L’ex-agent du KGB et maître (de plus en plus contesté) du Kremlin vient de se ré-offrir six ans de présidence dans l’indifférence quasi générale. La Grande-Bretagne a enjoint du bout des lèvres l’ex-futur président russe de respecter les principes et règles clés de la démocratie, Madame Merkel de moderniser sa politique ; l’Union européenne a appelé Moscou à remédier aux lacunes du processus électoral. Autant de bons conseils que s’empressera de suivre, c’est certain, Monsieur Poutine après cette réélection “sans surprise”.
Une voix néanmoins s’est élevée au Parlement européen ce lundi pour dénoncer un scrutin orchestré en haut lieu : “Nous avons assisté à la pose du dernier clou dans le cercueil de la démocratie russe” a ainsi déclaré le chef du groupe libéral au Parlement européen, Guy Verhofstadt, dans un communiqué. “Il est temps pour l’Union européenne et les Etats-Unis de réfléchir à leurs relations futures avec la Russie”,a-t-il poursuivi. “Il ne peut y avoir de ‘business as usual’ avec un pays qui ne respecte pas les principes démocratique de base”.
Il est à espérer que ces propos de bon sens, et qui tranchent si nettement avec ceux de Marine Le Pen qui en appelait encore récemment sur Europe1 à une alliance économique et stratégique avec la Russie quel que soit le président élu – soient suivis d’effets. Même dans le cas contraire, Vladimir Poutine devra cette fois compter avec une contestation grandissante au sein de son propre pays, et l’intransigeance démocratique d’une classe moyenne – et plus seulement des catégories de la population les défavorisées – qui ne cesse et ne cessera de revendiquer des droits. C’est tout le mal que nous pouvons souhaiter à celui qui vient de s’octroyer un mandat de six ans (!) moyennant réforme constitutionnelle.
Une nouvelle page est-elle en train de s’écrire en Russie ? Le quotidien Novye Izvestia le pense : “Pour empêcher le pays d’éclater, le futur président va devoir dialoguer avec toutes les forces politiques qui exigent un changement et rêvent d’une autre Russie, plus libre, plus réussie et plus ouverte.”
Rêver une autre Russie est une chose, c’est un espoir ; rêver un autre Poutine, c’est un leurre, une gageure. Qu’attendre en effet d’un homme qui a soutenu et continue de soutenir à bout de bras le régime sanguinaire de Bachar al-Assad depuis près d’un an maintenant (on notera, là encore, “sans surprise” que le despote de Damas s’est empressé de féliciter son homologue russe au soir de son élection, tout comme le président chinois Hu Jintao, d’ailleurs) ? Aurait-on déjà oublié le dossier Tchétchène au nom de la real politik ? Suffira-t-il de quelques semaines pour que soient étouffées les voix de tous ces dissidents qui, dès lundi, descendaient en masse dans les rues de Moscou et de bien d’autres villes pour crier leur indignation ? Nous ne le pensons pas.
Si l’on en croit l’ONG Golos, cette élection présidentielle “n’était ni libre, ni équitable et ne correspondait ni aux exigences de la législation russe, ni aux normes internationales.” L’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a également confirmé des irrégularités de procédures en faveur de l’ex-premier ministre. Et malgré cela, la légitimité de cette réélection ne saurait remise en cause… Si ce n’est par la rue et l’opposition. Dès lundi, des manifestations étaient prévues à Moscou et dans bien d‘autres grandes villes de Russie. Un correspondant du quotidien The Independent notait sur Twitter lundi après-midi : “Déjà quelques milliers de personnes ici. Plus importante opération de police que j’ai jamais vu à Moscou. Soldats et police anti-émeute sont déployés tout au long de la Tverskaya”.
A Moscou comme à Saint-Pétersbourg, manifs pro et anti-Poutine battaient leur plein.
Une centaine de partisans de l’opposant Edouard Limonov (lequel, sans surprise, n’a pas été autorisé à se présenter à la présidentielle) ont été interpellé sans ménagement par les forces de l’ordre alors qu’ils tentaient de manifester pacifiquement devant les locaux de la commission électorale centrale de Moscou. Les manifestants clamaient des slogans (“Honte à Poutine”, “Poutine voleur !”) qui dénonçaient l’imposture de cette victoire électorale. Limonov était présent avec d’autres pour demander l’annulation de l’élection, arguant que le pouvoir désormais en place n’avait plus rien de légitime. Une centaine d’opposants ont également été arrêtés à Saint-Pétersbourg. Dans la soirée de lundi, ce sont au total plus de 500 manifestants, dont plusieurs dirigeants de l’opposition qui furent arrêtés à Moscou et Saint-Pétersbourg. Tandis que plusieurs milliers de personnes étaient rassemblées pour célébrer la victoire de Poutine. Victoire sans gloire véritable, victoire en demi-teinte. Accro au pouvoir, Poutine n’en demandait sans doute pas davantage.
On peut compter sur la pugnacité des opposants russes pour ne pas baisser les bras.
Enfin on peut se demander quelles conséquences aura cette élection sur le dossier syrien. Hier lundi, le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov annonçait qu’une réunion avec ses homologues de la Ligue arabe se tiendrait au Caire, ce samedi. Faut-il en conclure un début d’assouplissement de la politique russe sur ce dossier ? Interrogé quelques jours avant les élections présidentielles, Vladimir Poutine estimait que “les réformes proposées (par le régime) auraient évidemment dû être menées depuis longtemps”. “Ce qui se passe là-bas c’est une guerre civile. Notre objectif, c’est (…) qu’une solution soit trouvée entre Syriens”. Pour autant, la Russie est-elle dès à présent disposée à reconnaître, comme le lui demande Catherine Asthon, chef de la diplomatie européenne, “la nécessité d’un nouveau pouvoir” en Syrie et d’appuyer les démarches humanitaires d’urgence ?
C’est ce que nous diront, nous l’espérons, les jours à venir.