La Cinémathèque idéale du magazine Transfuge.
A l’occasion de la projection de « 11 fioretti de saint François d’Assise » de Roberto Rossellini au cinéma Saint-Germain, Yann Moix donne un avant-goût du débat qu’il animera ce mardi 18 janvier.
Pourquoi avez-vous choisi Rossellini?
J’ai choisi Rossellini parce que, tout simplement, il est mon réalisateur favori. J’ai vu absolument tous ses films, les documentaires animaliers de ces débuts, sa trilogie dite « fasciste » (parce que produite par le fils Mussolini), ses grands chefs-d’œuvre célèbres, mais aussi l’intégralité de ses films didactiques réalisés pour la télévision italienne, sans omettre son documentaire sur Beaubourg en travaux bien sûr, ni la messe qu’il a filmée pour la RAI quelques mois avant sa mort. Je n’oublie pas, non plus, toute sa série sur l’Inde, sur l’homme à travers les âges ou sa saga sur… les métaux. Oui, je l’avoue, je suis un rossellinien accompli, en tous les cas, studieux. Je dois beaucoup à la Cinémathèque, dont la rétrospective Rossellini en 2005 a été, il faut le dire, totalement, fabuleusement complète, parfaite, intelligente, intégrale.
Pourquoi ce film peu connu?
Vous savez, la plupart des films de Rossellini restent totalement méconnus. On connaît Rome, ville ouverte et Allemagne année zéro, on connaît Stromboli, on connaît Voyage en Italie et un peu Europe 51, mais ses quarante autres films passent généralement à la trappe. Son Louis XIV est pourtant un sommet, il a fait un Pascal (avec Arditi dans le rôle-titre !), un Saint Augustin, un Socrate, un film de sept heures sur les Médicis, un film génial sur l’Inde, India 58, il a adapté La voix humaine, de Cocteau… Et il s’est même essayé à la comédie, avec La machine à tuer les méchants, un nanar incroyable… Il a adapté Stendhal, avec Vanina Vanini, etc., etc. Toute son œuvre ou à peu près est, sinon inconnue, du moins méconnue. C’est une œuvre, non à redécouvrir, mais à découvrir. Ce qui lui a fait beaucoup de mal, à cette œuvre, c’est son intellectualisation outrancière, dans les années 50 et 60, par les critiques, notamment des Cahiers, que Rossellini méprisait doucement, en riant dans sa barbe. Ce en quoi il était un peu injuste car Truffaut, Godard et leurs amis ont fait beaucoup pour faire connaître ses films qu’ils portaient, à juste titre, aux nues, et dont il se sont très largement inspirés. Mais il est vrai que l’étiquette de « néo-réalisme » a fait du mal à Rossellini, à sa réputation, faisant de lui quelque chose qu’il n’a jamais été : un intellectuel ennuyeux. Il était intelligent, mais ce n’était pas un intellectuel. Son œuvre est physique, puissante, presque « sportive ». Elle est épuisante. Cela va peut-être vous étonner, mais pour moi, son successeur véritable est William Friedkin. French Connection est bourré de références, volontaires ou non, à Païsa et à Rome, ville ouverte.
De quelle façon la religion est-elle traitée dans ce film?
Contrairement à la plupart des films qui traitent de mystique, Rossellini rend ici quelque chose de fondamental et propre à la religion, et en particulier aux franciscains : la joie. Pas la gaieté, car la gaieté est athée, ni les larmes : mais la joie. La joie est quelque chose de mystique. Nous sommes loin de Thérèse, d’Alain Cavalier, film porté aux nues qui, à mon avis, rate le sujet de la petite sainte de Lisieux, à cause de son austérité justement. Rossellini et saint François une approche assez identique de la mystique : retour à la nature, aux éléments naturels, mais ils s’érigent contre les dogmes, contre l’Eglise dogmatique, pour développer une conception « hors-piste » de la foi. Ils ne veulent pas vraiment faire « école », au sens où l’école édicterait des lois, des règles intangibles. Ils préfèrent, comme dans la dernière scène du film, donner une direction, puis que chacun parte de son côté, sans vraiment de disciple, mais avec une discipline de vie interne, sur mesure : libre. François, comme Roberto, fut laïc. Il s’est converti, mais à l’âge de vingt-cinq ans… Il a d’abord vécu hors de l’Eglise, et, à mon sens, y est toujours resté. Le franciscanisme est-il la dernière communauté monastique, se demande notamment Jacques Le Goff, ou la première fraternité moderne ? Toute la question est là, évidemment, et y répondre n’est pas simple.
