Il y a donc aujourd’hui “la France Frêche” comme il y eut “la France moisie”, celle du régime de Pétain selon Philippe Sollers. La Règle du jeu par un article dans Libération du 30 novembre 2006,  signé Laurent Dispot, avait appelé le Parti socialiste au principe de précaution contre la bombe de la “France Frêche” qui explose trois ans après, en janvier 2010, avec une déclaration contre Laurent Fabius du potentat populiste de Montpellier qui jouit  d’une licence de “socialiste” en franchising grâce à la direction du PS. Laurent Fabius est un catholique d’origine juive, comme le cardinal Lustiger et tant d’autres, mais le Frêche dit de lui dans L’Express : «Voter pour ce mec en Haute-Normandie me poserait un problème, il a une tronche pas catholique». C’est exactement l’argument des harceleurs maurrassiens de l’Action Française contre Léon Blum, qui faillirent aboutir à son assassinat en pleine rue après un début de lynchage. Les ravages pour le PS seront bien plus graves et durables, juste avant les élections régionales, que si le cancer idéologique et politique nommé Frêche avait été traité il y a trois ans comme le demandait cet article dans Libération : on a prétendu éviter de souffrir et on souffrira beaucoup plus. Les déchirements seront bien plus douloureux et handicapants. Les historiens, et d’abord les militants, premiers témoins, diront quels dirigeants du Parti socialiste ont le plus engagé le poids de leur responsabilité pour empêcher la chirurgie urgente contre le cancer Frêche __ les noms de Ségolène Royal  et François Hollande étant de notoriété publique, comme  c’était déjà l’évidence il y a trois ans dans cet article, les plus compromis dans le long blocage contre l’assainissement et la morale la plus élémentaire. La circonstance de cet article : un coup de feu à la sortie d’un match au Parc des Princes, par un “Black” du service d’ordre, pour protéger, dira-t-il, un spectateur harcelé en tant que Juif. Or cet incident à odeurs mêlées de racisme et de foot venait peu de temps après une déclaration du Frêche contre un “trop” insupportable et honteux de Noirs  dans l’équipe de France de football : « Dans cette équipe, il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société. Mais là, s’il y en a autant, c’est parce que les Blancs sont nuls. J’ai honte pour ce pays. Bientôt, il y aura onze Blacks ». On sait ce que signifie poser au sociologue et à la science pour parler de “races” comme d’une normalité, d’une norme à imposer. Du football à Laurent Fabius, le même personnage, et les mêmes protecteurs ; pour parler à la Ionesco : le rhinocéros Frêche, ou comment s’en débarrasser. L.D.


 

De haine et d’eau Frêche

Libération, 30 novembre 2006

Lorsque se produisit le drame du Parc des Princes, le toujours «socialiste» Georges Frêche venait tout juste de brailler qu’il y aurait trop de Noirs dans le football : le coup de feu fut précédé par cette huile sur le feu. Déjà, quelques semaines après la cérémonie mondiale d’Auschwitz, la planète effarée avait découvert qu’un responsable français pouvait crier en public : «Vous êtes des sous-hommes» à des harkis, donc à tous les Arabes, à tous les musulmans, à tous les immigrés, sans se voir aussitôt exclu de sa formation politique.

Il s’agissait du même Auguste halluciné qui pose au sectateur de Robespierre, une Elena Ceausescu version macho septimaniaque, entre les Douze Césars de Suétone, le Caligula de Camus et le Trimalcion de Pétrone. Un de ces présidents de régions appelés à restaurer, dans le système Royal, les ducs et pairs. Le cas Frêche pose la question des contre-pouvoirs face à l’augmentation du pouvoir des régions, programme de la candidate socialiste. L’intention de Gaston Defferre était que la région fût gérée comme une entreprise ; pas que son PDG se comportât en autocrate.

