Les rentrées littéraires sont le Verdun des romanciers : la plupart tombent au combat, dans une indifférence absolue, dans un anonymat total. Parmi ces soldats inconnus, Xabi Molia (il faut dire que ce pseudonyme n’est pas très heureux), réalisateur très doué à qui l’on doit Huit fois debout, un excellent film sorti il y a deux ans avec Julie Gayet. Passons : il n’y aura quasiment pas eu une seule ligne sur Avant de disparaître. Il y a des écrivains, des réalisateurs, des écrivains-réalisateurs avec lesquels ça ne « prend pas ». On a l’impression qu’ils pourront faire ce qu’ils veulent, chefs-d’œuvre ou nanars, indifféremment, et que rien n’y fera, qu’il n’y aura jamais le déclic dont le public a besoin pour les aimer, les reconnaître. Dans le cas de Xabi Molia, c’est très injuste et c’est très dommage : le lecteur passe à côté d’une vraie personnalité ; d’une véritable sensibilité. Au moment où sort Contagion, de Soderbergh, voici un autre remake réussi de La Peste de Camus. L’histoire est d’une simplicité magnifique : une femme disparaît, un homme part à sa recherche. Leur couple ne fonctionnait plus. Toutes les femmes, même celles qui restent, ne font jamais qu’incessamment disparaître, et les hommes passent leur existence à les rechercher. C’est même la définition de l’amour – plus une femme est là, plus elle nous échappe, et plus nous la recherchons. Une femme s’évade toujours plus ou moins. Telle est le mystère de l’Autre. Une fois enfuie l’amoureuse, comme Albertine celle-ci continue d’exercer sa présence, désormais intitulée « absence ». Car une absence, quand elle est vive, est-elle si éloignée de la présence ? (« Une tristesse, quand elle est vive, est-elle si éloignée du bonheur ? » demande Kafka). On ne connaît jamais les êtres qui, ayant fui, nous laissent seul avec un passé commun et un avenir fait tout entier de ce passé. Alors, il s’agit d’enquêter. Ce que Kaplan va faire ; son chemin le renseignera davantage sur lui que sur celle qu’il a perdu. Voyage au bout de lui-même – dans un Paris aussi dévasté que son histoire d’amour, un Paris à peine futuriste en proie à une terrible pandémie. Les « infectés » (c’est leur nom) se transforment aussitôt en entités bestiales, tant le monde sans l’être aimé paraît immédiatement (pour ceux qui voudraient y voir un conte métaphorique) non tant dépeuplé que malfamé, hideux, dangereux, toxique, hostile et cauchemardesque. La perte griffe. Tout va disparaître, l’amour en même temps que le genre humain, ce qui était censément la même chose, mais ne l’est pas. Xabi Molia est un féru d’Apocalypse : il montre les lendemains où tout chant est impossible. Que se passe-t-il après le chaos ? Après la fin ? Après la fin du monde et, simultanément, la fin de l’amour ? Crise des sentiments, crise de la civilisation. Explosion de l’intimité, explosion de la société. Tout le monde, dans ces pages, souffre d’une culpabilité qui l’empoisonne : le monde est responsable de sa gueule. De sa gueule débile, grande ouverte, anthropophage. Avant de disparaître n’est pas, Dieu soit loué, un roman d’anticipation : pour qui sait lire, il ne parle pas de demain, mais de maintenant. De la seconde qui va suivre ce maintenant. C’est un roman de jaillissement. Un livre d’imminence. Qui se lit d’une traite – et immédiatement. « L’espérance ne devait pas disparaître. »
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C’est un début. Un début d’intelligence et de maturité. La Suisse progresse.
29 novembre 2011… je me rappelle bien de cette date.
« Leur couple ne fonctionnait plus. Toutes les femmes, même celles qui restent, ne font jamais qu’incessamment disparaître, et les hommes passent leur existence à les rechercher. C’est même la définition de l’amour – plus une femme est là, plus elle nous échappe, et plus nous la recherchons. Une femme s’évade toujours plus ou moins. Telle est le mystère de l’Autre. Une fois enfuie l’amoureuse, comme Albertine celle-ci continue d’exercer sa présence, désormais intitulée « absence ». Car une absence, quand elle est vive, est-elle si éloignée de la présence ? (« Une tristesse, quand elle est vive, est-elle si éloignée du bonheur ? » demande Kafka). »
29 novembre 2011… ça explique bien des choses… il faut se rendre à l’évidence…
Albertine n’est pas celle que j’aurais aimé pensé malheureusement… Mais au moins… ladite Albertine a eu de la chance qu’on prenne soin d’elle, mais surtout qu’on soit là pour elle, quand elle en a eu besoin.
Certainement un livre à acheter pour permettre aussi de mieux analyser la pensee de KafKA