Ma chère Josette,
Depuis que tu me transmets de Los Angeles chaque semaine ou presque, comme à tous tes amis, des mails en tous genres, plus marrants et plus gags les uns que les autres, j’ai beaucoup ri grâce à toi et je t’en remercie.
Sauf que la semaine dernière, je n’ai plus ri du tout. Quelqu’un de tes amis, soigneusement anonyme – et pour cause ! –, a balancé – et pas du tout sous forme de gag ou de plaisanterie, aussi grasse serait-elle – une petite cochonnerie sur les immigrés illégaux entrant en France, qui t’aura échappé. Le texte de cette sympathique canaille égrenait un tissus de contre-vérités bien dégueulasses et poujadistes comme on en trouve à foison sur les sites d’extrême-droite français. De la pure propagande du Front National !
Pour qu’on s’en assure, je reproduis ici cette prose suave comme un caniveau avant la pluie. Après avoir complaisamment énuméré ce qu’il en coûte de traverser illégalement des frontières comme celles de la Corée du Nord ou de Cuba (Vivent les dictatures, qui, elles au moins, savent y faire !), voilà ce que, par contraste, écrit ce doux humaniste, sociologue émérite et grand ami du genre humain :
« Traverser la frontière française illégalement permet d’obtenir immédiatement, ou presque [admirez la légère retenue, le délicat scrupule, avant d’ouvrir les vannes], en tous cas AVANT les Français :
– un emploi
– un permis de conduire
– une carte d’assurance sociale
– le bien-être social [ ???? C’est quoi, ce machin-truc ?]
– des cartes de crédit
– un logement subventionné
– l’éducation gratuite
– des soins de santé gratuits
– des médicaments gratuits »
C’est tout ? Oui, c’est tout, fermez le ban.
À se demander pourquoi, face à pareil paradis où les choses leur tomberaient tout cuit dans la bouche, il n’y a pas cent fois plus d’immigrés à fondre sur nos frontières… J’ignorais. C’est trop bien, c’est trop cool ! Je renonce sur le champ à ma nationalité française, je pars faire un footing au Groenland, et au retour, hop, je me fais immigré clandestin. Et à moi la belle vie, demain, à Clichy sous Bois ! D’ailleurs, si l’auteur veut se joindre à mon bonheur, c’est de grand coeur. Ce serait trop bête de ne pas en profiter nous aussi ! Etre français ne doit pas être un handicap, nom d’un chien ! « Le bien-être social », comme il dit, à la portée du premier venu, pourvu qu’il soit clandestin, ce n’est pas le rêve, cela ? Et ce n’est pas compliqué : devenons tous étrangers, devenons tous des clandestins !
Je n’en ferai pas moins remarquer au sympathique auteur de cette affriolante liste qu’elle est dramatiquement incomplète, qu’elle ne pointe que des peccadilles presque, que tous ces immigrés, ces clandestins s’en mettent beaucoup plus Jusque Là, qu’il a oublié, entre autres douceurs pour les passeurs de frontières, les réductions pour boat people Tanger-Gibraltar, Malte-Lampedusa, au Mammouth du coin, la voiture-cadeau clés en main (couleur au choix) pour Afghans ou Kurdes de Calais (« Welcome, les amis ! »), une semaine de vacances au Club Med des Comores pour toute fratrie comorienne, une fois expulsée la famille française d’accueil de sa villa du cap Nègre, un costume Hugo Boss sur mesure pour le jeune frère resté au pays et, en prime, le bonjour du commissaire du quartier. Mais surtout, de façon inexplicable, il a bizarrement oublié… les papiers. Oui, les papiers ! Ne sait-il pas, lui qui recense si minutieusement les avantages gratuits concédés à tous ces clandestins de malheur, qu’on leur délivre séance tenante, au premier contrôle de police dans le métro, en même temps qu’un croissant chaud, un permis de séjour, puis de travail, avec les félicitations du préfet, puis, à la première mairie sur leur chemin, deux fois et demi le RMI pour bien démarrer dans la vie, suivis une semaine plus tard, au plus tard, de la nationalité française en bonne et due forme, avec, là, les félicitations personnelles de Besson, Hortefeux et Sarkozy ? Et encore heureux que Jean-Marie et Marine veillent au grain, sinon, pour un peu, la République, bonne fille, leur refilerait la carte d’Ancien combattant ! Quand on pense qu’il a des dizaines de milliers d’étrangers en France (pas du tout clandestins, ces idiots) qui travaillent (voleurs d’emplois, tout de même !), paient leurs impôts, envoient leurs enfants à l’école (nés en France, ces petits profiteurs !) et qui sont assez bêtes pour attendre dix ans et plus leur régularisation ! Que ne repassent-ils la frontière vite fait bien fait et, déchirant leurs papiers de chiffon, reviennent illico se faire dorloter aux frais de la princesse… L’immigration clandestine ? Un métier d’avenir ! Être sans papiers ? Le futur assuré ! Puisque l’Ami anonyme du genre humain vous l’affirme !
