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Trois mois tout juste après avoir organisé les premières « confessions » de Sakineh, la télévision d’État iranienne a de nouveau mis en scène l’Iranienne, tenue au secret depuis le 11 août, dans un programme diffusé, ce lundi soir à une heure de grande écoute. Mais cette fois-ci, Sakineh n’est plus seule, puisqu’à son « interview » succède celle de son fils Sajjad, de son avocat Houtan Kian, et des deux journalistes allemands du Bild qui les interviewaient – tous les quatre emprisonnés depuis un mois.

Nous nous demandions comment allait réagir la République islamique à la mobilisation internationale sans précédent qui a empêché la pendaison de Sakineh le 3 novembre dernier. Nous avions obtenu de Téhéran quelques démentis traditionnels et vociférations de circonstance fustigeant l’ingérence occidentale. Rien de très nouveau. Puis nous avions été beaucoup plus préoccupés par les propos du procureur général de l’Iran, qui avait affirmé que la justice iranienne avait décidé de se focaliser davantage sur les charges de meurtre pesant sur Sakineh plutôt que sur l’adultère. Inquiétudes d’autant plus grandes que nous savons tous que Sakineh a été innocentée en septembre 2006 de ce meurtre, et que ce dossier, clos depuis quatre ans, a été dérobé, fin août, du cabinet de son avocat, ainsi que du bureau du juge islamique, laissant tout le loisir aux autorités iraniennes d’y ajouter à leur guise leurs propres éléments.

Mais nous étions à des lieues de nous douter que l’Iran irait jusqu’à reproduire pour Sajjad, Houtan Kian et les deux journalistes allemands, le même scénario sordide déjà infligé à deux reprises à Sakineh. En même temps, nous aurions pu le deviner. Une arrestation, un emprisonnement en cellule individuelle, pas d’accès à un avocat, et surtout, la torture… Il ne manquait plus que les « confessions » télévisées: la voie royale, en Iran, pour tout manifestant, politicien d’opposition, militant des Droits de l’Homme (mais désormais aussi avocat ou fils de condamnée) qui se respecte, était bouclée. Ces « aveux » pourraient faire sourire, tant la propagande gouvernementale iranienne qui y est servie est mauvaise, grossière, et éhontée. Mais ces aveux glacent le sang, tant le naturel des propos tenus par les protagonistes de ce funeste « show » à l’Iranienne, suggèrent les tortures qu’ils ont dû subir.

Le spectacle commence avec Sakineh, sur une musique inquiétante. Nous la retrouvons comme nous la connaissons tous. Enveloppée dans son célèbre tchador noir, mais le visage flouté, on ne l’a pour ainsi dire jamais vue de si près. Son teint est vif, son azéri natal articulé, loin de la femme illettrée que l’on nous promettait. Elle n’a jamais été aussi belle, Sakineh. Seul souci, cette magnifique femme est en train de s’autoproclamer « pécheresse », et annonce, selon les sous-titrages persans: «Il m’a demandé de l’aider à tuer mon mari. Il me promettait une vie plus libre, mais il m’a trompée», donnant raison aux affirmations gouvernementales relevées plus haut. Pourtant, il est nécessaire de rappeler que Sakineh a été innocentée de tout rôle dans le meurtre de son mari par décision du Tribunal de la province d’Oskou en septembre 2006, alors que la personne reconnue coupable, Issa Tahéri, est aujourd’hui libre.

Mais Sakineh Mohammadi Ashtiani n’est pas la seule femme à être discréditée dans cette émission. Mina Ahadi, la présidente du Comité international contre la lapidation, va dès lors subir les attentions toutes particulières du rédacteur chef, proportionnelles sûrement à l’énergie qu’elle met à défendre Sakineh depuis tant d’années. «Mina Ahadi, qui a utilisé le dossier de meurtre aggravé de prostitution de Sakineh à son avantage(…) fait partie des communistes anti-révolutionnaires. Elle a entamé ses activités anti-islamique contre la République islamique, avec la coopération des services de sécurité et de pouvoirs de l’Occident, en abusant du costume de défenseure des droits des femmes». Pour étayer leurs propos, les journalistes de l’émission diffusent alors des bouts d’interviews de la militante aux médias étrangers, coupés et traffiqués par leurs soins, pour n’en retenir que les phrases choc, comme celle où Mina Ahadi déclare avec joie que Salman Rushdie a signé la pétition de soutien à Sakineh, ou qu’elle a elle-même obtenu des récompenses pour ses articles dans la presse allemande, justifiant, selon eux, le caractère anti-révolutionnaire et opportuniste de l’Iranienne. Il est nécessaire de rappeler que Mina Ahadi, militante des droits de l’homme depuis vingt ans, est une des seules personnes qui a daigné répondre à la demande d’aide du fils de Sakineh il y a quatre ans.

