Le 13 Mars 2010, lettre de Saeed Malekpour depuis la prison d’Evin, Section 350
« Mon nom est Saeed Malekpour. J’ai été arrêté le 4 octobre 2008 près de la place Vanak (Nord de Téhéran) par des agents en civil qui ne m’ont présenté de mandat d’arrêt. L’arrestation ressemblait davantage à un rapt. J’ai été menotté, puis on m’a bandé les yeux et placé à l’arrière d’une berline.
Là, un robuste agent a fait peser tout son poids sur moi en plaçant son épaule sur ma nuque, me forçant à baisser la tête tout le long du chemin. Ils m’ont transféré vers un lieu inconnu qu’ils appelaient le « bureau technique ». Quand nous sommes arrivés, des agents m’ont sévèrement battu et insulté. Tandis que j’étais menotté, ils m’ont forcé à signer plusieurs documents que je ne pouvais même pas lire. En conséquence de cette agression physique, mon cou est resté souffrant pendant plusieurs jours alors que mon visage demeurait gonflé après tous les coups de poing, gifles et coups de pied que j’avais reçus. Cette nuit, j’ai été transféré dans l’unité 2-A de la prison d’Evin. J’ai été placé dans une cellule individuelle de 2 mètres sur 1,7 mètre. Je n’étais autorisé à quitter la cellule que deux fois par jour, menotté, à un horaire spécifique, pour respirer de l’air frais. Le seul endroit où j’étais autorisé à retirer mes menottes était ma cellule. J’ai passé 320 jours (du 4 octobre 2008 au 16 août 2009) en confinement solitaire sans accès à aucun livre, journal, et sans contact avec le monde extérieur. Dans la cellule, il n’y avait qu’une copie du Coran, une bouteille d’eau, trois couvertures, ainsi qu’une mohr (morceau d’argile que les chiites utilisent pour leurs prières quotidiennes). Au 21 décembre 2009, j’avais passé 124 jours dans la section générale de l’unité 2-A. On m’a interdit de visite hebdomadaire avec ma famille. Durant mes 444 jours en prison dans l’unité 2-A, on ne m’a autorisé à voir ma famille que lors de quelques visites limitées, au cours desquelles un officier des Gardiens de la Révolution écoutait tout de nos conversations. On ne m’a pas non plus autorisé à passer de coups de téléphone hebdomadaires. Le personnel de la prison et les interrogateurs écoutaient le moindre des seuls appels que j’étais autorisé à passer. Et à chaque fois que je discutais avec ma famille du contenu de mon dossier, l’appel était coupé. Durant les 444 jours passés dans l’unité 2-A, ma vie était constamment menacée, et je ne me suis jamais senti en sécurité.
Le 21 décembre 2009, j’ai été une nouvelle fois transféré en confinement solitaire, cette fois dans l’unité 240 de la prison d’Evin. J’ai passé 48 autres jours (jusqu’au 8 février 2010) tout seul, sans aucun contact avec le monde extérieur. Depuis le 8 février, on me détient dans l’unité générale de la prison d’Evin ; tout d’abord dans la section 7, et ensuite dans la section 350. J’ai passé jusqu’ici 12 des 17 mois totaux de ma détention en confinement solitaire, et je n’ai pas eu la permission d’accéder une seule fois à mon avocat. Pendant ce temps, en particulier au cours des premiers mois d’emprisonnement, j’ai été soumis à diverses formes de torture physique et psychologique par l’équipe de « Cyber contre-attaque des Gardiens de la Révolution ». Certaines des tortures que j’ai subies ont été exercées en la présence de M. Moussavi, le magistrat du dossier. Une large partie des confessions que j’ai accordées m’ont été soutirées sous la contrainte, des tortures physiques et psychologiques, des menaces contre moi et ma famille, une fausse promesse de libération immédiate si je confessais tout ce que les interrogateurs me dictaient. (…) Parfois ils me menaçaient d’arrêter ma femme et de la torturer en face de moi. Durant les premiers mois qui ont suivi mon arrestation, j’ai été interrogé de la sorte à des heures diverses tant du jour que de la nuit. Les interrogatoires comprenaient également des passages à tabac. Les tortures étaient pratiquées aussi bien dans le « bureau technique » à l’extérieur de la prison que dans le bureau des interrogatoires de l’unité 2-A.
