« Ce qui nous empêche souvent de nous adonner
à un seul vice est que nous en avons plusieurs
»
La Rochefoucauld

Il y a de l’épique et de la souffrance, dans cette Équipe de France.

Quand je vous disais qu’il y a beaucoup plus que du football, dans le football ! Le vice est partout, qui nous dévisse l’Idéal. Et tant mieux : je ne voudrais surtout pas qu’il en soit autrement. Éloge du vice ? Non, plutôt : éloge des vices ; ce pluriel fait toute la différence.

Voyez, hier, dans le Match Brésil-Côte d’Ivoire, Luis Fabiano multiplie les sombreros[1] et les mains dans la surface, enchaîne avec une volée sublime : Brésil 2, Côte d’Ivoire 0. Vice légal : coup du sombrero (humiliant son adversaire) et mains (délit footballistique par excellence.) Le football : jeu du pied, jeu de dupe.

Prenez Keita, qui simule un coup de coude en pleine face et obtient l’expulsion de Kaka. Prenez l’Equipe, le journal, qui placarde la phrase d’Anelka et obtient son expulsion. Un vice a toujours son versa, le premier entraînant tous les autres.

Dans un Monde où l’Ethique est nulle part, il serait plutôt étonnant qu’elle se concentre sur un terrain de foot. Pourquoi demande-t-on aux footballeurs d’être moins vicieux que les autres ? Ah oui, j’oubliais, parce que, la bonne blague, ils sont sensés nous représenter. Si représenter veut dire ici, donner un aperçu d’une partie de ce que nous sommes, alors c’est chose faite, et avec un certain talent. Si nous représenter veut dire : nous idéaliser aux yeux du monde, autrement dit : faire de la propagande franco-démocratique, alors là, c’est raté.

Seulement, quelle différence entre la main grossière d’Henry et celle de Maradona en 1986, incomparables et/ou celles, sublimissimes, de Luis Fabiano ? C’est la pluralité de leurs vices.
Maradona, 5 minutes après cette main, traverse seul tout le terrain et marque le plus beau but de tous les temps, humiliant toute l’équipe anglaise. Au vice interdit, il ajoute le vice permis. Pareil pour Luis Fabiano : avant ses deux mains, hier, il marque un but magnifique, sur une accélération lumineuse et une frappe canonique dans un angle impossible.
La main d’Henry, elle, reste orpheline. Rien ne prouve qu’ils auraient pu se qualifier autrement. Cette main orpheline hante comme un fantôme l’équipe de souffrance qu’est devenue l’Equipe de France.
Il n’empêche que je conserve pour cette main d’Henry une certaine tendresse. Avec une forte préférence pour les deux autres.
Même dans le geste de Keita, on peut trouver des bonnes intentions. La Côte-d’Ivoire, à 11 contre 10, augmentait ses chances de revenir au score.

Un terrain de foot, le temps du Match, c’est un peu comme le roman selon Kundera : le lieu où le jugement moral est suspendu. La Morale nous revient par derrière, on le voit ces jours-ci. Et quand je dis par derrière, je fais bien sûr allusion à la phrase d’Anelka adressée à Domenech, mais prononcée sans même le regarder dans les yeux, selon tous les témoignages.

La Morale est partout, l’Ethique nulle part. Et depuis, c’est comme si la France entière parlait le Zemmour. Cette jeune génération, entend-t-on, ne respecterait plus rien. Elle n’aurait plus de valeurs. Le discours moralo-populiste se met en pilote automatique.
L’Ethique, c’est de l’arbitraire commun en mouvement, tout le contraire de la Morale, qui est du concentré de jus de poncif arrêtant l’idée du monde sur une très triste idée de lui-même.

Je vous rappelle qu’Anelka est de la même génération que Zidane et Lizarazu, tout comme Henry. Evra est à peine plus jeune.
Ensuite, l’attitude d’Anelka et les autres, n’engage en rien tous les français du même âge. Qu’on ne me bouche plus les oreilles avec ce genre de proverbes gerbants et générationnellement racistes.
Que ces jeunes gens, esclaves volontaires de leurs clubs successifs, soient les « portes-symptôme» d’un problème qui les dépasse, cela ne fait aucun doute.

