Dominique Blanc est actrice au superlatif. Pour qui la connaît, elle apparaît comme une femme d’une gentillesse, d’une simplicité, d’une affabilité absolument uniques. Comme on dit en anglais: « she’s a treat ». Vraiment. Elle évoque, avec des mots pleins d’intelligence, parfois volontairement enfantins, les colères des uns, la tendresse des autres, le plaisir, le danger de jouer. L’Actrice par excellence, telle qu’elle pouvait exister chez Claudel, ne pose pas, dans la « vraie vie ». Elle ne joue pas à la tragédienne, elle ne prétend pas revêtir la toge en plein milieu d’un café.

Mais sur scène… Sur scène, c’est tout autre chose. Pour qui a eu, deux fois, la difficile chance de voir « La Douleur », une fois le rideau baissé, l’expérience théâtrale devient quasiment impossible. Dominique va si loin dans l’incarnation dont parle Claude Lanzmann dans « Le lièvre de patagonie ». C’est le seul mystère, la seule splendeur: et elle la manifeste mieux que personne.

Pendant une heure trente, elle est la narratrice durassienne. Rien à dire, rien à ajouter. C’est sans doute cela, une grande actrice: quand il n’y a rien à enlever, rien à suppléer. Pas de luxe, pas de kitsch, à peine de la suggestion. De l’évidence. Wilde disait: « Beauty has its genius of its own ». Le jeu de Dominique Blanc est noir, très noir. Mais ce noir, comme celui des toiles de Rothko est luisant. Il éclate, il brille, plus puissant encore que la lumière blanche.

Qu’est-ce donc qui permet à Dominique Blanc d’être avec tant de pureté – osons employer ce mot endommagé – son personnage? Précisément le fait qu’elle soit femme, et qu’elle soit actrice, qu’elle soit l’une et l’autre, avec une nécessité qui ne laisse pas de place aux caprices de diva.

Depuis quelques temps, avec « L’Autre », puis avec « La Douleur », elle pousse de plus en plus loin la performance: ce n’est plus de « jeu » qu’il s’agit, mais bel et bien d’ « incarnation ». Un mystère advient sur scène: quelque chose d’étrange, de l’ordre de la transsubstantiation. Et ce n’est pas un hasard si ces textes qui mordent son être peuvent être perçus comme des métaphores de l’acte théâtral.

Oui, Dominique Blanc fait honneur aux Molières: pour les récompenses décernées au Châtelet, ce n’est là que d’une année, d’une sélection, qu’il est question. Pour l’actrice, c’est du rôle d’une vie, qu’elle est appelée à réinterpréter et affiner en permanence. Car « La Douleur » se situe véritablement au-delà de ce qu’est, habituellement, le théâtre: dans l’imitation de la vie. « La Douleur » est vivante.

 

5 Commentaires

  1. J’ai eu le grand bonheur, mais comment puis-je parler de bonheur quand il s’agit de cette douleur-là, offerte avec pudeur et force ? J’ai rencontré la douleur avec une puissance rare.
    Oui, j’ai vibré avec vous, chère Dominique Blanc, au rythme de cette douleur palpable, charnelle, à la limite de la nausée… et j’en garde encore les stigmates émotionnels.
    Un théâtre ainsi incarné, c’est chose rare, un théâtre qui se fait vie par la chair en âme. Des mots et une présence qui vous transforment. Voilà ce que l’art devrait être, toujours.Transformateur. Alors, merci. Et merci à l’auteur pour cet hommage.

  2. Je suis ravie de cet hommage amplement mérité à une comédienne d’un talent rare !

  3. j’adore Dominique Blanc. On se souvient d’elle dans l’Allée du Roi: une excellente comédienne et une excellente actrice qu’on a le regret de ne pas assez voir…
    ‘est une réelle grâce incarnée.