D’habitude, Bob Marley est accompagné de ses fidèles Wailers, sorte de dream team de musiciens rassemblée à travers la Jamaique pour transmettre le message reggae à la planète. Cette fois-ci, les Wailers sont de côté, assis autour de l’icône Marley. Plus brillants artistes de leur génération, ils s’inclinent et écoutent religieusement le Pape du Reggae, celui qui, lorsqu’il fut de passage à Paris, ameuta deux fois plus de fidèles que le Pape Jean-Paul II lui-même !
Ainsi se déroule la scène : Bob Marley s’assied sur un petit tabouret en bois, fixe deux micros entre-deux à hauteur de bouche, règle d’infimes détails. Le décor, en arrière-plan, est minimaliste, seuls trois instruments et quelques posters formant un petit Panthéon portatif lui font dos. Immédiatement le spectateur est frappé par l’ambiance qui règne autour du film amateur. Nous ne sommes pas chez un de ces guignols actuels qui misent tout sur l’apparence et la possession. Nous ne sommes pas non plus chez un de ces omniprésents médiatiques qui débitent du néant à longueur d’albums chèrement produits. La scène qui se déroule sous nos yeux semble venir du fond de l’Antiquité, mais a-t-elle vraiment un âge ? Est-ce un songe, peut-elle, avec certitude, être datée ? Je ne sais pas et je ne veux pas le savoir. Il faut laisser du flou, une dose d’infime incertitude pour laisser l’imagination faire son œuvre.
La forme, troublante, de la mise en scène, ne doit pas nous faire oublier le fond. Car ne vous y trompez pas, comme tous les prophètes, Marley est un dealer. Oui, le chanteur a bien quelque chose à vous vendre, la plus puissante des drogues, le plus fort des antidotes créé par l’humanité pour tenir : des idées…
Voilà, ensuite, de quelle manière la vidéo se poursuit : Marley s’empare d’une guitare bleue pastel travaillée, s’opère alors la magie. Il n’est plus seulement qu’une simple rockstar évoluant a l’écran, il est guide spirituel propageant la bonne parole. Soudain le chanteur se métamorphose en icône religieuse, il devient prophète tout droit sorti de l’Ancien Testament. Indiscutablement, le plus connu des jamaïcains possède des allures bibliques. Des allures bibliques dans l’apparence et dans le message. Il y a d’abord ce look si particulier, cet air cool aux quatre coins du monde imité. Il y a également ses dreadlocks, cette voix reconnaissable entre mille et la noblesse de ses traits qui font de Marley un Christ noir. Tentez l’expérience, fermez donc les yeux, donnez à notre homme un bâton, faites pousser encore un peu sa barbe et transposez-le dans le désert au temps des hébreux : vous faites du chanteur un leader d’opinion, le prophète d’une nouvelle religion, le messie des Autres Temps.
On trouve dans les chansons de Marley une sérieuse dose de sagesse. Des références également. Haile Selassie, empereur d’Ethiopie. Les Tribus d’Israël. Le message de Marcus Garvey, fondateur de l’Universal Negro Improvement Association, faisant de l’Afrique une nouvelle Sion. Le tout formant un puissant message au carrefour de la multitude des tentations humaines parmi lesquelles la politique, l’art et la religion. Tendez l’oreille, Marley vous parle des femmes, de la dictature, des racines et de la faim.
La vidéo se termine trop vite et l’on reste sur sa faim. Voilà aujourd’hui trente ans que Bob Marley est mort (précocement, à 36 ans). Son message profond mais étonnamment accessible, le caractère universel de son engagement, parlait à tous les opprimés, les oubliés, ces sans droits et ces laissés-pour-compte, exclus du monde mais continuant à réfléchir. Issu de l’union d’un père blanc et d’une mère noire, Marley porte en lui les gènes du métissage et de la rencontre des peuples. Son discours – car ses chansons sont à considérer ainsi, forme un éventail de textes émancipateurs pour qui les écoute – le peuple Noir mais aussi le monde dans son ensemble.
Appuyez sur play et laissez vous porter ! La pâleur du grain de l’image, la qualité du son qui paraît venir de si loin, le contenu magistral portant en lui la mémoire de l’Esclavage, tout cela relève du chef-d’œuvre.
Old pirates, yes, they rob I;
Sold I to the merchant ships,
Minutes after they took I
From the bottomless pit.
But my hand was made strong
By the hand of the Almighty.
We forward in this generation
Triumphantly.
Won’t you help to sing
These songs of freedom?
‘Cause all I ever have:
Redemption songs,
Redemption songs.
Emancipate yourselves from mental slavery;
None but ourselves can free our minds.
Have no fear for atomic energy,
‘Cause none of them can stop the time.
How long shall they kill our prophets,
While we stand aside and look? Ooh!
Some say it’s just a part of it:
We’ve got to fulfill the Book.
Won’t you help to sing
These songs of freedom?
‘Cause all I ever have :
Redemption songs,
À l’appui de l’hypothèse marleysienne d’un axe israélo-africain, on peut noter, concernant les références aux tribus d’Israël et à un empereur éthiopien qui prétendait être le descendant de Shelomo et de la reine yéménite, que des archéologues hambourgeois ont découvert, en 2008, sous le palais d’un roi chrétien d’Aksoum, un autre palais qu’ils attribuèrent à la célèbre reine connue pour avoir fait tourner la tête au fils de David. Ils rapprochèrent d’une part, son orientation vers Sirius et d’autre part, les sources bibliques selon lesquelles la reine de Sheba aurait voué un culte à l’étoile la plus brillante du ciel.
Sacré bob!
Parti beaucoup trop tôt celui-là…