La plupart du temps, les tortures étaient réalisées par un groupe de personnes. Tandis que je demeurais toujours menotté et les yeux bandés, plusieurs individus me frappaient avec leurs poings, des câbles ou des matraques. Parfois, ils fouettaient même ma tête et mon cou. Une telle maltraitance avait pour but de me forcer à écrire tout ce que les interrogateurs me dictaient et de me contraindre à jouer un rôle en face de la caméra, basé sur leurs propres scénarios. Parfois, ils faisaient usage de chocs électriques extrêmement douloureux qui me paralysaient temporairement. Une fois, en octobre 2008, les interrogateurs m’ont déshabillé alors que mes yeux étaient bandés et ont menacé de me violer avec une bouteille d’eau. Un de ces jours précis, après avoir été victime de coups de pied, de coups de poing, et fouetté à l’aide de câble, mon visage a gravement enflé. J’ai perdu connaissance à plusieurs reprises, mais à chaque fois, ils me réveillaient en me jetant de l’eau à la figure (et poursuivaient leurs tortures). Cette nuit, ils sont retournés dans ma cellule. Vers la fin de la nuit, j’ai soudain réalisé que mon oreille saignait. J’ai frappé à la porte de ma cellule, mais personne n’est venu. Le lendemain, lorsque la moitié de mon corps est devenue paralysée, et que j’étais désormais dans l’impossibilité de bouger, ils m’ont conduit à la clinique de la prison d’Evin. Le médecin, après m’avoir examiné, a insisté pour que je sois transféré dans un hôpital. Mais on m’a renvoyé en cellule, et j’ai été livré à moi-même jusqu’à 9 heures du matin. C’est alors que trois gardes m’ont finalement transféré à l’hôpital Baghiatollah.
Sur le chemin, les gardes m’ont averti que je ne devais pas divulguer mon vrai nom, et m’ont ordonné d’utiliser le pseudonyme Mohammad Saeedi, tout en me menaçant de sévères tortures si je ne m’exécutais pas. Avant que je puisse être ausculté par le médecin de garde, un des gardes s’est entretenu au préalable avec lui dans la salle d’urgence. Sans réaliser le moindre examen, radiographie, ou test, le médecin a conclu que mon problème était dû au stress. Il a écrit son diagnostic sur le rapport médical et a prescrit quelques pilules. Quand je lui ai demandé de nettoyer au moins mon oreille, le médecin a répondu que ce n’était pas nécessaire. J’ai donc été ramené au centre de détention avec un caillot de sang à l’oreille. Pendant 20 jours, le côté gauche de mon corps était ainsi paralysé, et je n’avais que trop de difficultés à contrôler mon bras et les muscles de ma jambe gauche, ou même à marcher. Le 24 janvier 2009, après avoir été sévèrement passé à tabac, un des interrogateurs m’a menacé d’arracher une dent avec une pince. L’une de mes dents s’est cassée et ma mâchoire a été déplacée après qu’il m’ait asséné un coup de pied au visage. Cependant, les tortures physiques n’étaient rien comparées aux affres psychologiques. J’ai dû endurer une longue période de confinement solitaire (plus d’un an au total) sans le moindre coup de téléphone ou la possibilité de voir mes proches, avec les menaces permanentes que ma femme et ma famille soient arrêtées et torturées si je ne coopérais pas, ainsi que des menaces de mort contre moi. Ils m’ont également informé une fois de la fausse nouvelle de l’arrestation de ma femme. Ma santé mentale était sévèrement mise en péril. Je n’avais accès à aucun livre ni aucun journal dans les cellules individuelles, et parfois, il arrivait que je ne parle à personne pendant des jours.
