(…) Désuet, voilà le mot. Il y a du désuet chez cet homme. Intellectuel d’un ancien régime, du régime de Voltaire, de Malraux, de Sartre. D’un régime où les intellectuels avaient les yeux rivés sur l’état du monde, où l’on s’emportait sur n’importe quel sujet. Ou le sort du monde importait plus que tout quand on était écrivain. La définition même de l’écrivain engagé. Un monde enfoui, vous dis-je. À quoi pensent nos romanciers aujourd’hui ? Où sont les romanciers qui montent sur des tonneaux pour dénoncer les inégalités dans le monde ? Dans les usines ? Où sont les romanciers partis à Sarajevo, au Darfour, en Irak, pour faire du Hemingway ou du Orwell ? Soyons clairs, en France du moins : nulle part. Cette manière d’être au monde, pour les romanciers, a disparu. BHL, lui, résiste. Part sur les conflits. S’époumone sur les plateaux télé pour faire entendre sa voix. C’est un extraterrestre, vous dis-je. C’est pour ça que beaucoup de gens ricanent. Ce qui n’est pas dans l’air du temps paraît toujours ridicule – triste constat. Il y a donc bien quelque chose de désuet chez lui. Et c’est avec cet homme-là que nous avons discuté passionnément, près d’une heure et demie, de littérature, à partir de ses deux livres à paraître, près de mille cinq cents pages de chroniques. Désuet, BHL, mais si jeune : l’âge d’or du roman français va arriver, et j’ai des noms ! clame-t-il, en se levant brusquement de son sofa. Comme un jeune étudiant qui annoncerait une révolution. Je vous ai dit : un extraterrestre. D’un autre temps, de notre temps, et sûrement, à l’avant-garde : parions qu’un jour, dans dix ans, dans vingt ans, je ne sais pas, le modèle de l’intellectuel engagé fera son retour. Et on dira : vous vous souvenez, il y en avait un qui n’avait jamais lâché l’affaire, on disait à l’époque que c’était un extraterrestre !

Rencontre.

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