Sans le savoir nous venons de vivre à 30 ans de distance, la seconde libération des ondes. La première sous l’égide de François Mitterrand avait permis l’avènement de la bande « FM » et des radios libres. Il faut bien admettre que cette réforme d’inspiration libertaire a en fait installé une jungle libérale où quelques aventuriers plus vulgaires et cupides que leurs concurrents ont fait main basse sur la plupart des fréquences et des stations avec la bénédiction du pouvoir et des autorités de tutelle.
La seconde libération des ondes, celle qui nous intéresse aujourd’hui, aura des effets incontestablement plus vertueux que la précédente : depuis 24 heures, nous savons que Stéphane Guillon ne fera pas partie de l’équipe de rentrée de France-Inter.
Finie la captation égocentrique de la matinale ; terminé la prise d’otage poujado-comique du service public par un histrion braillard dont l’égo ne laissait aucune place au talent. Dehors, le taliban du rire. Son régime était pauvre, sec et pas du tout varié : ris ou crève ! La vérité commande de dire que personne n’est mort de rire sous l’empire du bouffon déchu et pour cause, il y avait dans ses chroniques beaucoup plus de morgue que de rire.
C’est que l’entreprise qui s’achève sous nos yeux était tout à la fois fondée sur la lâcheté et la cupidité. Du grand art. Un modèle à la fois subtil et pervers. Stéphane Guillon tirait 90% de ses revenus de sa chronique dans l’émission de Thierry Ardisson, Salut les terriens diffusée sur Canal + et 90% de sa notoriété des émois provoqués par ses accès de méchanceté sur Inter. Courageux mais pas téméraire, il a toujours docilement accepté que ses prestations télévisuelles soient coupées, montées et donc visionnées avant diffusion et bien lui a pris car jamais un scandale n’est venu de ce côté là. Bref, pour justifier les émoluments versés par une chaîne privée, disposée à débourser des sommes considérables mais pas à affronter l’opprobre publique, il fallait bien faire le maximum de tapage sur une radio publique. Canal + était deux fois gagnant, il avait le personnage sans les dommages.
Attention, cette lâcheté a ceci de particulier qu’il faudrait la prendre pour du courage. C’est que Môssieur avait osé défier tous les puissants, la droite, la gauche, la direction de la station… tous !
A ce stade, un bref rappel s’impose : la critique des pouvoirs en place est une vertu et une nécessité en démocratie. Reconnaissons simplement qu’avec les Guignols de l’info, le personnel politique est devenu l’engeance la plus communément conspuée de notre société, le genre étant même devenu une figure obligée et il faut bien le dire un peu lassante à force d’être répétitive depuis que Nicolas Sarkozy a été élu président de la République. Attaquer un ministre par les temps qui courent n’engage à rien, pas même aux poursuites judiciaires que l’offensé pourrait exercer s’il était un simple particulier. C’est facile et gratuit et en plus ça peut rapporter gros.
Il faut remonter à Coluche et au giscardisme finissant pour trouver un comique affronter le pouvoir en place par le biais d’une candidature à moitié sérieuse à l’élection présidentielle et se voir immédiatement privé d’antenne – radio ou télé – et, cerise sur le gâteau, gratifié d’un contrôle fiscal. Reconnaissons que l’exercice avait alors d’avantage de sel et de panache.
Il demeure qu’on ne peut pas reprocher à Stéphane Guillon de s’être compromis dans un exercice convenu où d’autres, pas moins médiocres, l’avaient précédé. Ne parlons donc pas d’art car son signe distinctif, sa marque de fabrique, c’était la manière. Je n’ai rien à redire sur les cibles privilégiées de Stéphane Guillon que j’ai critiquées plus souvent qu’à son tour et on ne suspectera pas un élu socialiste membre de la direction de SOS RACISME de compagnonnage idéologique avec Nicolas Sarkozy et encore moins avec Eric Besson.
Cependant, quel que soit mon engagement contre la politique du chef de l’Etat, prophétiser sa mort pour boucler un billet à la radio est d’un mauvais goût certain. Est-on également obligé d’aller dans l’attaque au faciès pour se payer le ministre de l’immigration dont le parcours comme les actes offrent des voies de contestation à la fois plus radicales et plus honorables ? Et puis, fait moins connu mais pas moins choquant, ses allusions douteuses et répétées sur l’alcoolisme supposé de Jean-Luc Hees, président de Radio France. Je ne connais pas Monsieur Hess, je n’ai donc aucun moyen de savoir si ces allégations ont un fond de vérité ou non. Mais de deux choses l’une, soit elles sont vraies et se moquer de quelqu’un à travers une forme d’addiction dont il souffrirait est insupportable, soit elles sont fausses et c’est bien pire.
La malveillance chez Guillon a ceci de propre qu’elle fait système. Système consistant à revendiquer l’absence de décence pour s’ériger en martyr de la liberté d’expression. Cela a donc peu à voir avec de l’humour. Mais de qui se moque t-on ? Le procès des Fleurs du mal c’était il y a un siècle et demi et depuis l’interdit s’est mué en règle qu’il n’y a aucune bravoure à braver.
Comme Fouquier-Tinville dont il se veut sans doute le lointain disciple, l’accusateur du service public se retrouve à son tour accusé. Il existait un « Guillonton » comme il existe un téléthon à ceci près que le public était invité à faire preuve de malveillance plutôt que de générosité. Il s’est fait guillotiner et gageons qu’il n’y aura pas grand monde pour le regretter.