Quand le cartel des autocrates de la Ligue arabe passe un accord avec la mafia de Damas annonçant la fin des violences contre les civils syriens, plus de 100 d’entre eux se font tuer dans les trois jours qui suivent. C’est comme ça que ça se passe avec le gang Assad. Les témoignages téléphoniques et les vidéos qui nous parviennent depuis le fameux accord du 2 novembre confirment que le pouvoir n’en a pas respecté une demi-seconde la moindre ligne.

Ça n’étonnera personne sauf ceux qui veulent (feindre de) croire que la Ligue arabe constitue l’élément clé pour faire cesser la répression sanguinaire que subissent les contestataires depuis le début des manifestations en Syrie, le 15 mars. Les chiffres donnent le vertige : plus de 5000 morts, quelque 100 000 arrestations, des centaines d’enlèvements, des milliers de détenus torturés. Les villes rebelles, en particulier Homs et Hama, sont bombardées par les tanks et l’aviation, les maisons pillées ; leurs habitants sont régulièrement privés de nourriture, d’eau et d’électricité.

Le régime est resté indifférent aux condamnations exprimées par les Américains, Européens ou Arabes. Il n’est pas trop affecté par les sanctions économiques (l’Iran lui avance des fonds) et les interdictions de visa (qui ne touchent qu’une toute petite partie des membres de l’appareil d’Etat). Tout le monde sait qu’en fait cette bande ne comprend que le langage de la force. Reste à savoir qui est prêt à l’exercer pour stopper le carnage. Les gangsters qui ont mis leur pays en coupe réglée ne redoutent rien du Conseil de sécurité de l’ONU car ils savent disposer jusqu’à nouvel ordre de l’appui des Russes et Chinois, lesquels ont déjà bloqué tous les projets de résolution, même les moins sévères, dénonçant les horreurs commises contre la population. Sauf retournement spectaculaire des positions russe et chinoise, pas de risque, donc, que la communauté internationale puisse renouveler ce qu’elle a fait contre Kadhafi en Libye.

Or cela fait des mois maintenant que les manifestants crient à l’aide et demandent une zone d’exclusion aérienne. Une telle opération nécessite la mise en œuvre de gros moyens militaires. Seule l’OTAN est en mesure de les déployer. On a d’ailleurs vu dans les manifestations de nombreuses banderoles demandant qu’elle intervienne. Mais le patron de l’Alliance atlantique, Anders Fogh Rasmussen, a martelé le 31 octobre qu’une intervention militaire en Syrie était «totalement exclue». Il aurait pu expliquer, ce brave homme, que pour l’instant l’OTAN n’était pas saisie d’une demande d’intervention. Mais que non ! Invoquant les différences entre situations libyenne et syrienne, il a de fait signifié à Assad que les massacres pouvaient continuer, répétant avec insistance : «Nous n’avons aucunement l’intention d’intervenir en Syrie.»

Cette lâcheté occidentale révulse. Mais ce n’est pas parce que «l’obligation de protéger», adoptée par les Nations unies en 2005, n’est pas mise en pratique par la communauté internationale que nous devons pour autant nous résigner à laisser la révolution démocratique syrienne seule face aux bourreaux. Il existe une autre force, certes beaucoup moins puissante malheureusement, qui jour après jour s’oppose militairement aux tueurs appointés par Assad : ce sont les déserteurs qui ont formé l’Armée syrienne libre. À ces hommes au courage remarquable il faut apporter coûte que coûte l’aide dont ils ont besoin. Ils ont déjà infligé des pertes sensibles à l’armée loyalistes et aux miliciens chabbihas. Mais, on l’a déjà écrit ici, ils manquent cruellement d’armes, de munitions, d’équipement de communication et d’argent pour se nourrir. L’internationalisme ne peut se contenter de paroles. Il faut donc multiplier les pressions auprès des gouvernements démocratiques pour que les militaires passés du côté de la révolution reçoivent de quoi poursuivre la protection concrète des opposants.

Ces soldats rebelles sont dirigés en Syrie même par un homme exceptionnel dont le nom est à retenir : colonel Ahmed Al-Hijazi. Il est le numéro deux de l’Armée syrienne libre. Son supérieur est le colonel Riad Al-Assaad, réfugié avec d’autres déserteurs en Turquie. Mais ces hommes se retrouvent sous l’étroite tutelle du gouvernement turc et n’ont plus guère d’autonomie politique. Le sort de la révolution démocratique syrienne est donc désormais en grande partie entre les mains des troupes du colonel Al-Hijazi. La population syrienne compte sur eux. Tout comme elle compte toujours sur une véritable protection internationale, quels que soient les pays qui l’assurent.

Il est plus que regrettable que Burhan Ghalioun, celui qui actuellement dirige avec une petite équipe le Conseil national syrien (CNS) censé représenter l’opposition à Bachar Al-Assad, s’évertue à dissuader les déserteurs de tirer sur les forces de l’armée régulière. Lui qui affichait sans relâche son hostilité à toute intervention militaire étrangère, considérant que la «responsabilité de protéger» devait se traduire dans l’immédiat par… «des observateurs civils sur le terrain», vient cependant d’amorcer un tournant sur la question. Il a expliqué sur Al Jezira qu’en cas d’échec de la mission de la Ligue arabe, toutes les autres options étaient possibles. Enfin ! Mais ses tergiversations et le flou de ses positions font que l’homme est de plus en plus contesté au sein du CNS et des structures qui animent l’insurrection sur le terrain. Il a encore perdu de sa crédibilité lorsqu’il a osé comparer dans une interview les Kurdes de Syrie aux immigrés vivant en Europe. Devant le tollé suscité, il a dû présenter des excuses puis effectuer un tournant à 180 degrés en affirmant appuyer les revendications kurdes. Pas certain qu’il ait convaincu les représentants des forces kurdes, nombreux à se méfier de son nationalisme arabe. C’est encore lui qui s’émerveillait des démarches de la Ligue arabe auprès du pouvoir syrien, y voyant «un engagement sans précédent». On a vu le résultat.

La révolution démocratique syrienne dispose heureusement de personnalités d’une autre envergure qui sont quant à elles résolument favorables à toutes formes de protection armée. Ce sont vers elles que se tournent désormais les plus lucides des contestataires. Il en va de même pour nous. Ceux des gouvernements occidentaux qui condamnent la monstrueuse répression contre la population civile seraient bien inspirés de leur prêter plus d’attention. Notamment au général Akil Hachem, qui depuis son exil occidental relaie les demandes d’aide de l’Armée syrienne libre et intervient régulièrement sur les télévisions arabes où il appelle sans relâche l’OTAN à agir afin de protéger les Syriens et leur révolution. L’engagement de cet officier supérieur n’est pas passé inaperçu auprès de ses anciens pairs. Ils ont tenu à le lui faire directement savoir en un message lourd de menaces. Le général Akil Hachem n’en poursuit pas moins sa dénonciation des chefs d’une armée devenus les assassins de leur propre peuple. Ce même peuple que nous n’avons pas le droit d’abandonner.

Bernard SCHALSCHA.

 

P.S. Suite à l’accord avec la Ligue arabe, le régime vient paraît-il de libérer 500 détenus. On ne peut que s’en réjouir. Mais la veille de ces libérations 2000 personnes ont été arrêtées à Idleb, Deraa, Homs, Deïr Ez-Zor, Lattaquié (où semble-t-il les mosquées ont été encerclées par l’armée), Bou Kamal ainsi que dans les environs de Damas.