Après la militante des droits de l’homme, c’est maintenant le premier avocat de Sakineh, Mohammad Mostafaei, qui a dû fuir l’Iran pour la Norvège, qui est blâmé. Mais le choc est d’autant plus grand, lorsqu’on se rend compte que ce n’est autre que Sajjad, le fils de Sakineh, qui va le fustiger. Sa voix est douce, innocente, c’est bel et bien lui. Lui qui avait décidé, malgré les risques, de défendre corps et âme sa mère en médiatisant l’affaire. Mais sa voix est hésitante aussi, triste, déprimée même. La fougue qui faisait sa force n’est plus. Qu’a-t-il dû subir, depuis un mois, seul dans un cachot ! «Mme Ahadi m’a donné le numéro de M. Mostafaei, et nous avons parlé avec lui », raconte au téléspectateur Sajjad. « Puis il m’a annoncé : ce dossier n’a aucune issue». Une phrase pour le moins étonnante, quand on sait que c’est Sajjad et Mohammad Mostafaei qui ont décidé en juillet dernier, et en dernier recours, de médiatiser l’affaire suite aux refus des autorités de répondre à leurs demandes légales et compte tenu de l’imminence de l’exécution.

« M. Mostafaei m’a dit qu’il fallait que le dossier soit médiatisé, poursuit le fils de Sakineh. Son rôle n’était pas positif, mais néfaste (…) L’affaire est devenue un cas international et tout le monde a appris la chose. Notre famille n’était pas au courant, et elle l’est maintenant. Et je pense que ce qui restait de notre honneur a disparu. Ce même M. Mostafaei a maintenant disparu. Il est devenu réfugié politique». Souvenez-vous donc de ces paroles: «Sans vous (la communauté internationale), nous aurions perdu tout espoir». Elles étaient de Sajjad du temps où il était encore libre. Du temps où il nous appelait lui-même chaque jour pour nous informer des derniers développements et mensonges gouvernementaux au sujet de sa mère. Quant à sa famille, Sajjad vivait seul avec sa petite sœur dont il avait la charge, le reste de sa famille les ayant abandonnés.

Après s’être également attaqué aux médias occidentaux-pardon « anti-iraniens » — qui ont offert à l’avocat Mostafaei réfugié un « chaleureux accueil » et qui ont permis de donner un gros impact médiatique à de «petites manifestations communistes d’Allemagne composées pour la plupart d’entre elles d’amis de Mina Ahadi» (les milliers de personnes de la place de la République de Paris vous saluent bien), la parole est donné à un autre personnage clé de l’affaire.

«Je suis Houtan Kian», murmure en noir et blanc un personnage au visage creusé et à la voix fébrile. Mais où est passé le jovial et hyperactif avocat d’une trentaine d’années qui ne manquait pas une occasion, malgré les pressions gouvernementales quotidiennes, de nous faire profiter de la dernière blague à la mode à Tabriz? Et c’est une nouvelle fois le fils de Sakineh, qui était pourtant devenu pour lui une sorte de jeune frère, qui va porter l’estocade, ouvrant la voie à une lourde condamnation pour le second avocat de Sakineh : « Houtan kian voulait devenir comme Mostafaei mais il n’y est pas arrivé, déclare Sajjad. Heureusement, cela a été empêché. Il souhaitait que l’on parle aux médias occidentaux, pour attirer d’autant plus l’attention autour du dossier. Mais cela a empiré». Et Sajjad porte le coup fatal, aussi bien pour l’avocat, que pour lui-même: «il m’a demandé de dire qu’ils l’ont torturée… qu’elle était interdite de visite. J’ai malheureusement écouté ses paroles. Et je n’ai fait que mentir aux médias occidentaux». Pourtant, pour nous assurer de l’entière exactitude de ses propos, Houtan Kian avait tenu à nous envoyer à plusieurs reprises les preuves scannées des jugements de Sakineh. Et elles lui donnaient toutes raison.

Mais le clou du spectacle, après vous avoir offert quelques secondes nez à nez avec Sakineh, c’est l’interview exclusive et non floutée des deux journalistes allemands du quotidien Bild, arrêtés en même temps que le fils et l’avocat de Sakineh, qui vont fustiger en allemand — devinez qui? — Mina Ahadi bien sûr! «Je n’avais aucune information sur cette affaire», explique l’un d’entre eux. « Mme Ahadi si. Et comme mon arrestation allait provoquer un certain intérêt médiatique, elle m’a envoyé en Iran ». Et le régime iranien, pardon le journaliste allemand, de se montrer encore plus menaçant: «Il est certain que quand je rentrerai en Allemagne, je porterai plainte contre Mme Ahadi ».

Et le dernier mot, joué sur quelques notes tristes de piano, de celles qui ont pour but d’arracher des larmes au téléspectateur, revient à Sajjad et à sa frêle voix de garçon de 22 ans. Il semble être en train de lire un texte : « Je suis déçu parce que je pense que si je n’avais pas connu ces deux avocats, ni Mme Ahadi, l’affaire aurait suivi son cours normal ».

Ça a marché. Les autorités iraniennes ont gagné. Je ne peux retenir mes larmes. Pas parce que ces dernières paroles m’ont conquis. Dieu que non! Mais parce je sais pertinemment qu’ayant lui-même assisté il y a trois mois aux « confessions » de sa mère, Sajjad est parfaitement conscient de ce qu’il fait en lisant cette feuille, et ce que ses propos engagent, pour sa mère, son avocat, et lui-même. En s’attaquant au fils et à l’avocat de Sakineh, la République islamique s’en est pris aux deux personnes les plus innocentes qui pouvaient exister dans ce dossier, et a signé par la même un crime dont aurait dû se servir l’ensemble de la Communauté internationale pour les sauver tous les cinq. Or cela s’est passé le 10 octobre. Un mois plus tard, Sajjad est en train de se suicider en direct à la télévision iranienne. Dieu seul sait ce qu’il a dû subir pour en arriver là.