Oui, sa charge anti-clandestins, il faut le dire, est bien légère. Ne serait-il pas, en vérité, un ami caché de ces satanés immigrés clandestins, qu’il feint de dénoncer ? Comment peut-il passer sous silence toutes ces cités de banlieues (Au ban du lieu ? Pas du tout !) si scandaleusement pimpantes et accueillantes, fleuries même, ces satanées villégiatures que sont Clichy sous Bois (mon prochain pied-à-terre d’immigré de l’intérieur, donc ; avec soins gratuits, job prioritaire et tout le bordel), Montfermeil, le Raincy, Vénissieux, les Minguettes à Lyon, la Belle de Mai à Marseille, ces havres cosmopolites de douceur urbaine où il fait si bon être immigré, sans travail et sans papiers, ces cités radieuses aux équipements publics trop nombreux, trop rutilants, avec tous leurs logements si gratuits (oui, oui, je vous assure !), si chauds et si salubres, leurs transports en commun si pratiques, si denses et si « cadencés », avec leurs pandores si peu racistes qu’ils font la chasse exclusivement aux faciès « pâles » ? Comment ne pourfend-il pas tous ces quartiers enchanteurs, hauts en couleurs, que l’Europe nous envie, et dont nous, bons Français, sommes si injustement exclus, avec leur chaude ambiance de chômage new age, de pauvreté exotique et de laboratoire social, où nos sybarites clandestins philosophent du matin au soir, les pieds en éventail, tout en caressant de belles femmes de chez nous ?
D’ailleurs, c’est bien connu, le travail au noir, sous-payé faute de papiers, qui arrange tant certaines maîtresses de maison des Beaux Quartiers et d’ailleurs, sans compter les petits et grands chantiers de France et de Navarre où l’embauchage-débauchage se fait du matin au soir sans tambour ni trompettes, les nuits chaudement entassés les uns sur les autres dans des chambrées collectives chez les marchands de sommeil de Barbès ou de la Porte d’Aix à Marseille, les maladies endémiques faute de soins « gratuits », l’absence de protection sociale (si, si !), les descentes de flics, les expulsions à la tête du client, travail ou pas, et le reste à l’avenant, tout cela, c’est bien connu, est réservé aux Français de souche. Salauds d’immigrés clandestins, oui, si protégés, pétant les privilèges de partout !
Allons, ne soyons plus français, c’est trop injuste, trop inégal, trop galère. Pour être les premiers servis à la table de la France, et jouir sans entraves, faisons-nous immigrés et clandestins, dans notre propre pays !
Voilà, chère Josette, ce que je voulais ajouter à la petite canaillerie de l’Ami anonyme du genre humain. Au fait, n’as-tu pas toi-même été, un certain temps et même un temps certain, immigrée clandestine aux USA, expulsable à merci, avant d’avoir tes papiers ? Ne serait-ce pas là le lot de tout un chacun voulant s’établir dans un nouveau pays pour y chercher un meilleur sort que dans le sien (quelle basse ambition !) ? D’illégal, des années durant, on finit – comme c’est bizarre ! – par devenir légal. Cette fois, c’est la faute aux autorités, au gouvernement. Le monde est drôlement fait, non ?
Je t’embrasse.
Gilles Hertzog
C’est drôle vous ne remettez nullement en question la « liste des avantages ». Comment ce fait-il ? Ce serait donc exact ? Rassurez-moi, ils racontent bien que des conneries ces gens d’extrême droite ?