Une réforme importante sera prochainement débattue à l’Assemblée Nationale : 120 députés de droite emmenés par Jacques Domergue portent en ce moment une proposition de loi visant à limiter le cumul des mandats d’administrateurs à 3 sociétés cotées, au lieu de 5 actuellement. Dans les faits, les hauts lieux de décisions des entreprises membres du CAC 40 sont particulièrement ciblés.

La démarche pourra sembler timide dans la mesure où elle ne vise certainement pas à restreindre les possibilités de cumul aux instances de 3 Sociétés Anonymes, mais seulement à celles présentes sur un marché boursier. L’initiative des parlementaires a toutefois le mérite de rappeler l’étendue de la pratique de cooptation mutuelle entre les quelques décideurs des fleurons de l’économie française et les problématiques qui en découlent, dont le cas d’Henri Proglio, simultanément Président non Exécutif de Veolia et PDG d’EDF n’était finalement qu’une illustration caricaturale.

Dérangeante lorsqu’elle concerne nos champions économiques internationaux, le cumul des mandats relève d’une pratique inadmissible lorsqu’elle atteint les sphères du pouvoir politique, tant elle contrevient aux principes démocratiques. Elle semble pourtant y être tout aussi répandue.

La France détient, et de très loin, le triste record du plus grand nombre de cumulards pour un parlement de pays développé. En France, plus de 8 parlementaires sur 10 sont également élus locaux. Une proportion inverse à nombres d’Etats voisins (Italie, Allemagne, Espagne) où seuls 10 à 20% des parlementaires cumulent avec un mandat local. L’Institut Montaigne recommandant une limitation drastique du cumul des mandats remarque à ce sujet : « en France, le cumul est la règle, le non cumul l’exception ». Pour ajouter à l’ineptie, ce ratio est légèrement plus important parmi les députés que chez les sénateurs, alors que ces derniers pourraient arguer à contrario des députés, qu’ayant en charge la représentation d’un territoire, être également élu local fait sens.

Plusieurs arguments devraient convaincre de la nécessité de mettre un terme aux possibilités de cumul pour nos députés.

On notera tout d’abord que le cumul des mandats est une modalité contemporaine de la concentration des pouvoirs et un obstacle à la vitalité démocratique. Le cumul constitue un barrage supplémentaire au renouvellement de la classe politique, à la parité, et plus largement à l’expression d’une certaine pluralité. Restreindre le cumul favoriserait mécaniquement l’élection de profils peu présents à l’Assemblé Nationale, comme les employés du secteur privé, les naturalisés, les jeunes.

On remarquera ensuite qu’en limitant le cumul on prévient mécaniquement les possibilités de conflits d’intérêts. En effet, ceux-ci sont toujours favorisés par la position qu’occupent quelques personnes clés dans plusieurs espaces de pouvoir. De ce point de vue, le livre de Martin Hirsch « Pour en finir avec les conflits d’intérêts » fait figure de plaidoyer éloquent. L’ancien Haut-Commissaire observe à juste titre qu’au fondement des conflits d’intérêts se trouvent toujours ou presque une personne détentrice de plusieurs pouvoirs qui auraient dus être rigoureusement séparés. Dans le cas qui nous préoccupe ici, celui des députés élus locaux, le double mandat incite par exemple les parlementaires à jouer la carte du « local », défendant de fait un intérêt particulier, plutôt que de se préoccuper de définir les lois en fonction de leurs visions de l’intérêt collectif.

Le cumul est aussi au fondement d’une forme peu apparente mais bien certaine d’asymétrie lors d’élections locales. Dans un pays resté très centralisé, les électeurs auront toujours une faible préférence pour le candidat bien introduit dans les hauts-lieux de pouvoir, plus à même de faire théoriquement valoir leurs intérêts. Véritable « prime au présumé influent » cette réalité renforce encore le carriérisme politique des députés cumulards.

Mais la conséquence la plus fâcheuse du cumul des mandats, reste bien entendu le calamiteux taux d’absentéisme qui frappe notre parlement. Qui n’a jamais vu les images de ces bancs très clairsemés, presque vides du Palais Bourbon à l’occasion d’un vote important? Début octobre, ils n’étaient ainsi qu’une soixantaine de députés à voter la majorité des articles du controversé projet de loi relatif à l’immigration, l’intégration, la nationalité. Restreindre les possibilités de cumul permettrait à nos députés de se consacrer pleinement à leur tâche, ce qui améliorerait considérablement l’efficacité de leur action législative.

Le cumul des mandats est une particularité française à laquelle il convient de mettre un terme. Pour le faire avec adresse il faut s’intéresser aux raisons invoquées par les parlementaires pour justifier cette situation unique au monde. Comme le souligne le spécialiste en droit public Guy Carcassonne, « Le cumul des mandats est une plaie. Il faut la cautériser, mais rien n’interdit de le faire intelligemment ».

La première explication qu’avancent nos députés, c’est la précarité bien réelle du statut de l’élu français. Au-delà des démagogiques considérations sur la rémunération – si celle-ci semble importante, elle est en cohérence avec le niveau de responsabilités – il y a en France fort à faire pour mieux protéger l’élu.  En effet, le retour à la vie civile d’un élu français se fait souvent dans des conditions épouvantables : aucune indemnité de chômage, difficile valorisation de l’expérience d’élu sur le plan professionnel. Cette situation incite sans doute nos représentants à mener une véritable course aux mandats afin d’éviter les lendemains difficiles.

La seconde raison à cette pratique, c’est la nécessité de rester connectée au terrain. A l’examen cet argument semble abusif. D’abord parce le travail de député, à savoir faire les lois, ne nécessite pas d’être connecté à une localité précise. Ensuite parce que rien n’interdit à un député de tenir permanence dans le lieu de son choix et d’aller à la rencontre de ses concitoyens autant qu’il le souhaite. Là encore des dispositifs incitatifs pourraient être imaginés afin de permettre aux députés de mieux saisir le quotidien des français.

Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons enfin mettre un terme à une pratique affaiblissante pour notre démocratie, tout en répondant aux légitimes attentes de nos parlementaires.

Un commentaire

  1. Bonjour,

    “En effet, le retour à la vie civile d’un élu français se fait souvent dans des conditions épouvantables : aucune indemnité de chômage, difficile valorisation de l’expérience d’élu sur le plan professionnel.”

    Vous ne semblez pas être au courant des textes votés par le parlement sur les indemnités longues durées chômage/perte d’emploi, et l’exploitation du carnet d’adresse… sans parler des avantages retraites et autres (emprunts, etc)…

    Il serait temps que les Français qui représentent la France d’en haut rejoignent les problématiques de la France d’en bas qui n’a pas tous ces privilèges (au nom de quoi !).

    C’est la valeur des Hommes et des Femmes qui font leur carrière et, non de s’accrocher à leurs petits privilèges qui deviennent de grands cumuls…sans parler des transferts vers le privé ou des des grands fauteuils bien planqué de certains politique…

    Arrêter de faire des articles les plaignants alors que ce sont des vrais nantis…

    Vous devriez jeter un “bon coup d’oeil le plus exhaustif possible” au budget des Assemblées qui passent leur temps à bien gérer (dissimuler) leur trésorerie. La dernière fois où cela a été regarder, le gouvernement avait récupéré quelques milliards de francs…Ils sont aussi fort que le CAC 40 pour faire des provisions bien organisées et dissimulées légalement.

    Merci de votre attention et vous remercie de bien vérifier ce que vous écrivez.

    Cordialement.

    Laurent Gallavardin.