Ton histoire est un Chapelet de révoltes, mais quand la saison des récoltes est arrivée, tu semblais fausser compagnie à la Tunisie et à l’Égypte, ta rue a déserté le printemps arabe et ton peuple ne cesse de retenir son souffle. L’Algérie frondeuse est plus que jamais surprenante.

Ta situation est plus complexe ; elle est plus dangereuse et plus prometteuse : ton peuple est assez désenchanté et assez mûr pour ne pas suivre l’opposition frauduleuse, les escrocs démocrates et les criminels islamistes dans des manifestations hasardeuses qui ne profiteraient qu’aux manipulateurs et aux marionnettistes de diverses officines.

Tu es l’otage d’un système despotique dirigé par une alliance clanique qui se partage, de façon presque démocratique, la rente pétrolière et le racket économique. Ces clans forment une mafia militaro-financière qui a ses relais et ses agents partout, parmi l’opposition et les voyous délinquants, parmi les terroristes islamistes et une certaine presse.

Derrière ta malédiction, il y a un régime diaboliquement malin. Visionnaire et manipulateur de l’imprévu, réactionnaire et régulateur du pire, vas-tu le laisser te gouverner, pardon, te supplicier et te démolir? Face à toi, ici en France ou en Occident, l’hypocrisie et la lâcheté sont toujours de rigueur. Depuis plus de 20 ans, tu ne cesses de te révolter dans l’indifférence mondiale. Devant toi, les mondes arabe et occidental sont en retard de 23 ans.

5 Octobre 88 : tu t’es majestueusement révoltée au même moment que les pays de l’Europe de l’Est. Le mur de Berlin est tombé, mais les rideaux de fer t’ont englobée. Tu t’es révoltée dans une époque où l’Occident pensait que les Arabes n’étaient pas compatibles ou mûrs pour la démocratie, que celle-ci devait s’arrêter là où l’islam commençait.

Mais ta démocratie avançait malgré le mépris occidental et l’hostilité française. Mitterrand, la veille de ta guerre civile déclenchée fin 91, avait répondu à ton 1er gouvernement démocratique par le mépris et la mauvaise foi. C’est lui-même qui, le lendemain de la 2ème guerre mondiale, a répondu aux Algériens qui réclamaient l’égalité républicaine par les massacres du Constantinois.

Entre 89 et 91, le gouvernement des réformes t’a rendu le pouvoir et l’espoir. Ouverture politique et multipartisme, liberté de la presse et patriotisme, réformes socio-économiques et dynamisme… Mais les islamistes et les militaires ont accéléré leurs machines infernales pour arrêter cette parenthèse enchantée, pour voler et violer cette liberté florissante, pour faire avorter cette démocratie naissante mais grandissante aussi rapidement que la grandeur de la révolution de 54.

Les ensorceleurs-carnassiers du FIS et les barbares des Groupes Islamiques Armés, les apprentis-sorciers de la junte et les escadrons de la mort créés par certains généraux se sont additionnés pour neutraliser le processus démocratique et te jeter dans l’abîme : plus de 200 000 morts.

Mais tu n’es pas morte. L’Algérie est éternelle comme le soleil ! Tu peux reprendre le flambeau de ta révolte de 88, tu peux reprendre le train de la démocratie qui a été interrompu en 1991. Bouteflika, usé par le régime et la maladie, doit quitter le pouvoir dans la dignité, il ne doit pas te quitter et tu dois lui réserver les honneurs qu’il mérite.

Tu peux changer de régime sans règlements de compte, sans chasse aux sorcières. Depuis ton sursaut démocratique entre 89 et 91, tu as perdu une génération. Mais maintenant, tu peux gagner tes deux révolutions confisquées : celle de 62 et celle de 88, celle de l’indépendance et celle de la démocratie.

Le prophète Mahomet, lors de la conquête de La Mecque, avait dit à ceux qui avaient massacré ses compagnons, pratiqué le cannibalisme contre son cousin, volé et affamé sa famille: « circulez, vous êtes libres ! » Chère Algérie, l’Histoire a sonné la conquête pacifique d’Alger.

Les généraux qui n’ont pas du sang sur les mains et les ministres qui n’ont pas volé, les anciens présidents Chadli et Zéroual, les leaders historiques Mehri et Aït-Ahmed, et les autres patriotes doivent rejoindre ta jeunesse pour que renaisse l’espoir, pour que cesse le purgatoire, pour remettre ta démocratie sur les rails. La rue, c’est l’artère qui va te redonner vie.

Tu es le pays arabe qui a connu le plus de présidents à sa tête, 7 depuis l’indépendance. « Dégagez » ne peut s’appliquer à une personne, à une famille, mais à tout un régime. L’essentiel, ce n’est pas changer le gouvernement, mais la gouvernance ; ce n’est pas changer de tête ou de masque, mais changer de cap et de nature. L’essentiel, ce n’est pas changer de pouvoir, mais changer « LE » pouvoir, changer l’exercice du pouvoir, construire des contre-pouvoirs. L’essentiel, c’est déconstruire les systèmes despotiques, c’est libérer les institutions étatiques et l’administration publique de l’emprise du régime. L’essentiel, c’est te libérer de ton régime.

À la différence des pays qui viennent de renverser leurs despotes, tu n’es pas une dictature familiale ou héréditaire. Mais tu partages avec eux les mêmes maux explosifs : l’oppression étatique, la prédation des libertés publiques, la répression policière, l’arbitraire judiciaire, l’absence d’État de droit, la fraude électorale et la corruption généralisées… les éléments qui définissent la HOGRA, ce terme que tu as rendu célèbre en 88, refrain de la révolte tunisienne et qui signifie littéralement le mépris.

