Le XXe siècle s’est achevé, il y a maintenant dix ans.  Et nous n’avons toujours pas pris la mesure des révolutions et de l’incertitude qu’il a suscité dans les arts et la littérature.

Le XIXe siècle avait essentiellement été l’âge de la construction et de l’invention de formes – le poème en prose, le roman-fleuve sont des produits, ou des inflexions, du siècle de Victor Hugo.

Mais au XXe siècle, la question de l’absolu, de la valeur de ce qui est dit, de la façon dont c’est dit, se pose en permanence. Le savoir ayant montré ses limites, le statut de la production littéraire apparaît miné et extrêmement problématique.

Comment créer dans une époque dont l’Histoire, à chaque instant, expose les horreurs? Comment écrire alors que le sens de l’acte en lui-même est menacé?

Evidemment, l’oeuvre de Proust n’est rien d’autre qu’une réponse à cette double interrogation.

Assurément, c’est aussi le cas de Paul Celan, de James Joyce, parmi tant d’autres.

Plus récemment, l’écrivain grec Yannis Kiourtsakis, avec un ouvrage très singulier traduit sous le titre « Le Dicôlon », a écrit l’oeuvre absolue de la fin du siècle – le livre date de 1995.

Dans ce volume de plus de cinq cents pages, le narrateur entreprend de rédiger le texte qu’il s’était promis d’écrire pour son frère.

S’y mêlent la biographie de l’auteur, l’histoire, la fiction, les souvenirs d’enfance, la géographie de la Grèce, la littérature…

D’une certaine manière, du fait sa facture à la fois fragmentaire et profondément unifiée par la voix narrative, « Le Dicôlon » propose une relecture de l’idéal essentiel dont le roman n’a su se sortir: celui du « Gesamtkunstwerk », de l’oeuvre d’art totale que toute fiction d’envergure aspire, d’une façon ou d’une autre, à devenir.

De la biographie et la mort de son frère à l’archéologie d’une conscience littéraire surgie en Grèce, l’oeuvre de Yannis Kiourtsakis clôt en conscience le XXe siècle, et ouvre sur le suivant, qui devra trouver de nouvelles voies afin de répondre à cette interrogation de l’art – ou de reposer la question.