Comme le rapporte avec pudeur une dépêche de l’AFP du 28 octobre « la Turquie a accepté l’aide humanitaire d’Israël et de l’Arménie après le séisme meurtrier qui l’a frappée dimanche, mais elle affirme que ces gestes de solidarité n’annoncent aucune amélioration de ses difficiles relations avec ces deux pays. »
Mieux, Selçuk Ünal, porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères a déclaré que son pays ne « mélangeait jamais les questions humanitaires et les questions politiques « . On avait cru cependant comprendre, hélas, que la politique turque n’était pas si étanche à l’humanitaire, que veulent bien le dire ses autorités et qu’elle se traduisait même, plus souvent qu’à son tour, par de terribles catastrophes en ce domaine. À cet égard, les turpitudes de la nature demeurent en leurs épouvantables conséquences toujours bien moins meurtrières que celles des hommes. Et personne n’oublie que si l’actualité nous montre les efforts déployés pour sauver en la circonstance un bébé des décombres, il n’y a pas si longtemps la politique allait en ces mêmes lieux traquer la vie pour la détruire, jusque dans le ventre des Arméniennes enceintes.
Mais qu’importe. L’Arménie ne pourra livrer que par voie aérienne ses 40 tonnes d’assistance aux habitants de cette terre qui fut son berceau historique. Blocus turc oblige.
Et au lieu de tirer de ce mal (de terre ) un bien, en profitant de la circonstance pour ouvrir la frontière, fût-ce pour le temps de passage d’un convoi, Ankara se fige dans son arrogance en déclarant à propos de cette aide « nous en aurions fait autant s’il se produisait une telle catastrophe chez eux ». Les dirigeants du pays seraient-ils passés dans cette hypothèse aussi par la voie des airs ou les routes de Géorgie pour acheminer leur assistance ? Ou auraient-ils consenti à déverrouiller leurs portes, l’espace d’un instant, compte tenu de cette conjoncture exceptionnelle et du caractère d’urgence de la situation ?
Cette affirmation insistante, même dans un pareil drame, de la persistance des impératifs politiques et de leur ascendant sur toute autre considération, fût-elle humanitaire, n’est pas seulement une faute morale. Elle représente également une erreur diplomatique qui met en lumière la fermeture de cet Etat à toute volonté de dépasser les conflits, à toute perspective de sortir par le haut du passif historique (en particulier avec l’Arménie), de créer les conditions favorables aux solutions. Non, la Turquie arc-boutée dans une rigidité qui confine au fanatisme, s’empresse de fermer les portes et d’affirmer haut et fort que quel que soit le contexte, rien ne saurait la faire dévier de ses fondamentaux et de l’ostracisme qui en découle.
Il en va de même en ce qui concerne la réponse à la proposition d’aide d’Israël, État vis-à-vis duquel le ministre turc des Affaires étrangères s’est dépêché de déclarer qu’il ne fallait voir à son égard aucun signe d’amélioration des relations bilatérales et qu’il s’en tenait à « ses positions de principes » : l’exigence d’excuses sur le drame du Mavi Marmara. Un ferry d’aide humanitaire que les Turcs avaient envoyé en mai 2010 à Gaza, sans aucune arrière-pensée politique, cela va sans dire…
Cette demande de repentance de la part d’un Etat qui n’a jamais daigné demander pardon pour aucun de ses « crimes contre l’humanité », vient rappeler le malaise de ses dirigeants contraints d’accepter, avec réserves, les secours apportés aux victimes essentiellement kurdes de ce séisme tout en préparant en parallèle une opération d’envergure contre leur mouvement de libération.
Il n’y a toujours rien d’excessivement « humain » dans la « politique » des gouvernements turcs successifs. C’est sans doute ce que M.Selçuk Ünal voulait dire en affirmant qu’il ne fallait pas mélanger ces deux domaines, dans un stupéfiant aveu.
Ara Toranian
Directeur de Nouvelles d’Arménie Magazine
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