste, un membre du conseil scientifique de cette association, neuroscientifique, avec un pédopsychiatre, affirment: « L’autisme est une maladie précoce qui prend naissance le plus souvent pendant la grossesse. On trouve plus de neurones dans certaines régions cérébrales des enfants autistes. La prolifération cellulaire ayant lieu exclusivement in utero chez l’homme, cette preuve ne peut être contestée ». Ils développent ensuite les causalités de ces « réseaux neuronaux aberrants ». La cause semble donc entendue. L’ennuyeux est que le dernier numéro de Nature consacré à cette question, en novembre 2011, concluait que rien n’est pour l’instant confirmé dans les nombreuses hypothèses émises sur la nature de l’autisme. Le final du texte inspiré par « Vaincre l’autisme » semble par contre raisonnable : « Cessons de promettre la guérison miraculeuse à partir d’un gène ou d’une molécule qui effacera les séquelles des malformations développementales. C’est en bloquant ces activités aberrantes avec des outils pharmacologiques que les promesses les plus sérieuses sont en cours de développement. En attendant, une approche à la carte sans menu fixe et sans hégémonie s’impose, mais elle doit être basée sur des méthodes qui ont fait leurs preuves ». La fin, bien sûr, se veut le coup d’estoc contre la psychanalyse qui n’aurait pas fait ses preuves selon la conception de ces chercheurs. Leur charge serait plus acceptable s’ils ne se précipitaient pas pour boucher le trou dans le savoir avec les hypothèses non confirmées qui soutiennent leurs recherches.
En situation d’incertitude, il est crucial de préserver l’espace du débat démocratique. La question est globale. On sait le goût en Europe, des bureaucraties de tous ordres se pensant comme les guides sûrs de l’administration des choses, guidant les peuples, s’il le faut à leur insu, vers des solutions parfaitement calculées. On voit dans quel état est la zone Euro, résultat de l’action des bureaucraties financières après le crach des marchés de 2008. Les bureaucraties sanitaires européennes, devant le crach des certitudes scientifiques, ou leur prolifération « aberrante », sont tentées par des artifices divers pour imposer des solutions autoritaires inspirées par les lobbys scientistes.
Nous souffrons clairement d’un déficit démocratique qui ne cesse de se manifester dans les différents scandales qui traversent le milieu psy depuis la régulation abusive des psychothérapies en passant par le plan de la prévention précoce de la délinquance, objet de la pétition « Pas de zéro de conduite à 3 ans ». Nous nous sommes souvent gaussés, de ce côté-ci de l’Atlantique, du choix américain de soumettre le remaniement du champ psy à des votes au sein de l’American Psychiatric Association, qui vote sur les propositions de modification du DSM. Le système européen des agences « indépendantes », élaborant la loi qui sera ensuite opposable à tous, est sans doute, sous nos yeux, en train de trouver ses limites. Nous pourrions nous inspirer – sans pour autant copier – de l’exemple américain et de ses multiples centres de décision, aussi bien au sein de la bureaucratie fédérale du NIMH (National Institute of Mental Health) qu’en dehors, dans le milieu psy structuré par l’American Psychiatric Association ou son équivalent pour les psychologues. Il ne s’agit pas d’idéaliser le système mis en place. Les difficultés d’élaboration du DSM V, les oppositions violentes qu’il soulève, les lettres de protestation des responsables du DSM IV et III R, tout cela témoigne d’une vitalité démocratique qui nous manqu.
Nous ne pouvons plus continuer à coup de « méthode de consensus formalisé » et d’assertion du type « Il convient de rappeler quelques faits qui ne sont pas contestables ». Nous sommes dans un champ qui ne nous permet pas ces facilités. Commençons par réformer ces Hautes Autorités faites pour réduire au silence le débat démocratique. Il s’en portera mieux.
J’ai encore reçu en entretien la semaine passée une maman d’une grande fille autiste pour discuter du résultat positif du bilan génétique (mutation STXBP1). Grand soulagement de la maman à l’annonce de ce diagnostic qui la déculpabilisait. Les psys lui ont toujours dit que c’était parce qu’elle n’acceptait pas son propre handicap (elle avait elle-même souffert d’une hémiplégie) que sa fille était autiste…