L’Alliance [1], ce livre posthume de Jean-Marie Lustiger, s’ouvre sur deux problématiques, celle de l’exergue d’abord : « Je le sais, je suis une provocation vivante qui oblige à s’interroger sur le christianisme historique du Messie. »
Pourquoi la philosophie et la religion juives n’ont-elles pas provoqué des conversions ou des proximités de philosophes, de penseurs, comparables à celles exercées sur Bergson, Chestov, Simone Weil, Edith Stein, Lustiger, par le christianisme ? Pourquoi le destin de Lustiger n’a-t-il pas d’équivalent dans le monde juif ? La seconde problématique est celle de Paul de Tarse, que le cardinal juif ne pouvait pas ne pas reprendre en la questionnant avec son regard si spécifique quant à la réponse qu’il apportait. Pourquoi le peuple juif suscite-t-il la haine et le rejet de la part « des nations païennes et de leurs rois » ? En quoi et pourquoi la haine et la persécution à l’égard des Juifs touchent-elles aux fondements mêmes de l’Histoire sainte et du Salut, selon une lecture chrétienne mais aussi juive du monde ?
La première partie du livre reprend parallèlement à son chapitre du Choix de Dieu sur sa conversion, son discours « Les Juifs et Nous Chrétiens », prononcé au lendemain de l’attentat de la rue Copernic (Paris, 1980). Ce « Nous chrétiens » employé ici, par Lustiger, renvoie inéluctablement à un autre texte dont je cite plusieurs lignes :
« Ainsi donc, pour répondre à notre question : « Pourquoi Dieu s’est-il tu ? », la Torah nous invite à nous demander : « Pourquoi Dieu a-t-il été fidèle à l’alliance conclue avec Noé jusqu’à en faire payer le prix, insupportable, à son peuple ? »
Je ne crois pas que nous ayons d’autre réponse que celle-ci :
Ensemble, juifs, nous nous découvrons survivants de la Shoah, vivants [2]. »
Ces paroles stupéfiantes, il les a prononcées le 26 avril 1995 à l’Université de Tel Aviv, lors du colloque sur la Shoah, « Le silence de Dieu ». Voilà une amphibologie percutante, passage de l’un à l’autre qui mérite la plus haute attention. Il faut comprendre que le cardinal Lustiger se voulait signe vivant dans les deux sens de la signifiance : Juif converti au regard des chrétiens, en particulier des catholiques et catholique d’appartenance juive, dont la mère (même s’il n’en parlait que fort rarement) fut victime de la barbarie nazie face aux Juifs.
La question est donc double. À l’antisémitisme de tant de chrétiens à travers l’Histoire et à la question qui leur est posée par le destin juif, la Shoah et la création de l’État d’Israël, correspond celle qui touche le peuple juif en propre, qui « doit accepter d’être sans cesse jugé par le jugement dont il est le signe » (p. 16).
Si en devenant chrétiens, les païens prennent sur eux la réalisation « encore en espérance [de] la promesse, faite à Israël, que les païens connaîtraient Dieu », les Juifs n’en sont pas pour autant quittes avec les chrétiens. La question est là encore double : si les chrétiens ne peuvent prétendre être le verus Israël, quel est leur statut de peuple de Dieu à côté de leurs frères juifs et acceptent-ils ce rôle de frères cadets, que Jean-Paul II avait le premier accepté au regard de toute l’Église, le jour où il traversa le Tibre pour se rendre à la grande Synagogue de Rome ? L’autre question est celle-ci : que sont les chrétiens pour les juifs croyants ? Des païens, des adorateurs du vrai Dieu, leurs frères cadets ? Et que font-ils de la personne de Jésus ? Ils n’y adhèrent pas certes, mais qu’est-il pour eux ?
Depuis Jules Isaac et tant d’autres nobles juifs comme le grand-père d’Amos Oz, Jésus est parfois considéré comme la plus haute figure du peuple juif, pourtant les Juifs dans leur majorité ne peuvent le reconnaître comme Messie, ainsi que de Maïmonide à Rosenzweig et Levinas nos plus éminents penseurs et philosophes le réaffirmèrent. Elie Wiesel, lui, lors d’un dialogue mémorable avec le cardinal Lustiger, sur le plateau d’un certain Frédéric Mitterrand (« Du côté de chez Fred », Antenne 2, 7 septembre 1989), lui avait dit : « Tu n’es pas un païen pour moi. Tu es un homme de foi et je respecte ta foi. » Ce dialogue unique entre deux hommes d’exception, a été oublié dans ce volume de L’Alliance [3]. On peut le regretter.
Moins que jamais donc les chrétiens comme les juifs ne peuvent faire l’économie de ces questions et, c’est là toute la force du livre du cardinal Lustiger que de nous obliger à les regarder de face et à y répondre au moins à titre individuel. Il est temps que les Églises reconnaissent également, ce qui est une évidence pour tant de chrétiens, que les « juifs sont auprès du Père depuis le Sinaï » et qu’ils n’ont aucun besoin de l’intercession de Jésus pour cela, ainsi que Franz Rosenzweig l’avait écrit à la veille du premier conflit mondial.
Portons attention aux cruciales questions théologiques, philosophiques et humaines que lègue aux uns et aux autres, Jean-Marie Aron Lustiger, à l’orée du XXIe siècle, qui verra s’éteindre non pas la mémoire juive, mais les derniers Témoins de la Shoah… Le cardinal portait en lui au plus haut degré de conscience la certitude qu’une nouvelle phase des relations judéo-chrétiennes s’ouvrait à nous, celle d’une mission commune. Cette mission, trop peu sans doute en ont une profonde conscience. De quoi s’agit-il ? D’une transmission du message éthique de la Bible selon lequel le visage humain porte sur lui la trace d’une transcendance et qu’il est inviolable. Pour le cardinal Lustiger il ne faisait pas de doute que juifs et chrétiens doivent témoigner pour et devant l’humanité d’une nouvelle approche – fût-elle agnostique ! – de l’unicité de l’homme.
[1] Presses de la Renaissance, 2010.
[2] La Promesse, Parole et silence, 2002.
[3] J’en avais, pour ma part, publié les extraits les plus saisissants dans mon Wiesel, ce méconnu (précédé de mes Entretiens avec Elie Wiesel), Parole et Silence, 2008.
benissez le pueple juifs car le salut vien d’eux . prions inetrcdons et jeunons nous pour le peuple juifs pour que diue intervien pour leurs salut etrnelle amen alleua
En effet!
Jean-Marie Lustiger, Un grand homme.