La persévérance dans l’être, analytiquement, animalement inhérente à l’être, exigence naturelle et sans justification, exigence d’espace vital, est-elle justice ? Justice qui implique non pas l’idée d’une loi « abstraitement » obligatoire, juridique ou mathématique, mais la révélation préalable du visage humain, du visage du prochain et la responsabilité pour l’autre homme. C’est de cette responsabilité que la Loi elle-même découle, Loi contre une politique de la « force qui va », de la force qui se déploie toute seule.

Je rejoins ainsi le livre de Bernard-Henri Lévy, Le testament de Dieu, livre sombre comme le premier alinéa de notre texte, livre qui a dit tant de choses remarquables sur la Loi, sur la dure Loi qui ne nous apporte pas d’emblée, comme le promettent certains jeunes hommes trop facilement optimistes, les joies des « aubes naissantes », Loi dure, notre part à nous, peuple de la Loi juste, notre part la meilleure !

Mais je me suis demandé s’il n’était pas trop sévère pour la Grèce, avec laquelle il envisageait, comme une concession, qu’un dialogue soit possible. Je demandais davantage, par respect pour la science et pour Platon. Je pensais que, par-delà le dialogue avec la Grèce, nous était nécessaire son parler déjà dans notre discours intérieur. Tentation de la Grèce encore non surmontée !

Pourtant Bernard-Henri Lévy n’a-t-il pas raison en présence de tous ceux qui cherchent à s’approprier un héritage si brillant et à voir en lui, aussi, une excellence de forces vitales qui seraient capables de délicatesses très grandes sans rien perdre de leur superbe impitoyable ?


Emmanuel Levinas, « L’au delà du verset », Minuit, 1982, p.78.

3 Commentaires

  1. En des temps où certains jeunes exaltés de la génération Mitterrand dont j’étais, virent leur ciel s’assombrir en bouclier inhumain au service de la France du Bousquet intouchable, un homme plus que tout autre en ce pays que je ne pouvais plus sentir… comme mien, sut trouver les mots à l’image d’un Sartre redonnant à Lanzmann l’envie de ne pas quitter la France, j’allais dire, l’envie de rester Français. Cet homme, c’est celui que ses moqueurs condescendront à nommer BHL sans se douter qu’ils venaient de sortir une בהל (= lame en hébreu) de son fourreau, Bernard-Henri Lévy, qui n’eut de cesse que d’affronter ces adversaires indéracinables, et pour cause, si fiers étaient-ils de se faire ressentir comme seuls propriétaires du sol patriotique parce que seuls enracinés du terroir national. Je l’entends encore, ce chef des Zélotes modernes, du haut de sa haute muraille qui versait des seaux pleins de salive bouillante sur les têtes des centurions du fantôme de Marcion. Les Français de ce bois-là qui peu à peu se réduit en copeaux, hissés alors sur les épaules de leur Titan-nation, qui en parvenaient même à faire baisser la tête de plus haut qu’eux, à l’instar d’un Berri hagard au dîner d’Ardisson, fuyant le regard en quête d’assentiment d’un ex-animateur de la Chance aux chansons niant-niant les crimes de la France collabo. Je l’ai entendu le nouvel Eliazar, aux résonances redoublées d’un Samson héraclide, leur dire de leur France, qu’ils se la gardent! Que leur France n’était pas la sienne. Qu’il y avait une autre France, la France qu’il aimait, la France en laquelle il se reconnaissait, celle de Zola, celle de Malraux, celle de tant d’autres figures dans lesquelles je pouvais retrouver au présent, ma fierté d’être des leurs. Sans ces travaux d’une audace inédite qui consistèrent à prendre à bras le corps les deux piliers de la civilisation européenne que sont la pensée juive et la pensée grecque, et à en confronter les forces au cours d’un tournoi d’intellects que n’eût jamais organisé l’Emmanuel platonicien, la rose aux treize pétales s’ouvrant dans ma cage thoracique se serait résignée à ne répandre son parfum que sous les masques et derrière les murs d’une renaissance de la Renaissance marrane, ou pire encore, sous les chapeaux rouges et pointus d’un Ghetto qui n’est jamais mort, à Venise ou ailleurs.

    • Petite rectification, les caractères hébraïques ayant été automatiquement inversés par le logiciel, il fallait traduire «lame» par להב, convertissant BHL en LHB, or n’est-il pas prudent de tenir le couteau par la lame plutôt que par le manche?