Ceux qui disent que tu es devenue insensible ou peureuse parce que tu es traumatisée pas la guerre civile, ne savent pas que tu n’es plus poreuse à la manipulation mais que tu es toujours la cible de complots attisés de partout. Ceux qui disent que tu t’es calmée parce qu’on a baissé les prix des vivres et augmenté les salaires, ne savent pas que tu n’as jamais marchandé ton honneur.

Tu ne vas pas suivre l’effet domino du printemps arabe, mais tu vas poursuivre ta révolte de 88 et reprendre la construction démocratique qui en a résulté. Mais cette fois-ci, les chars ne vont pas t’arrêter. La Tunisie a sonné le glas de la répression militaire sanguinaire. Tunis a scellé à jamais une grande révolution dans le monde arabe : le sang arabe est redevenu sacré. Désormais, les armées arabes ne tirent plus comme avant sur les foules ou sur les manifestants arabes. Les militaires de Tunisie, d’Égypte et de Libye ont été du côté de leurs peuples. Ton armée sera du côté de ton peuple. Le pire est passé. Alors, il est temps de faire triompher ta révolte.

Le pays rebelle de l’émir Abdelkader ne doit pas se dissoudre dans le défaitisme. Le pays révolté de Camus ne doit pas sombrer dans le nihilisme. Le pays insurgé du 1er novembre ne doit pas se coucher devant le fatalisme.

D’Amirouche à Boudiaf, ton régime a dévoré les leaders de ta révolution. De Mélouza à Ben Talha, tes enfants ont massacré tes enfants. Assez de sang ! Les vents des Aurès et du Djurjura doivent remettre l’heure dans le bon sens et pousser ton peuple dans la rue pour permettre ta renaissance. L’itinéraire Place des Martyrs-Place du 1er mai est le sentier de la résistance. La rue, maquis de la démocratie, est ton dernier recours. Assez de perte de temps !

Tu as été le phare des pays qui se battaient pour leurs indépendances. Tu as été le flambeau des pays en voie de développement. Et maintenant, tu as disparu des radars diplomatiques. Tu es devenue synonyme de massacres et de terrorisme. On a terni ton image et on a réduit ton influence, même ta vitrine française qu’est la Grande Mosquée de Paris est devenue synonyme de mascarade et d’affairisme.

Je crois en toi ! Mais je ne sais pas ce que tu seras lorsque le pétrole ne sera plus, quand les vautours se lèveront de ton corps violenté et ensanglanté, vidé d’une partie de ton élite, nécrosé par des politiques régressives et répressives, névrosé par des émeutes presque quotidiennes, mais toujours sans lendemain.

C’est maintenant qu’il faut se lever ! Se soulever pour ne plus jamais reculer ni regretter !
C’est maintenant qu’il faut se lever pour faire basculer le destin avant qu’il ne soit trop tard !

Le pire est passé. Les massacres à huis-clos, les voitures piégées télécommandées et les manifestants mitraillés aveuglément ne peuvent pas se reproduire. Les sirènes islamistes ne peuvent plus te conduire vers d’autres déluges de sang. Tes richesses minières sont dépouillées ou gaspillées, mais ta plus grande richesse est ta jeunesse. La déliquescence de l’État et la dégénérescence des partis politiques vont être réparées par ta nouvelle génération.

Alors, ferme la gueule des éradicateurs et des prédicateurs de la terreur, ouvre tes rues pour que tes enfants crient leur hymne à la vie. Tourne la page des questions qui te tourmentent, même celle du « Qui-tue-qui ? », et dessine sur tes 2 381 741 km² le sourire de ton peuple qui s’exclame « l’Algérie revit ! »

Chère Algérie, tu as des ennemis innombrables, mais tu n’as qu’un seul adversaire, la résignation.
L’année prochaine, ton indépendance fêtera son cinquantième anniversaire, ta jeunesse doit fêter cette année, pacifiquement et définitivement, les obsèques de ton système despotique.

Chère Algérie, l’aube est à ta fenêtre, il est temps de se lever !
Farid HANNACHE
Journaliste franco-algérien exilé.

9 Commentaires

  1. Mais non dite que vous êtes dépassé par un pays de 10 million d’habitant 🙂 mais vous pouvez encore rattraper puisque vous avez raté votre révolution comme vous le dite et suivre le model tunisien.
    Merci pour la Tunisie et pour le peuple tunisien qui nous a appris à arracher notre liberté et bonne chance pour les frère algérien

  2. J’ai des larmes aux yeux en lisant cet article.
    Je me suis permise de le reprendre sur mon blog.
    Merci! Bientôt ce sera au tour de l’Algérie.
    11:00

    • Je ne pleure pas. Mais ça m’a emu. A toi de jouer mon Algérie!

    • J’ai vu l’émission de levy,notre philosophe que nous respectons beaucoup en Algérie et j’en étais quelque peu déçu par son analyse sur le devenir catastrophique de notre pays.Je ne suis pas philosophe mais je lui dit tout simplement que notre révolution a été commencée en 1830,elle continue bien sur et cette fois ci c’est le président Bouteflika qui va la faire d’en haut.Les révolutions dont pense mr Levy feront en sorte que les peuples demeurent dépendants.Je voudrais également entendre Mr levy sur la révolution du peuple Palestinien…

  3. Oué ! Totalement d’accord !! Vivent Les Aurès ( tamourt ino ) et vive l’Algérie !!!

  4. Shahbaz Bhatti, seul ministre chrétien du gouvernement pakistanais, a été assassiné hier, en pleine rue. Celui qui symbolisait la volonté de réformer la loi sur le blasphème a payé de sa vie son engagement contre les intégristes de son pays.

    • J’amerais tant que cela se passe comme ça ! l’ALGERIE pays riches en ressource universel, du desert a la mer, des montagnes aux dunes.
      InchaAllah.