Les restrictions et les pressions psychologiques dont moi et ma famille étions victimes augmentèrent tellement qu’après la mort de mon père le 16 mars 2009, et malgré le fait que les officiels étaient au courant de son décès, la nouvelle ne m’a pas été divulguée pendant près de 40 jours. Et ce n’est que lorsque j’ai obtenu un appel téléphonique (surveillé) de cinq minutes avec mes proches que j’ai appris sa mort. Masoud, un des interrogateurs, éclata alors de rire et se moqua de moi lorsqu’il m’a aperçu en train de pleurer mon père. Et malgré mes supplications, ils ne m’ont pas autorisé à assister à ses funérailles. En plus des tortures psychologiques, l’équipe d’interrogation des Gardiens de la Révolution a illégalement, et en violation des principes religieux, retiré des fonds de mon compte bancaire. Ils détiennent également mon compte Paypal. J’ignore ce qu’ils en ont fait. Un autre exemple de torture psychologique est que j’ai été forcé à jouer des scénarios dictés par les interrogateurs des Gardiens de la Révolution face à la caméra. Bien que l’équipe d’interrogation m’ait promis que ces films ne seraient jamais diffusés à la télévision, et qu’ils seraient uniquement montrés aux officiels du Régime pour qu’ils reçoivent un budget plus important pour leur projet « Gerdaab ». Pourtant, je me suis rendu compte par la suite que ces films avaient été bel et bien diffusés à de nombreuses reprises à la télévision d’État à l’occasion du septième jour suivant les funérailles de mon père. Cela a engendré une terrible souffrance pour ma famille. Ma mère a été victime d’une crise cardiaque après avoir aperçu mon visage et mes fausses confessions à l’écran. Certaines d’entre elles étaient si ridicules et farfelues qu’elles n’étaient même pas possibles.
Par exemple, ils m’ont demandé d’affirmer faussement que j’avais acheté un logiciel du Royaume-Uni puis que je l’avais publié sur mon site internet pour le vendre. J’ai été forcé d’ajouter que lorsque toute personne visitait mon site internet, le logiciel était, sans qu’il le sache, installé sur son ordinateur et qu’il prenait le contrôle de sa webcam, et cela même si elle était éteinte. Bien que je leur aie répété que ce qu’ils suggéraient était impossible d’un point de vue technologique, ils m’ont répondu que je ne devais pas me préoccuper de ce genre de choses.
On m’a promis, en la présence du magistrat assigné au dossier, que si je participais à leur fausse confession télévisée, ils me libéreraient sous condition ou sous caution jusqu’à la date du jugement. On m’a également promis que je bénéficierais du maximum d’indulgence dans le dossier d’accusation. On m’a enfin promis que je serais condamné à une peine maximum de deux ans de prison. Ces promesses ont été répétées à de nombreuses reprises. Pourtant, à la fin du tournage, ils n’en ont honoré aucune. D’après les informations décrites ci-dessus, j’ai été soumis à des formes diverses et variées de tortures psychologiques et physiques en violation des sections 1-9, 14-17 et de l’article 1 de « l’interdiction de l’acte de torture ». (Cet acte) a été approuvé par le Parlement en 2004. Selon l’article 4, les confessions que j’ai livrées ne sont pas recevables, car j’ai effectué la majorité des confessions pour atténuer les pressions exercées sur ma famille et mes amis.
Après 17 mois de détention « temporaire », je me trouve toujours dans l’incertitude la plus totale. Je n’ai jamais été autorisé à rencontrer mon avocat. Étant donné la taille du dossier, et la nature des accusations portées contre moi, il m’est nécessaire de recourir à un expert en informatique qui acquière la confiance du pouvoir judiciaire avec un accès à mon avocat. J’ai également besoin d’un endroit équipé avec du matériel informatique (comme internet) pour préparer ma défense. Par conséquent, j’aimerais demander que ma requête de libération sous caution soit accordée, et que je reçoive le matériel mentionné ci-dessus. »
(Source : Comitee of Human rights Reporters)