La musique n’est « pas compatible » avec les valeurs de la République islamique et ne devrait pas être pratiquée ou enseignée dans le pays.
Voici ce qu’a annoncé hier le Guide suprême iranien, l’Ayatollah Ali Khamenei, en répondant à un jeune partisan de vingt et un ans lui demandant si l’apprentissage de la musique était accepté par l’Islam, selon l’agence de presse iranienne semi-officielle Fars news.
« Bien que la musique soit halal (licite), en faire la promotion et l’enseigner n’est pas compatible avec les plus hautes valeurs du Régime sacré de la République islamique ».
Cette annonce publique du Guide suprême demeure sans précédent, car si la musique occidentale est bannie en Iran, il n’en était rien jusque là de la musique traditionnelle perse, unanimement appréciée dans le pays et remémorant la gloire de l’empire perse millénaire.
Et l’Ayatollah y est même allé de son petit conseil:
« Il vaut mieux que notre chère jeunesse passe son précieux temps à apprendre la science et des connaissances essentielles et utiles, et qu’elle remplisse son temps avec du sport et des loisirs salutaires en lieu et place de la musique ».
La musique occidentale, « symbole de décadence », n’est pas la bienvenue en Iran depuis l’avènement de la République islamique en 1979. Interdit depuis cette date à toute Iranienne de pousser la chansonnette en public. Pourtant, comme pour le voile, l’émergence dans la société d’une jeunesse en quête de changement formant les trois quarts de la population, favorisée par l’élection à la présidence en 1997 d’un président Réformateur (Mohammad Khatami), avait permis à l’étau de se desserrer, et à voir surgir de nombreux groupes pop-rock, mais aussi de rap, qui grâce aux autorisations des Réformateurs, pouvaient sortir des albums et même organiser des concerts en public.
Or la victoire de l’ultraconservateur Ahmadinejad il y a cinq ans a vite sonné le glas de leur carrière, et les a relégués au florissant réseau « underground » de la capitale.
« Le seul et unique service que nous ait rendu la République islamique, c’est que ces difficultés quotidiennes auxquelles elle nous soumet ont décuplé notre sens artistique », soupire Kamran, guitariste et chanteur du Nord de la capitale. « Il y a un tel vivier de talents en Iran…Nous avons tant à exprimer, tant à donner… Or tout cela, elle l’a réduit à néant. Aujourd’hui, elle nous force à quitter le pays qu’on aime tant ».
Les plus chanceux (et les plus riches) s’enfuiront pour exercer leur passion à l’étranger. D’autres connaîtront la prison, comme ces 104 jeunes arrêtés le 27 mai dernier à Chiraz (sud de l’Iran) pour avoir participé à un concert « d’adorateurs de Satan ».
Cette lutte quotidienne entre jeunes musiciens et mollahs est contée dans le merveilleux film de Bahman Ghobadi, « les Chats persans », qui a fait un carton en France l’année dernière.
Mais que les Iraniens ne s’inquiètent pas, même s’ils demeurent aujourd’hui complètement esseulés dans leur pays, ils peuvent compter sur l’aide précieuse de leurs compatriotes à l’étranger, appuyés par des superstars occidentales pour le moins inattendues…
Souvenez-vous :
« We don’t need no education. We don’t need no thought control… ».
Tout le monde garde en mémoire le tube planétaire « Another Brick in the wall », titre phare du grouple anglais Pink Floyd, composé en 1979, année de la Révolution islamique iranienne.
Un titre dont les paroles, trente et un ans plus tard, résonnent toujours dans l’actualité… En effet, on croirait, en les écoutant, entendre de jeunes Iraniens, de véritables chats persans rebelles insoumis à la dictature des Mollahs.
Écoutez ceci maintenant:
Trente et un an plus tard, Roger Waters, membre fondateur de Pink Floyd, a offert ses droits au jeune duo iranien Blurred Vison, exilé au Canada, pour réinterpréter à leur manière ce classique en hommage à leur peuple.
Dans cette vidéo que l’on pourrait croire capturée en pleine manifestation iranienne, une jeune femme tente d’échapper à un mollah, et appelle au secours à l’aide de son téléphone portable, en vain. Le clip est émaillé de nombreuses vidéos, cette fois réelles, des manifestations qui ont frappé le pays l’année dernière.
Et la surprise intervient à l’heure du refrain. Le traditionnel « Hey! Teachers leave them kids alone » a disparu, au profit d’un mémorable « Hey Ayatollah, Leave Those Kids Alone » (Eh! Ayatollah! Laisse ces enfants tranquilles).
La reprise est vite devenue un tube, récoltant plus de 100 000 visites sur le site Youtube. Elle a même été sélectionnée dans la catégorie musique du Festival du Film de Soho (Angleterre).
Interrogé à l’occasion du Festival par le quotidien britannique « The Independent », Sohl, 35 ans, et Sepp 28 ans, les deux membres de Blurred Vision, qui ont préféré ne pas révéler leur nom entier par peur de représailles envers leur famille toujours en Iran, ont déclaré :
« Nous avons reçu des messages de tant d’Iraniens annonçant qu’ils utilisent la chanson comme une façon d’exprimer leur mécontentement ». »Un message nous est parvenu la semaine dernière et quand Sohl l’a traduit, des larmes ont coulé le long de ses joues. Il venait d’un fan en Iran et il ne cessait de répéter: maintenez notre voix en vie. Si vous ne le faites pas, plus personne ne nous entendra ».