Hauteville House, 25 novembre 1861

Vous me demandez mon avis, Monsieur, sur l’expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l’expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l’empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l’Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d’approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.

Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici : Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s’appelait le Palais d’été. L’art a deux principes, l’Idée, qui produit l’art européen, et la Chimère, qui produit l’art oriental. Le Palais d’été était à l’art chimérique ce que le Parthénon est à l’art idéal. Tout ce que peut enfanter l’imagination d’un peuple presque extra-humain était là.

Ce n’était pas, comme le Parthénon, une oeuvre une et unique ; c’était une sorte d’énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle. Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d’été.
Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d’eau et d’écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d’éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c’était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail des générations. Cet édifice, qui avait l’énormité d’une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? Pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l’homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d’été ; Voltaire en parle.

On disait : le Parthénon en Grèce, les pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, le Palais d’été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C’était une sorte d’effrayant chef d’oeuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d’Asie sur l’horizon de la civilisation d’Europe.

Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’été. L’un a pillé, l’autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu’il paraît. Une dévastation en grand du Palais d’été s’est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d’Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu’on avait fait au Parthénon, on l’a fait au Palais d’été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n’égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l’Orient. Il n’y avait pas seulement là des chefs-d’oeuvre d’art, il y avait des entassements d’orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant.

Telle est l’histoire des deux bandits. Nous européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre.

Mais je proteste, et je vous remercie de m’en donner l’occasion ! Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais. L’empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd’hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire le splendide bric-à-brac du Palais d’été.

J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée. En attendant, il y a un vol et deux voleurs. Je le constate. Telle est, Monsieur, la quantité d’approbation que je donne à l’expédition de Chine.

Victor Hugo

维克多*雨果的一封信

巴特勒上校:

您问我对于远征中国的看法。先生您觉得这次远征又体面又高尚;您相当善意地看重我对此的感情。您认为在维多利亚女皇和拿破仑皇帝的双重旗帜下对中国进行的这次远征是英法两国共享的光荣;您想知道我对这次英法取得的胜利能给予多大程度的赞同。

既然您愿意知道我的看法,那我就发表如下:

从前在世界的一方有个奇迹:这个世界奇迹叫圆明园。艺术有两种原则:一种是构思,它产生了欧洲艺术,另一种是想象,它产生了东方艺术。圆明园是属于想象的艺术,巴特农则是构思的艺术。一个近乎超凡的民族利用其想象力能够造出的全部东西都集中在那里。它不象巴特农那样是举世无双的稀有作品,而是想象造出的一个巨大模型,如果想象可以有模型的话。请您想象一种大家不知道是怎样的、而又无法形容的建筑物,就像月宫里的一座建筑物,那就是圆明园……建造这座圆明园足足用了两代人的劳动;它像一座城市那么大,由岁月造成。造给谁?造给人民。因为由岁月建筑的东西都属于人民。凡艺术家、诗人、哲学家都熟悉圆明园,伏尔泰是这么说的。大家都在说:希腊的巴特农,埃及的金字塔,罗马的圆形大剧场,巴黎的圣母院,东方的圆明园。如果人们见不到它,就会梦见它。这是一件令人咋舌的、从未见过的杰作,从神秘的暮色中远远望去就像是耸立在欧洲文明地平线上的一个东方文明的朦胧轮廓。

这个奇迹现在消失了。

一天,两个强盗闯入圆明园,一个掠夺,一个纵火。似乎获得胜利就可以当强盗了;两个胜利者把大肆掠夺圆明园的所得对半分赃。在这一切的所作所为中,隐隐约约见到了埃尔金的名字,这必然使人们回想起巴特农:以前有人对巴特农所干的,现在对圆明园又干了起来,而且干得更彻底、更好,一扫而光。把我们所有大教堂里收藏的宝贝堆在一起,也抵不上这座光辉灿烂的东方博物馆,那里不仅有艺术精品,还有大堆大堆的金银制品。伟大的功勋,喜人的收获。一个胜利者装满了身上所有的口袋,另一个见了,也把一个个保险箱装满。于是,他们手挽手笑着回到欧洲。这就是两个强盗的故事。

我们欧洲人是文明人,中国人在我们眼里是野蛮人,这就是文明对野蛮所干的勾当。

在历史面前,一个强盗叫法兰西,另一个强盗叫英国。但是我抗议。我感谢您给我这个机会让我申明:统治者所犯的罪行并不是被统治者的错误;政府有时是强盗,但人民永远不会作强盗。

法兰西帝国侵占了这次胜利的一半成果;今天,他以一种所有者的天真,炫耀着圆明园里的灿烂古董。我希望,铲除污垢后解放了的法兰西把这些赃物归还给被掠夺过的中国的那一天将会到来。

而现在我看到的,是一次偷盗行为和两个小偷。

先生,这就是我对远征中国的行为所给予的赞同程度。

维克多*雨果

1861年11月25日