Petites annonces (suite) :
Elles font rêver, ces « matrimonials » indiennes qui, sur le papier, résolvent les peines des cœurs occidentaux contraints de chercher seuls leur amour, désespérant effort. Un de mes amis chers veut passer une annonce : « Vieux Français porté sur le sexe, 1,60, tour de taille 2 mètres, sans dot, cherche fille de maharaja 13 ans, divorcée ou veuve, mariage non consommé. » Qu’est-ce qui cloche là-dedans ? L’impétrant au mariage ne donne ni sa caste ni ses diplômes ni la profession de son père – celle de la mère étant indifférente. Pour variées qu’elles soient, les petites annonces du week-end ont leurs règles : se ranger dans une colonne par caste – Agarwal, Arora, Jat, Khatri, Khsatryia, voire « scheduled casts« , « scheduled tribes » : annonces réservées aux castes inférieures et aux autochtones de l’Inde, qui jusqu’ici n’apparaissaient pas du tout ; dans une catégorie – handicapés, »cosmopolites« , doctor, voire « Others« , quand on ne sait plus quoi dire ; toujours parler de la beauté suprême de l’impétrant, surtout de son teint clair, du haut statut social de la famille – un père dans l’armée et toujours officier sera très bien porté ; et s’agissant des filles, mentionner leur grande culture et leurs qualités ménagères.
Elles sont étranges, ces petites annonces qui nous tirent le portrait d’une Inde d’où l’amour spontané, l’amour fou semblent exclus. Elles sont trompeuses aussi, et doublement. D’abord parce qu’elles ne reflètent pas la mouvante réalité citadine qui se remplit peu à peu de célibataires heureux des deux sexes, alors qu’il y a vingt ans, le célibat était la malédiction sociale par excellence. Elles trompent aussi à l’autre bout, ces annonces classées, car dans les campagnes, on se passe du papier journal.
Hormis le conseil de village, ce « panchayat » dont j’ai déjà parlé, il existe une institution informelle, le « Khap-panchayat », le conseil des anciens du village, chargé de surveiller les mariages des clans dans le tissu rigide des castes inférieures, un vrai maquis. On se marie dans son clan – étant entendu que la caste ne souffre pas discussion. Si des jeunes gens, ou des familles, décident de changer la règle, le « Khap-panchayat » se réunit en tribunal et prononce un jugement, toujours le même. La mort. Et de fait, le papier imprimé des journaux est truffé de faits divers atroces, parents enterrant vive une fille, cousins poignardant un garçon, etc. Ce système de jugement villageois couvrirait presque tout le Nord de l’Inde, Rajasthan, Uttar Pradesh, Haryana, Bihar, et concerne des centaines de millions d’Indiens (l’Uttar Pradesh à lui seul atteint au bas mot 250 millions d’habitants). Il y a deux Inde, celle d’Internet, des villes et des célibataires et l’autre, la campagnarde, celle des feux de bouse de vache à l’odeur piquante et parfumée, des meurtres familiaux, des coupures de courant. On comprend pourquoi le vaillant Premier Ministre de l’Inde, qui ne cesse de rappeler son souci de la pauvreté de son pays, veut poursuivre son œuvre, rétrécir l’abîme qui se creuse entre les deux Indes et diminuer le niveau des pauvres en Inde.