Il n’est jamais trop tard pour s’exprimer. Un mois et demi après l’arrestation de ses deux journalistes en compagnie de Sajjad et de Houtan Kian, le fils et l’avocat de Sakineh, l’hebdomadaire allemand Bild am Sonntag a enfin appelé à la libération de ses deux journalistes retenus en Iran sous l’accusation d’espionnage. Par ces mots, le tabloïd allemand reconnaît que les deux citoyens allemands arrêtés font bel et bien partie de sa rédaction… une information que nous vous donnions il y a déjà six semaines.

« Nous avons longtemps espéré qu’un travail silencieux de diplomatie permettrait la rapide libération de nos deux collègues », a expliqué le rédacteur en chef du journal Walter Mayer dans un commentaire publié en première page. Pourtant, l’histoire récente montre que seule la médiatisation immédiate du nom d’un détenu politique en Iran pouvait faire pression sur les autorités et aboutir à sa libération. Prenez par exemple les cas des journalistes Roxana Saberi et Maziar Bahari, du cinéaste Jafar Panahi, ou encore de la Franco-iranienne Nazak Afshar, tous libérés après quelques mois. Au contraire, les autorités iraniennes poussent les familles à se taire en leur promettant une issue favorable, avec pour seul effet un prisonnier anonyme qui sombre dans l’oubli, la famille du blogueur iranien Hossein Derakhshan, qui a gardé le silence pendant deux ans, peut en témoigner.

L’hebdomadaire allemand brise timidement le silence. S’il reconnaît que les deux journalistes travaillaient pour sa rédaction, allant même jusqu’à publier en première page leurs photos (c’est un tabloïd), il ne dévoile toujours pas leur nom. Et c’est incompréhensible. Car les charges d’espionnage qui pèsent sur les deux hommes sont très lourdes en Iran. Ce sont les mêmes dont ont été accusés les deux randonneurs américains Shane Bauer et Josh Fattal, emprisonnés à Evin depuis juillet 2009. C’est la même charge qui pesait sur les frêles épaules de l’universitaire française Clothilde Reiss, retenue en Iran pendant huit mois. À chaque fois, au cours d’un long processus de détention et de marchandage, le prisonnier devient otage, puis monnaie d’échange, servant malgré lui les intérêts de l’Iran dans les négociations nucléaires ou de la libération de prisonniers (cf Ali VakiliRad, l’assassin de Shapour Bakhtiar, libéré par la France au lendemain de la libération de Clothilde Reiss).

Malheureusement, les deux journalistes allemands semblent voués à un tel sort. Surtout que les autorités iraniennes comptent jouer avec eux. Jouer avec l’absence de visa de presse officiel, visa qu’ils n’auraient de toute façon jamais obtenu s’ils en avaient fait la demande, ainsi que l’ont fait des centaines de journalistes étrangers condamnés à couvrir l’Iran de chez eux depuis juin 2009. Les accuser d’espionnage « est absurde », s’insurge l’hebdomadaire. « Les autorités iraniennes savent parfaitement bien qu’il s’agit de journalistes et de rien d’autre ».

Il n’est jamais trop tard pour s’exprimer. Après un mois et demi d’attente, Bild, en appelant pour la première fois à la libération de ses deux journalistes emprisonnés, n’a pas manqué d’appeler à celle des deux hommes pour lesquels ils étaient partis en Iran, Sajjad Ghaderzadeh et Houtan Kian, les derniers liens qui nous restaient avec Sakineh. Aujourd’hui, ces cinq personnes subissent le même sort tragique.

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, qui ne s’est jamais prononcé sur l’arrestation du fils et de l’avocat de Sakineh, a annoncé vendredi qu’il enverrait, en début de semaine, son représentant spécial pour le Proche-Orient Andreas Michaelis à Téhéran pour obtenir la libération des deux journalistes allemands. Gageons qu’il n’oubliera pas leurs trois autres compagnons d’infortune.