En ce qui concerne le débat, après la projection, pouvez-vous nous dire (sans trop développer) quelles seront les questions abordées?
J’aborderai la personnalité de saint François d’Assise et celle de Roberto Rossellini, et mêlerai les deux œuvres…. Roberto Rossellini a eu une vie dissolue, comme François… Tous deux ont une légende, dans laquelle il semble difficile de démêler le faux du vrai. Et qu’importe ! C’est une même énergie qui les fonde, un amour des êtres, des enfants, et surtout, la proximité d’une femme. Claire, pour François. Et pour Rossellini, la Magnani au début, puis surtout, à partir de la fin des années 40, Ingrid Bergman. Mais j’insiste vraiment sur l’amour des enfants et de l’enfance, à mon avis fondamental chez ces deux génies. C’est là-dessus que François fonde sa foi. Les simples, les humbles, les « Mineurs », nom de sa compagnie, ce sont en définitive des enfants, des êtres-enfants, et surtout, l’enfance, en mystique, opère une proximité avec le Christ. C’est un retour au Christ qui, comme chacun sait, propose une théologie de l’Enfance, de l’Enfant-Jésus. La mort de jeune fils Romano, à neuf ans, a été un choc déterminant dans la vie de Rossellini… Il a préparé un de ces films, Païsa je crois, depuis une cabine téléphonique qu’il avait fait installer près du cimetière qu’il ne quittait plus.
Et pourriez-vous nous donner trois mots pour définir ce film et nous donner envie d’aller le voir?
11 fioretti de saint François d’Assise est un monument : mais un monument humain, humble, frêle, à l’image du saint qu’il décrit. C’est un film fragile, amoureux de la vie, qui saisit des instants que le cinéma, habituellement, oublie de saisir ou ne sait pas saisir. On a une sensation de liberté totale, d’improvisation, de folie, de virtuosité, mais surtout, nous nous attachons aux personnages comme rarement. Xavier Beauvois, avec Des hommes et des dieux, approche parfois la grâce rossellinienne. Bref, 11 fioretti est un chef-d’œuvre, un des plus beaux films jamais réalisés sans doute.
Propos recueillis par Olivia Rodriguez
La cinémathèque idéale de Transfuge
Projection de 11 fioretti de Saint-François d’Assise
De Roberto Rossellini
Suivie d’un débat avec Yann Moix
Mardi 18 janvier 2011 à 20h
Au cinéma Saint-Germain des Prés
22, rue Guillaume Apollinaire
75006 Paris
* La projection sera suivie d’un verre offert au café Les Deux Magots
11 fioretti de Saint François d’Assise
Film de Roberto Rossellini
Avec : Frère Nazario Gerardi, Aldo Fabrizi, Arabella Lemaitre
Durée : 01h15min
Date de sortie cinéma : 7 mars 1951
Synopsis : En 1210, le pape Innocent III valide et reconnaît l’ordre franciscain qui prône une pauvreté matérielle absolue. Revenant de Rome, François et ses disciples se retirent dans une petite chapelle bâtie de leurs mains : la Portiuncula de Sainte-Marie des Anges, près de la ville d’Assise. Vivant de l’aumône, ils y façonnent les principes de leur enseignement, avec une béatitude et une humilité quotidiennes…
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