Qu’est-ce qu’un footballeur, la plupart du temps ? C’est une sorte de mannequin à qui on apprend, dès son plus jeune âge, à faire tout ce qu’on lui dit. Et les esclavagistes qui les dressent le font sans mal, puisqu’ils sont si volontaires à venir s’aliéner. Que les autres corps de métier ne se réjouissent pas trop vite. C’est juste le style d’aliénation qui est différent. Et que les anciennes générations, tout aussi spécialisées dans l’aliénation, ne fassent pas les fiers. Et il ne manquerait plus que ceux qui maintiennent ce système s’étonnent qu’on cherche à leur couper la tête. Quand à ceux qui se révoltent, on peut leur reprocher la mesquinerie de leurs revendications, le peu d’ambition de leur démarche et la nullité de leurs armes.

J’ai été footballeur, j’ai vu les recruteurs manipuler les joueurs, particulièrement les plus jeunes ; et si ils étaient en situation de précarité sociale, c’était encore mieux, et s’ils venaient à peine d’arriver en France, c’était encore mieux, et si c’était pire, c’était encore mieux.
Le football français paye, tout-à-fait logiquement, sa politique vicieuse (unilatéralement) de recrutement. Et que ce genre de situation ne soit pas arrivée avant tient du miracle.

Heureusement, il y a d’autres genres de vices pluriels dont je me régale, comme le jeu de l’Equipe du Brésil. Ce Brésil là a toutes les qualités du jeu à l’italienne, sans ses inconvénients, et toutes les qualités du jeu à la brésilienne, sans ses inconvénients. Ce Brésil-là, même si je regrette l ‘absence de Ronaldinho, est l’un des plus beau que l’on ait pu voir depuis celui de Garrincha et Jairzinho, ou encore celui de Romario et Dunga.
Ils s’amusent avec un sang froid glacial, débordent de tous les côtés, percent et trouent, envahissent et discernent, percutent et tirent ; avec cette réussite insolente qui est toujours le fruit d’une condition physique étonnante. Je trouve d’ailleurs que beaucoup d’équipes jouent beaucoup trop sérieusement, à commencer par les Italiens, qui s’appliquent comme des premiers de la classe et stagnent. Il me tarde de voir Pirlo venir faire l’enfant dans les adultes avec ses passes aveugles, ses cassages de reins et ses humiliations de cour d’école.

Au football, il ne faut pas trop s’appliquer, il faut s’impliquer, retrouver le sérieux qu’on mettait au jeu, quand on était môme, comme dirait Nietzsche.
Bref, jongler avec tous ses vices, et ne se concentrer sur aucun.


[1] Un coup du sombrero, au football, est un dribble particulièrement difficile et spectaculaire. Il consiste à passer son adversaire en passant le ballon par dessus sa tête avec un lobe.

2 Commentaires

  1. La peur de tomber, sous le coup de, _ l’accusation de Néo, _ comment donc («c» muet) _ colonialisme? Et nous voilà rendus, au «nous voilà» des maraîchers de Vian, à ces stigmates de la hantise de toute stigmatisation inclinant à l’exhaustion. Or, de quoi le néo- sera le pré- parfaitement tondu?
    Sera raciste celui qui considère que Césaire ne pouvait pas se révéler aussi sévère envers une brute des îles que Flaubert le fit avec une bête du continent.
    Le penseur le plus moral du XIXe siècle eut pour nom Friedrich Nietzsche. À vous qui n’avez rien de mieux à faire qu’à pousser vos cris d’Onfray, sachez que la moraline fut à la morale ce que la sensiblerie est à la sensibilité.

  2. Tout est parfaitement résumé. On pleure l’effondrement de tours au centre de New-York (je n’aime pas la violence), mais on oublie des siècles de mépris. Ce qui m’affligent est le rôle des médias qui se sont plaints pendant des années d’être muselés et qui aujourd’hui par leur prolifération font plus de supputations que d’investigations. Un soi-disant journaliste a dit que ces joueurs étaient bêtes. Il me semble qu’aucun joueur n’a braqué une banque, ils ont des patrons capable de leur verser de tels salaires. Seule la jalousie et la médiocrité a lieu de citer dans notre beau pays et c’est bien dommage… Le journal « Equipe » devrait être sanctionné d’une part pour sa première page et pour avoir relayé une information qui est fausse… Bien qu’appréciant le foot-ball et d’autres sports, je n’ai jamais lu ce journal… Ils en existent d’autres,  » pour ceux qui ont quelque chose entre les deux oreilles »…