On a dit trop de mal de Sofia Coppola et de son dernier film Somewhere assassiné par une injuste critique et des spectateurs à l’esprit étriqué. Un papier, celui d’Elodie Emery dans Marianne résume en une phrase l’ensemble des critiques qui tournent en boucle depuis la sortie du film : « […] Sofia Coppola est arrivée au sommet de son art : pas de scénario, pas de dialogues, pas de jeu d’acteurs, et à la clé, un ennui inqualifiable pour le spectateur. » Il y avait de quoi rebuter jusqu’aux plus intrépides cinéphiles… Qu’importe ! Casse-cou, je suis pourtant allé au cinéma et, contre toute attente, j’ai vu un film bien diffèrent de ce qu’on pouvait imaginer. Oui, le quatrième long-metrage de la réalisatrice américaine est une belle œuvre, c’est même un objet d’Art Moderne fin et subtil que l’on doit commenter. J’ai aimé Somewhere et contre l’avis dominant, je défends le film de Sofia Coppola ! Pour commencer, il faut vous dire que Somewhere ne raconte pas une histoire, c’est plutôt un projet : le film dépeint une tranche de vie, celle de Johnny Marco, acteur à succès menant une vie à la fois hédoniste et dissolue. Pas d’extraordinaire dans Somewhere, pas d’héroïsme ni de bravoure, juste une chronique des petites mesquineries et autres infimes plaisirs d’une existence a priori rêvée. Au Château Marmont de Los Angeles, fameux repère de stars, Marco boit, fume et se couche tard. Il ne drague pas vraiment (toutes les créatures qui peuplent l’hôtel lui tombent dans les bras avant même qu’il ne claque les doigts). Marco fornique donc toutes les nuits et se lève tard. Entre deux passages obligés par la case « promo » de son dernier film, Johnny Marco s’efforce de passer le temps. On devine déjà, derrière le personnage de jouisseur que Coppola met en scène, un esprit trop lucide sur le monde qui l’entoure (d’où une certaine forme de malheur, d’où aussi la volonté, urgente, de s’aveugler). Le film s’ouvre sur une scène qui a elle seule résume la superficialité qui peut être celle de la vie des stars et autres privilégiés : sur une piste en plein désert, notre Johnny tourne en rond au volant de sa puissante Ferrari noire. Le spectateur prend alors toute la mesure du film et de ce titre, énigmatique, à la base provisoire, Somewhere. Somewhere car Johnny Marco se trouve quelque part, perdu à un moment de la vie où l’on devrait normalement faire des choix professionnels et familiaux conditionnant le restant de son existence. Seulement, rapidement, on comprend le désarroi d’un Johnny Marco qui est plus anywhere (nulle part) que somewhere (quelque part). Comme souvent chez Coppola, les héros sont en proie au doute qui ravage et le film fait la part belle aux plans introspectifs qui durent en longueur. Comme son héros, Somewhere est contemplatif et halluciné. Il ne va pas à cent à l’heure et c’est tant mieux. N’est-on pas fatigué de ce cinéma qui va trop vite, trop fort, tout le temps ? N’est-on pas lassé de cette surenchère d’effets spéciaux et d’action à outrance, phénomènes qui vulgarisent et decomplexifient le propos ? Coppola, elle, va à contre courant et c’est tant mieux. D’ailleurs elle annonce vite la couleur : son premier plan traine en longueur. Parfait ! Somewhere, comme hier Lost in Translation et Virgin Suicide, prend le temps de trainer. Je m’étonne que l’on s’en offusque ! La cinéaste se focalise sur des détails. C’est une marque de fabrique. De la même façon, la réalisatrice ne filme pas tout des scènes qu’elle propose mais juste son essentiel à elle. Parfois l’action se joue ailleurs, parfois, c’est vrai, le primordial ne devrait plus être Johnny Marco mais ceux qui l’entourent. Seulement l’art de Coppola fixe parfaitement quelques obsessions artistiques. Parmi elles, délicieuse, la suggestion.