L’événement de 1968 qui reste actuel est l’assassinat de Martin Luther King. C’est en “soixante-huitard” moderne du XXIe siècle qu’il faut choisir aujourd’hui contre Frêche le côté Condoleezza Rice, Barak Obama, Lilian Thuram. Avant d’éructer contre les harkis et les Noirs, Frêche a traité les catholiques d’«abrutis», et coupé les vivres à des budgets culturels en croyant punir les intellectuels. Mais il offre, avec tout le grotesque de son personnage, une parfaite illustration de «l’idéologie française» de Bernard-Henri Lévy, et un jeu de mots en gag surréaliste pour confirmer le fameux concept de «France moisie» de Philippe Sollers : «la France-Frêche». En prononçant la phrase sur le trop-de-Noirs-dans-l’équipe-de-France-de-football, Frêche n’a été qu’une poupée de ventriloque : elle n’est pas de lui, mais de Le Pen à l’occasion du Mondial de 1998. Devenue depuis un des psittacismes les plus éculés de l’extrême droite pour servir de signal d’offre de service, de ralliement à cette mouvance. Mais un policier antillais, un Noir de France, vient de risquer sa vie et de résister de toutes ses forces pour sauver un Juif.

C’est le contraire du drame atroce d’Ilan Halimi. Et le contraire de la stratégie de Dieudonné qui consiste à retourner les Blacks-Blancs-Beurs antiracistes en un groupe fusionné par l’idéologie antisioniste : ce que j’appelle l’«antis (ion) émitisme». Sa visite à Le Pen au camp des «Bleus-Blancs-Rouges» était, dans ce sens, une allégeance de vassal à suzerain.

Le Parti socialiste fait l’âne qui recule devant toute condamnation sérieuse de Frêche, alors même qu’il nous ressort Edith Cresson, la xénophobe anti-anglaise et homophobe, cette simoniaque qui a déshonoré la France et le féminisme à la Commission européenne, condamnée pour cela. Le Front populaire de 1936 naquit de la dissolution des ligues fascistes. Etre digne de son anniversaire, en 2006, c’est demander que Frêche soit exclu du parti de Léon Blum, le «Nègre en trop» d’alors. Ne pas sanctionner l’insulte aux harkis est un défi à l’opinion publique maghrébine, arabe, musulmane, française. Ne pas sanctionner l’insulte aux Noirs est un défi à l’opinion publique de l’Afrique, des Etats-Unis, de tout l’outre-mer français, dont nos Antilles bien-aimées. Ne pas tenir compte de la décision de justice dans l’affaire Cresson revient à offrir un argument éternel contre la France aux opinions publiques, aux instances et aux médias dans toute l’Europe.

On mesure la régression socialiste en la comparant à une réplique célèbre attribuée au Régent Philippe d’Orléans, en 1720, bien plus respectueux de l’ordre juste que Hollande et Royal, lorsqu’il refusa de gracier le comte de Horn, son cousin meurtrier :

« Mais il a l’honneur d’être du même sang que Votre Altesse royale !

__ Quand j’ai du mauvais sang je me le fais tirer… ».

Si le Parti socialiste cessait de se défiler devant un effort pour être vraiment républicain, cela donnerait :

« Mais il a l’honneur d’être du même rang que votre candidate, Royal !

__ Quand j’ai du mauvais sens, je me le fais virer… »

La France frêchit. Comment voter socialiste, si c’est souscrire au racisme et au sexisme de Frêche : les harkis «qui n’en ont pas», les Noirs «qui en ont trop», les intellos incontrôlables, les catholiques qui persévèrent ; si c’est souscrire à la xénophobie et à l’homophobie de Cresson : les Anglais qui «en sont», les homos comme critère de dévaluation. Si la rupture des socialistes avec ces deux délinquants de la moralité publique n’était pas franche, comme naguère celle de la droite républicaine avec Millon, mais escamotée, assortie de caresses melliflues, alors la tâche de l’éclairement républicain, de l’écoute démocratique véritable et non pas infantilisante, c’est-à-dire méprisante, serait d’expliquer à chaque électrice, à chaque électeur, le risque de perdre son âme aux gras profits de ce type de Père Ubu, de Mère Ubu.