« Sakineh Mohammadi Ashtiani est en parfaite santé et se trouve à la prison de Tabriz ». Voici ce qu’a affirmé hier Malek Ajdar Sharifi, le chef de la justice locale de Tabriz (Nord-ouest de l’Iran), cité par l’agence de presse iranienne officielle Irna. « Dans le même temps, son dossier suit son cours au niveau des tribunaux de la province », a-t-il ajouté.
Voici donc la première réaction officielle d’un responsable judiciaire iranien depuis l’annonce de l’exécution pour mercredi de Sakineh Mohammadi Ashtiani. La justice iranienne se déclarant elle-même indépendante, il s’agit par conséquent de la seule déclaration à prendre en compte aujourd’hui, au milieu du flot d’autres déclarations gouvernementales iraniennes.
Une « parfaite santé » pour le moins étonnante, quand on sait que Sakineh est emprisonnée depuis quatre ans dans la prison de Tabriz, et depuis le 11 août dernier au secret, dans le quartier spécial de haute sécurité de cette même prison, sans aucun contact avec le monde extérieur, ou seulement avec les journalistes de la télévision d’État iranienne, qui ont diffusé ses « aveux » obtenus, selon son avocat, après deux jours de torture.
Mais cette déclaration est, en même temps, et en un sens, rassurante. Car elle confirme les informations reçues par la Règle du jeu et par le Comité indépendant contre la lapidation et les exécutions : à savoir que Sakineh n’a pas été exécutée aujourd’hui.
Par la suite, autant le chef judiciaire, que le ministre iranien des Affaires étrangères ou son porte-parole, ont usé de leur technique favorite, la victimisation, en répétant les traditionnelles accusations d’ingérence et de pression de l’ennemi étranger contre l’Iran, symbole de leur embarras.
Ainsi, Malek Ajdar Sharifi a accusé « les médias hostiles occidentaux (…) de vouloir créer un climat empoisonné contre la République islamique d’Iran » en publiant de « telles informations » comme celle de l’exécution imminente de Mme Mohammadi Ashtiani. Une rhétorique bien dans l’esprit de celle du ministre iranien des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, qui a affirmé, ce matin, dans une conversation téléphonique rapportée par son homologue français Bernard Kouchner, que « le verdict final n’avait pas été prononcé par la justice iranienne et que les informations concernant son éventuelle exécution ne correspondaient pas à la réalité ». Enfin, le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères a dénoncé, quant à lui, « l’insolence des Occidentaux qui ont transformé le cas de Sakineh Mohammadi Ashtiani, qui a commis des crimes et qui a trahi (son mari), en une affaire de droits de l’Homme ». Ils ont fait de « son cas un symbole de la liberté de la femme dans les pays occidentaux (…) Ils tentent d’utiliser un simple dossier (de droit commun) comme un moyen de pression contre l’Iran ».
Hélas, de sources concordantes, nous pouvons confirmer que la lettre de la Cour suprême iranienne contenant le nom de Sakineh et demandant son exécution au plus vite, a bel et bien été envoyée à la branche d’application des peines de la prison de Tabriz.
De plus, comme nous en avait informé Houtan Kian, l’avocat de Sakineh, l’iranienne a été innocentée dans le dossier de meurtre de son mari, en septembre 2006, et a reçu les 99 coups de fouet auxquels elle a été condamnée, en mai 2006, pour relation adultère avec deux hommes – sans qu’aucune preuve ni témoignage ait été fourni.
Or selon le droit iranien, une même personne ne peut être condamnée deux fois pour le même crime…
Ces traditionnelles vociférations iraniennes sont en réalité une bonne nouvelle. Elles montrent que la mobilisation lancée hier a porté ses fruits. Que le fait que les citoyens, la presse, puis les gouvernements occidentaux aient réagi embarrasse Téhéran. Que les autorités iraniennes n’ont eu d’autre choix que de suspendre l’exécution. Et que Sakineh est aujourd’hui toujours en vie.
Nous prenons donc la déclaration du chef judiciaire local pour argent comptant.
Mais nous rappelons d’abord que ni son fils, ni même son avocat, désormais eux aussi emprisonnés à Tabriz, n’ont pu attester de cette « santé parfaite » depuis le 11 août dernier, date à partir de laquelle Sakineh a été privée de tout contact avec le monde extérieur.
Nous rappelons également que la peine de mort n’est pas annulée. Et si l’Iranienne n’a pas été exécutée aujourd’hui, cela ne signifie nullement qu’elle ne le sera pas demain, quand on en parlera moins, comme cela devait se produire aujourd’hui, avant qu’une vague d’indignation internationale de dernière minute ne l’empêche.
Voici pourquoi seule une mobilisation de tous les instants, tant au niveau citoyen, médiatique que diplomatique, pourra entraîner d’autres bonnes nouvelles.
Et celles-ci affluent depuis aujourd’hui. La nouvelle présidente du Brésil, pays diplomatiquement proche de Téhéran, a déclaré hier lors de sa première conférence de presse depuis sa victoire dimanche être « totalement opposée » à la lapidation de Sakineh, qualifiant cet acte de « très barbare ».
Nous venons également d’apprendre que pour la première fois, l’organisation de défense des droits de l’Homme, Amnesty International, avait appelé hier à la libération de l’avocat et du fils de Sakineh.
Car en plus de l’Iranienne, quatre autres personnes, Sajjad Ghaderzadeh, Houtan Kian, ainsi que deux journalistes allemands du quotidien Bild, sont toujours emprisonnés en Iran pour le seul crime d’avoir fait leur devoir de fils, d’avocat, et de journalistes.