Tout de suite après la scène de la Ferrari noire dans le désert, on retrouve Johnny Marco allongé sur son lit dans sa chambre du Château-Marmont. Devant lui deux playmates toutes droit sorties de la Mansion de Hugh Heffner (le créateur de Playboy) se dandinent déguisées et pole-dansent. Les deux blondes qui se déhanchent sont des cruches et le visage de Johnny, lorsqu’il esquisse enfin un sourire, semble plus moqueur que comblé par le spectacle. Ainsi Sofia Coppola n’est pas totalement dépravée ! Certes Johnny Marco enchaîne les plaisirs mais il sait, en définitive, que le bonheur est ailleurs. Playmates comprises, la gent féminine est bien le fil rouge de Somewhere où l’on voit défiler beaucoup de mannequins à la plastique parfaite mais pas seulement. Des figures plus profondes traversent furtivement mais remarquablement le film. D’abord et surtout le personnage de Cleo, fille de Johnny. Cleo a peut-être 11 ans. Elle est en admiration devant son acteur de père. Elle est en admiration mais elle est aussi jalouse de toutes ces femmes qui lui tournent autour. Elle est en admiration mais, malgré son jeune âge, elle déteste la figure paternelle lorsque celle-ci, humaine, trop humaine, cède à ses pulsions. Indéniablement, Sofia Coppola fait parler ses références. Parmi ces autres créations qui inspirent la cinéaste, on trouve sans doute la série a succès Californication dont elle reprend le schéma narratif. La vie d’artiste d’Hank Moody (ici Johnny Marco), le penchant hyper-moralisateur d’une pre-adolescente qui malgré son jeune âge semble avoir tout vécu – Becca dans Californication (dans Somewhere ce serait Cleo). Dans la serie, Hank Moody est écrivain. Dans Somewhere, Johnny Marco est acteur. Dans Californication, le héros conduit une Porsche (noire), dans Somewhere plus de Porsche mais une Ferrari. La série de HBO fixe son intrigue à Los Angeles, de même pour le film de Coppola. Et pour finir, Hank et Johnny cherchent tous deux à renouer contact avec la mère de leur enfant qui s’est (surement) enfuie du fait de leurs frasques respectives. Sans trahir le film, on peut dire un mot de ces perles qui jalonnent Somewhere : cette scène montrant l’envers du décor – plus du tout glamour – d’un Hollywood mythifié mais également ce passage plein de décalage où l’on voit Marco se passionner pour la vie et l’action politique de Gandhi. D’un côté l’action désintéressée au service de la communauté, de l’autre l’égoïsme d’une « star » sans message. Dernier point fort du film, sa bande-son impeccable ( The Police, Sebastien Tellier, Phoenix), une habitude chez Sofia Coppola. Finalement, des points forts, il y en a ! Finissons donc en martelant ce message : Somewhere n’est superficiel qu’aux yeux de ceux qui veulent y voir du vide nihiliste. De tous les avis que j’ai lu, pas un mot sur la critique que propose Coppola au sujet de l’Italie berlusconienne, pays musée, zone d’action télévisée des bimbos siliconées. Pourtant elle sonne très juste. Mais j’oubliais, ceux qui donnent leur avis font parfois mal leur travail !

4 Commentaires

  1. […] "Somewhere" de Sofia Coppola ♥ Cela fait des années que je le répète : le cinéma de Sofia on l’aime ou on ne l’aime pas, mais manifestement jamais  on ne le quitte. Bien au contraire, on y retourne à chaque fois comme le dernier évènement à la mode sans même se soucier du synopsis et forcément cela laisse des traces… J’ai pour ma part-puisqu’à chaque fois que l’on parle de Sofia dresser le bilan il faut-aimé sans réserve « Virgin Suicide » ainsi que son  « Marie Antoinette » et pas du tout accroché à « Lost in Translation » pour ne pas dire détesté. C’est qu’avec Sofia, j’ai du mal à détester, parce qu’au fond- et « Somewehere » en est une parfaite illustration-l’intention est là, mais comme je le disais au sujet de « Venus Noire« , la cinéphile que je suis ne peut se contenter de déclarations, la démonstration doit s’exprimer clairement et simplement sur la pellicule sans qu’il faille en discuter des heures . […]

  2.  » …. assassiné par une injuste critique et des spectateurs à l’esprit étriqué.  »

    Comme vous y allez !
    Je n’ai pas aimé Somewhere et je n’ai pas l’esprit étriqué.
    Si j’étais critique de cinéma – ce que je ne suis pas et vous non plus, semble t-il – j’assassinerais ce film.
    Vous pensez avoir le monopole du bout goût ?
    Vous pouvez donner votre avis sans mépriser ceux qui pensent différemment de vous.
    Tout oeuvre est critiquable, n’est-ce pas ? Vous tombez dans le même travers que ceux que vous critiquez.

  3. Premier passage sur ce site, première lecture et premier merci.
    Car oui, Somewhere est un bon et je vous félicite de l’écrire.

    Continuez « de prendre le temps » de dire les choses.

  4. D’accord en tous points avec votre critique, ce film est bien meilleur que ne le laissait entendre la critique.
    Cordialement,
    D. Larroque