Hier à la tribune, Dominique Miller a raconté un tout petit souvenir de Lacan, son dernier souvenir de lui. Un souvenir triste, compte tenu des circonstances, mais un souvenir très beau, et émouvant.
Nous sommes à la veille de la mort du docteur, il s’en va et le sait. Elle, vient de donner naissance à une petite fille, Coralie, qu’elle lui présente ce jour-là pour la première fois. Le docteur regarde la toute petite fille qu’on lui présente. Il lui sourit avec cette gentillesse infinie dont ceux qui l’ont connu ont témoigné maintes fois, et hier, encore, lors de ce second séminaire de La règle du jeu consacré à Lacan. Oui, Lacan savait être doux. Lacan, donc, regarde ce nourrisson et lui dit ces deux mots : « Au revoir ».
Ce souvenir de Dominique Miller m’a frappé. Il m’a frappé parce qu’il fait écho aux nombreux souvenirs de ceux qui ont connu Lacan, et attestent l’étonnante singularité d’un homme qui disait l’envers à l’endroit. Vie de Lacan, le dernier Diable probablement : « Pourquoi Lacan », et Rendez-vous chez Lacan, sont pleins de ces anecdotes profondes qui révèlent l’homme, plus et mieux que n’importe quelle somme à lui consacrée. Lacan n’est jamais là où on l’attend.
Là par exemple, lorsqu’on lui présente Coralie, on attendrait qu’il salue l’arrivée au monde du nouvel être en lui disant « bienvenue » ou quelque chose d’équivalent. Mais déjà ce qu’on attend, et pour cette raison même qu’on l’attend, est affadi par l’usage. Le renversement qui s’opère dans cet « au revoir » inattendu, dit bien mieux et bien plus intensément l’accueil qu’il fait au nouvel être. Non pas un « bonjour » de circonstance justement, mais « au revoir » dont l’intensité signe l’accueil authentique.
Ce souvenir est triste. Habituellement, les souvenirs de Lacan font rire, beaucoup. Hier, François Regnault nous a fait rire d’un de ces souvenirs. Une vérité s’y dévoile presque nue, une vérité attenante au réel, à l’impossible auquel Lacan a affaire, à ce moment de sa vie, et dont il tient compte en saluant l’enfant. Car, on y entend ce souci, non pas seulement de vérité mi-dite, dite à côté, pour cause de ne pouvoir la dire toute, mais mieux encore, de vérité indexée à l’impossible à dire qui se tient sous elle comme sa cause réelle.