Il y a une grande chance que la vie de Sakineh soit épargnée. Voici ce qu’a affirmé aujourd’hui le chef du Haut Conseil des droits de l’homme en Iran. « Notre justice emploie beaucoup d’efforts (à réviser le cas), et nous pensons qu’il y a une grande chance que sa vie soit sauvée », a annoncé Mohammad Javad Larijani dans une interview à la chaîne iranienne en langue anglaise Press TV. Larijani, qui s’exprimait en anglais, n’a cependant donné aucun détail sur le processus de révision actuel du dossier de Sakineh Mohammadi Ashtiani ou sur les raisons qui le poussent à penser que Sakineh pourrait être serait sauvée.
Néanmoins, une semaine après les nouvelles confessions télévisées dont ont été victimes Sakineh, son fils Sajjad, son avocat Houtan Kian, ainsi que les deux journalistes allemands qui les interviewaient, et deux semaines après l’annonce du procureur général d’Iran selon laquelle la justice iranienne avait décidé de se focaliser sur les convictions de meurtre pesant sur Sakineh plutôt que sur les charges d’adultère, cette annonce sonne comme un agréable revirement de situation de la part des autorités iraniennes. Mais il est toutefois nécessaire de rester prudent. Tout d’abord parce que depuis le début de la campagne internationale visant à sauver Sakineh, les autorités iraniennes, gênées, n’ont eu cesse de multiplier les déclarations contradictoires visant à éteindre une mobilisation mondiale grandissante.
Ainsi, celles-ci ont tout d’abord annoncé dès juillet que la peine de lapidation prononcée à l’encontre de Sakineh était suspendue, sans pour autant que les avocats de l’Iranienne ne reçoivent aucun document officiel attestant de ce changement. Or dès le lendemain de cette annonce, c’est le même Mohammad Javad Larijani, le chef du Haut conseil des droits de l’homme en Iran, qui justifie la peine de lapidation contre Sakineh, affirmant que le « système judiciaire (iranien) ne peut changer sa décision en raison d’attaques occidentales et de la pression des médias ». Larijani insiste notamment sur le fait que cette peine, une « sentence sacrée de l’Islam » existait dans la Constitution iranienne et qu’elle était donc « légale ». Pourtant, nulle part dans le Coran n’est évoqué cette sentence moyenâgeuse.
Mais face à une mobilisation internationale grandissante, c’est le président iranien Mahmoud Ahmadinejad qui décide de monter au créneau, en annonçant à la surprise générale que l’Iranienne n’avait jamais été condamnée à être lapidée, contredisant les documents et les déclarations officielles de la justice de son propre pays. Face au flop que provoque cette tentative d’explication en Occident, c’est le Pouvoir judiciaire iranien qui prend le relais en décidant d’adopter une nouvelle stratégie. En plus d’être une femme adultère, Sakineh serait avant tout, selon elle, une meurtrière, d’autant plus que l’Iranienne a « avoué » en août à la télévision iranienne avoir joué un rôle dans le meurtre de son mari (il est vrai mais après deux jours de passage à tabac). De nouvelles accusations qui ne parviennent pas à convaincre les chancelleries occidentales, qui ont le sentiment d’être trompées par Téhéran, en particulier lorsqu’elles apprennent l’exécution imminente de Sakineh, puis lorsqu’elles sont témoins, en même temps que nous, de la mascarade que représentent les aveux de Sakineh et de ses proches qui signent à la télévision d’État iranienne leur arrêt de mort.
Tous ces multiples revirements successifs de la partie iranienne prouvent une chose. La campagne internationale pour sauver Sakineh, démarrée en juillet et redoublée en début de mois, suite à l’annonce de l’exécution imminente de l’Iranienne, influe sur les réactions de Téhéran. C’est donc qu’elle porte ses fruits. Aujourd’hui, le chef du Haut Conseil des droits de l’homme en Iran, celui-là même qui avait justifié l’emploi de la lapidation contre Sakineh en juillet, affirme, à mots couverts, que l’Iranienne ne sera pas exécutée. C’est déjà une grande victoire, car on voit mal, après cette annonce, quand les yeux du monde entier sont rivés sur la prison de Tabriz, les autorités iraniennes exécuter Sakineh. Mais il est tout de même nécessaire de rester extrêmement prudent. Parce que Mohammad Javad Larijani, l’aîné des frères Larijani (les deux autres sont Chef de l’autorité judiciaire du pays et Président du Parlement), n’est qu’une des nombreuses voix d’un Régime aux multiples visages aux mains du Guide suprême, et qu’il demeure un vieux roublard de la politique de son pays et sait parfaitement comment jouer avec les médias occidentaux.
Ainsi, Larijani a annoncé aujourd’hui dans son interview à Press TV, que le pouvoir judiciaire n’avait « jamais empêché ses avocats de rencontrer Mme Mohamadi-Ashtiani », ceci alors que Maître Javid Houtan Kian, emprisonné depuis plus d’un mois, a été interdit de tout contact avec sa cliente depuis le 11 août dernier. Justifiant, sans jamais les nommer, l’arrestation de l’avocat et du fils de Sakineh, ainsi que celle des deux journalistes allemands, le chef du Haut Conseil des droits de l’homme en Iran a commenté : « Quiconque mène des activités illégales doit être tenu responsable devant la loi », qu’il s’agisse « d’un défenseur des droits de l’Homme, d’un avocat ou d’un charpentier ». On se demande encore où se situe l’illégalité de la démarche de Sajjad, Houtan Kian, et des deux journalistes allemands, qui n’ont commis pour seule faute que d’avoir souhaité informer sur la réalité du dossier de Sakineh. Sans doute un crime dans l’Iran d’aujourd’hui.
Mais encore plus retors, en réponse à la résolution adoptée mardi par l’ONU accusant l’Iran de graves violations des droits de l’homme, Larijani a dénié aux Occidentaux, notamment aux Américains, le droit de condamner les décisions de la justice iranienne, et leur a conseillé de regarder du côté de chez-eux, rappelant que l’Américaine Teresa Lewis, dont le cas était « exactement le même » selon lui que celui de Mme Mohammadi-Ashtiani, avait été exécutée fin septembre en Virginie malgré les appels internationaux en sa faveur. Une déclaration qui suit celle du président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui suite aux appels de la communauté internationale à renoncer à l’exécution de Sakineh, a répondu: « Aux États-Unis, 53 femmes sont condamnées à mort. Pourquoi le monde entier ne demande-t-il pas de gracier ces femmes?« .
Si la justice américaine est loin d’être idéale, encore moins moderne, et qu’il est nécessaire de répéter son indignation la plus profonde vis à vis de la peine de mort, il semble que celle-ci ne soit pas encore allée jusqu’à ignorer son code pénal, inventer de nouvelles accusations, subtiliser des dossiers clos, organiser des « aveux télévisés » et emprisonner l’avocat et le fils d’une accusée.