J’ai un penchant pour le caché, l’invisible. Une ruelle discrète ? Il faut que je l’explore. Un porche entrouvert ? Je dois m’y faufiler. Un jardin bruissant derrière une vieille muraille me poussera toujours à l’escalade, car rien n’est plus émoustillant, plus gouleyant, plus enivrant qu’un poumon de verdure emprisonné dans un carcan de pierre. D’une manière générale, je goûte ce que l’on ne voit pas (du moins pas forcément), j’aspire à ce qui est secret. J’ai même pour habitude de citer en maxime cette phrase de Dominique de Roux : « Le secret doit exister, ce n’est pas un vide que l’on cache. »
Quel rapport avec la viande, me direz-vous ? Avec la viande je ne sais pas ; avec les abats, cela me semble clair comme de l’eau lustrale. Les abats sont le coeur secret de la gastronomie carnivore, son jardin caché, sa parenthèse enchantée. Tapis aux tréfonds des carcasses, discrets comme des conspirateurs, négligés par certains, méprisés par d’autres, ils sont de ces merveilles qui se méritent. Ils illustrent parfaitement ce goût du mystère et du secret. Combien de fois ai-je vu la grimace dégoûtée d’une bouche articulant sans grâce : « Tu aimes les abats ? Beurk. » Que répondre à cela ? Rien. Rien du tout. Les abats sont comme un club, un aréopage, qui ne s’offrent pas au premier venu. Une aristocratie. Quelle plus grande noblesse que le ris de veau ? Quoi de plus élégant qu’une fraise, un chaudin ? Et que dire de l’andouillette, mon péché mignon, ma petite reine, dont la rusticité et les fragrances stercoraires ont provoqué maintes polémiques chez mes voisin(e)s de table, soi-disant incommodé(e)s par l’aspect et le fumet.
Mais avec les abats, il est bien question de vue, d’odorat. Les cinq sens sont toujours au rendez-vous, et là il n’est plus question de mystère, de secret caché. Tout est « à vue ». Au contraire, on dévore ce qui est parfaitement visible, ce qui est authentiquement extérieur, exotérique. Qu’est-ce qu’une « tentation de Saint- Antoine », sinon un groin, une oreille, un pied, et une queue ? (le tout délicieusement grillé, sans jamais perdre son esprit). Et la mamelle : charmante et suave pellicule encore laiteuse, qu’on déguste poêlée ou en pressé. Et la langue, véritable mise en abyme du goût. Goûter le goût même de la bête, n’est-ce pas là une promesse de joies inattendues ? On se fond dans l’animal, on communie avec lui par un spiritisme gustatif. On l’embrasse à pleine bouche. Ultime palot avant la digestion. Je ne vais pas dresser une liste (passionnante mais fastidieuse) des mille et une merveilles que réserve la triperie. Car il faudrait passer des abats aux abattis ; parler des issues, du cinquième quartier ; employer des termes désuets et intrigants. Je me contenterai seulement de vous inviter à l’exploration. Osez la spéléologie alimentaire. Affrontez vos peurs, domptez-les, pour vous enfoncer dans les tréfonds de la bête. Glissez-vous sous la panse, égarez-vous dans les viscères, abandonnez-vous aux folles joies de la tripaille. C’est une odyssée sans espoir de retour : l’horizon du nouveau monde.
Bon voyage