Deux semaines jour pour jour après la soirée des vingt ans de La Règle du Jeu au café de Flore, nous retrouvions hier, mardi, Bernard Henri Levy au cinéma le Saint Germain. Invité de la revue Transfuge, le philosophe s’attelait au commentaire d’ « Espoir », film écrit et réalisé par André Malraux au cours de la Guerre d’Espagne.

A l’entrée dans la salle, déjà une bonne surprise : les 300 sièges du Saint Germain étaient occupés (on trouvait même plusieurs dizaines de personnes debout tout le long de la séance – sans compter les 2 à 300 personnes qui n’ont pas pu entrer du tout et qui ont dû rebrousser chemin). Malraux, ses engagements, son courage, sa personnalité captivent donc toujours et c’est déjà une première réponse apportée par le public lui-même à la question posée par Vincent Jaury: Lire Malraux a t-il encore un sens ?

Peu après 20h00, la séance commence. Alors débute l’art génial et touchant de Malraux qui tourne, en pleine guerre d’Espagne « Sierra de Terruel » (plus tard intitule « Espoir »), film qu’il destine à la sensibilisation des opinions mondiales. A n’en pas douter l’œuvre aurait pu connaître un destin majeur si son exploitation n’avait pas été freinée par l’arrivée de la Seconde Guerre Mondiale.

Loin aujourd’hui d’être éclipsée par d’autres conflits armés, la guerre d’Espagne, cette « guerre des intellectuels » demeure fascinante. Fascinante car elle porte en elle les racines du mal : avoir laissé tomber l’Espagne, l’avoir livrée aux franquistes, c’est là le péché originel des nations d’Europe. Fascinante aussi car, en prise immédiate avec l’horreur de la guerre, Malraux, son film, ses brigades internationales font preuve d’espoir et d’un infini courage. Face à l’adversité, même lorsqu’on devinera la fin proche, Malraux continuera de mettre sa vie en danger et d’activer ses réseaux politiques. A l’heure du commentaire de l’œuvre, Bernard-Henri Lévy reviendra sur ce point. Malraux est évidemment courageux et il l’est aussi, surtout, car il aime l’idée de courage. Bien vite, on voit se dessiner des correspondances intéressantes entre l’ouvre de Malraux et la pensée de Bernard-Henri Lévy : une vraie philosophie de l’engagement.

Le commentaire de l’œuvre va bon train. On évoque Orwell et Dos Passos. Une question de la salle revient sur le thème de l’emprise stalinienne sur le camp républicain. Au gré des questions du public, « Espoir » est décortiqué tant dans son fond philosophique que dans sa forme cinématographique. On pouvait ainsi attendre d’un film datant de la guerre d’Espagne qu’il eût vieilli exagérément et apparaisse aujourd’hui largement dépassé. Il n’en est rien. « Espoir », malgré ses techniques qui empruntent au cinéma soviétique et au néo-réalisme italien est résolument moderne. Le message qu’il livre sur la guerre et la façon de la faire tout en la détestant est hyper actuel. Sans surprise, l’œuvre parle au public et les questions s’éloignent de la guerre d’Espagne pour toucher, par ricochets, d’autres terrains de bataille : l’Algérie, la Bosnie.

La Bosnie justement… Se joue maintenant un dialogue à trois entre BHL, Gilles Herzog et Djenabah Bakary, sur Bosna ! et le projet de créer des brigades internationales pour la Bosnie alors que la guerre y faisait rage. On parle enfin de la dimension philosémite de Malraux. Sur les coups de 22h, la discussion se prolonge entre passionnés aux Deux-Magots.

A Saint Germain, il n’y a pas que starlettes et paillettes. Il y à d’abord et surtout des idées en mouvement !

2 Commentaires

  1. Mon grand-père avait embarqué à bord du dernier bateau en partance pour Alger avant que Franco ne cadenasse le rivage. Il y avait laissé sa famille dans l’espoir de délivrer son pays des fascistes. L’espoir, qui ne fit que grandir dans la blessure d’un désespoir qui avait pris la forme, mi-négative, mi-positive, d’un anticléricalisme de feu qui réchauffa le cœur de tous ceux qui se sont approchés des vieux républicains d’Espagne. Et puis, ce fait qui en dit long sur les rapports entre culture et politique… Rendant visite à la famille retenue en otage, Tia Isabel avait rencontré un homme à Alicante, où elle, qui aurait pu faire sa vie en France parmi les hommes libres, avait choisi de rester enchaînée à l’amour comme à la Guardia civil. Je me souviens aussi qu’elle ne pouvait pas prononcer de nom de Franco sans le faire précéder d’un «cet abruti de», cocktail de mépris et d’aquoibonisme typique des vaincus.
    La question est de savoir si l’un de nous serait prêt à monter à bord d’un Potez-25, direction Pyongyang, Téhéran ou Khartoum… Or un tel sacrifice exige un projet à la hauteur de ce sacrifice. L’idée d’une Cité idéale, régie par un système politique universellement adoptable, valant qu’on lui donne sa vie. Je suis de ceux qui ne désespèrent pas qu’un tel monde voie le jour mais j’aurais beaucoup de mal à m’embarquer vers ce jour en compagnie des réalisateurs de rêves. Le matériau des rêves, même prémonitoires, a pour seul fournisseur le royaume d’Hier. Or la Cité à laquelle nous pensons n’a jamais vu le jour.