Son emprisonnement avait indigné le Festival de Cannes. La lettre qu’il nous avait envoyée de prison avait ému le monde entier. Sa libération avait été le fruit d’une importante mobilisation dont la Règle du Jeu est fière d’avoir participé. Mais la République islamique d’Iran n’avait pas dit son dernier mot.

Et la nouvelle est tombée aujourd’hui comme un véritable coup de poignard. La branche 26 du Tribunal révolutionnaire vient de condamner Jafar Panahi à six ans de prison, selon son avocate Farideh Gheyrat, dans un entretien à l’agence de presse iranienne ISNA. Mais ce n’est pas tout. Le Réalisateur iranien, l’un des plus talentueux de sa génération, a également été condamné à 20 ans d’interdiction de réaliser des films, d’écrire toute sorte de scénario, ou d’effectuer des interviews avec la presse iranienne ou étrangère.

Selon son avocate Farideh Gheyrat, qui explique avoir été informée de la peine samedi, Jafar Panahi a été condamné pour « rassemblement et collusion contre la sécurité nationale et propagande contre la République islamique « .

Hormis Jafar Panahi, un autre réalisateur iranien, Mohammad Rassoulof, a lui aussi été condamné à six ans de prison. Les deux cinéastes avaient été arrêtés ensemble le 1er mars dernier, par des agents de sécurité, au domicile de Panahi en compagnie de la femme et de la fille de celui-ci. Le ministère iranien de la Culture et de la Guidance islamique les avait accusés d’avoir “préparé un film de propagande contre le régime portant sur les événements post-électoraux”, en référence aux manifestations qui ont suivi la réélection contestée du président Ahmadinejad en juin 2009. Tandis que Rasoulof a été libéré sous caution le 18 mars suivant après avoir demandé pardon, Jafar Panahi n’a été relâché que le 25 mai, après une importante mobilisation internationale de soutien, ainsi que le versement d’une caution de 150 000 euros. On se souvient notamment des deux poignantes lettres que le réalisateur iranien avait envoyées de prison à la Règle du Jeu, et qui avaient provoqué l’émoi à Cannes.

Quel crime a commis Jafar Panahi?

Il avait apporté son soutien au Réformateur MirHossein Moussavi, pourtant l’un des candidats officiels du Régime islamique, lors de la campagne présidentielle de juin 2009. Cet appui était une réponse à la politique d’étouffement et de censure dont ont été victimes les artistes iraniens depuis l’accès à la présidence de Mahmoud Ahmadinejad en 2005.

Pourtant, les films d’auteur de Panahi traitent essentiellement de la société iranienne et n’ont jamais critiqué directement le pouvoir ou la religion. En dépit de leur succès international, ils ont été pour la plupart censurés en République islamique. Malgré cela, le réalisateur iranien, contrairement à nombre de ces confrères, a toujours mis un point d’orgue à travailler en Iran.

Depuis les événements de juin 2009, et après l’expulsion de l’ensemble des journalistes étrangers, le réalisateur a multiplié les interviews à la presse internationale afin de témoigner de la réalité du pays. Fin août dernier 2009, Panahi avait arboré une écharpe verte, couleur de l’opposition iranienne, lors du Festival du film de Montréal. A son retour, il s’est vu confisquer son passeport – et donc interdire la sortie du territoire -, ce qui l’avait déjà empêché de se rendre en février dernier au festival du Film de Berlin, dont il était pourtant l’invité.

Jafar Panahi a le prix de la caméra d’or à Cannes en 1995 pour Le ballon blanc, l’odyssée d’une jeune fille dans les rues de Téhéran. Cinq ans plus tard, il décroche à la Mostra de Venise le « Lion d’or » pour Le Cercle, film traitant de la condition des femmes en Iran avant de revenir, en 2003, à ses premiers amours, Cannes, où il se voit décerner le prix « Un certain Regard » pour Sang et Or, œuvre décriant le fossé entre les classes sociales. En 2006, il remporte enfin, à la Berlinale, l’Ours d’argent pour Offside, dont le combat d’Iraniennes interdites de pénétrer dans un stade de football constitue le noeud de l’action.

Aujourd’hui, Jafar Panahi, ancien assistant d’Abbas Kiarostami, est à 49 ans l’un des cinéastes de la “nouvelle vague” iranienne les plus connus à l’étranger. Le 6 décembre dernier, le cinéaste iranien avait été invité à participer au jury de la prochaine session de la Berlinale, qui se tient du 10 au 16 février 2011 dans la capitale allemande.

La nouvelle est terrible. Le constat est amère. Une libération sous caution ne veut plus strictement rien dire en République islamique d’Iran. Après avoir remporté en mai dernier un merveilleux combat, et savouré sept mois de liberté ô combien mérités, le fantastique cinéaste iranien est condamné à passer les six prochaines années de sa vie derrière des barreaux, symbole de l’anéantissement des toutes dernières formes de contestation dans l’Iran d’aujourd’hui. Pire, le talentueux réalisateur, est désormais privé de son droit le plus cher, celui d’exercer son métier. À nous, mais aussi à l’ensemble de la communauté internationale et du monde des artistes de ne pas oublier qu’en mai dernier, ce n’est que grâce à une union internationale, qu’il avait pu être libéré.

2 Commentaires

  1. Décidément, ce pays ne veut vraiment pas nous montrer ses atours mais uniquement ses vilénies. C’est tellement dommage de gâcher des vies ainsi alors qu’un peuple libre et heureux aurait toutes les raisons de maintenir un chef d’Etat en place. La terreur ne peut que mener à des élections truquées qui ne trompent personnes. Je ne comprendrai jamais ce mode de fonctionnement. Que ce soit en France ou en Iran, nos dirigeants ont pris goût à ce qu’il y a de plus détestable.

    Et pourquoi ne lancez-vous pas une pétition ? Je sais bien qu’il n’y a pas d’effet magique avec nos signatures mais ça sauve quand même des vies ! Ça vaut la peine d’essayer …