Le sieur Raoult est, sans conteste, un triste sire, très probablement un parfait béotien, à coup sûr un fieffé réactionnaire, à l’évidence un lèche-cul, à cent pour cent un provocateur, et ne mériterait pour tout cela pas une nano-seconde d’attention pour quelque propos que ce soit que ce parfait Zéro pourrait tenir dans n’importe quelle circonstance de son invisible existence d’hier et de demain. Quelque propos qu’il tienne sur quelque sujet que ce soit, a fortiori sur le « devoir » des écrivains (leur seul, unique devoir étant, qui ne le sait, d’écrire de bons livres), devrait, ipso facto, passer dans la poubelle de ce qui, faute de quoi que ce soit, n’advient jamais à être quelque chose. Que ce Monsieur s’attaque à une écrivaine, qui plus est de la qualité, de la dimension de Marie N’Diaye, ne devrait donc pas créer plus de trouble et de remous qu’un pet à la surface de l’eau. Sauf que si le triste sire est tout ce qui a été dit plus haut, c’est-à-dire nul et non a(d)venu, il est, en revanche, un petit maître ès utilités, fort doué pour jeter – sur commande ? – au moment ad hoc un pavé ad hoc dans la mare. Un pavé un peu trop gros, cependant, pour relever de la connerie et de l’abjection pures et simples. De quoi relève donc la provocation grassouillette du sieur ? Première explication, qu’on ne saurait retenir : comment, Inexistant, exister ? Comment épater sa femme, tenir son voisin du dessous en respect, forcer l’attention de ses copains politiques qui vous tiennent pour rien, du Président lui-même, des étoiles peut-être ? Réponse : le Paf ; la télé, quoi. Problème : la barre médiatique est haute, encore plus haute, toujours plus haute pour un Inexistant. Alors voyons les précédents. Euréka, j’ai trouvé ! Le nec plus ultra, le maestro : Le Pen et son Durafour crématoire. Un pur chef-d’œuvre. Cherchons donc un peu, sur ces augustes traces. Ça y est, j’ai trouvé : à nous, le devoir de réserve de ceux qui n’y sont pas soumis, de la N’Diaye (un Goncourt, cela fera du foin, Coco, pour sûr), et par voie de conséquence des écrivains, des intellos et tutti quanti. C’est du n’importe quoi, mais c’est précisément pour cela que cela peut, peut-être, marcher.
Bingo ! La plaine médiatique prend feu. Tout le milieu littéraire fonce tête baissée sur le gugusse. L’Inexistant connaît l’orgasme, épate sa femme, son voisin, (voir plus haut).
Sauf qu’en politique plus encore qu’ailleurs, un train peut en cacher un autre, et que l’art de créer des fausses fenêtres est le b.a.ba du métier. Quel est donc ce second train que le premier est censé (mal) cacher ? Mais d’abord qui envoyer au feu ? Un politique de quelque envergure et quelque avenir ne se risquera pas à le compromettre par une sortie trop crasse et trop voyante. Aussi cherchons un troisième, un quatrième couteau qui n’a jamais eu d’avenir et sera trop content, contre un peu d’avoine et quelques caresses à l’encolure, de rendre service aux Existants. Ce fut Raoult, pour sa plus grande extase et sa plus grande gloire, à qui il revint de jouer les matamores, avant de retourner demain à son Inexistence.
Le deuxième train, maintenant. Croyez-vous vraiment, naïfs que vous êtes, que les propos d’un écrivain quel qu’il soit auraient le moindre pouvoir d’interpeler qui que ce soit à droite ? Ce serait trop bien, et trop d’honneur ! La vérité toute nue est que du côté de chez Raoult et tutti quanti, on se moque de la littérature, des écrivains, des intellos et du reste comme de sa première chemise, et que les propos de Marie N’Diaye dans un journal, Les Inrocks, dont ces messieurs ignorent jusqu’au titre, ne sont jamais, au grand jamais, arrivés à l’époque à la moindre oreille raoultienne ou autre, et que, leur seraient-ils par on ne sait quel hasard tombés sous les yeux, ils s’en seraient royalement foutus. Marie N’Diaye, combien de divisions ? Zéro. Sauf qu’il fallait pour les futurs besoins de la cause se donner quelque munition d’avance, et que par un heureux hasard ou un bon coup d’Internet (on voit d’ici le type qui, le Goncourt venant, a balayé la Toile sur les lauréats potentiels, jusqu’à trouver son miel), on est tombé sur la « perle » désirée (perle, dans une optique de droite, bien sûr). Mis en réserve, les propos de Marie N’Diaye furent ressortis, une fois le Goncourt obtenu, avec un effet « max ». Ne l’eût-elle pas emporté qu’on n’en aurait jamais entendu reparler.
Revenons à cette chose que ce rideau de fumée est venu, à point, dissimuler, et qui, de fait, n’a pas provoqué, de très loin, les vagues redoutées. Les jours précédant immédiatement le pavé de l’Inexistant, il fut annoncé – le moins fort possible – que 60.000 caméras de vidéosurveillance seraient installées un peu partout en France. À peine les premières réactions se faisaient-elles entendre, que le sieur Raoult sortait l’artillerie de l’autre côté du champ de tir. Que pensez-vous qui menace le plus nos libertés : les propos d’un jour d’un Inexistant ou les 60.000 micro-Raoult automatisés, permanents et tous azimuts qui vont tous nous fliquer dans nos rues en avant-garde de milliers d’autres ? (En Grande-Bretagne, on en est à 300.000 caméras, et pas, on l’imagine bien, dans les seuls aéroports, gares, banques et autres endroits sensibles, mais jusque dans les moindres rues de la paisible Albion).
Bref, l’Inexistant a fait son travail, la diversion a joué à plein. Le flic était à l’affût dans la rue, il n’était pas à vouloir brûler les livres. Big Brother n’est forcément le con qu’on pense.
Les femmes qui lisent sont dangereuses…
Quelle différence, tout de même, d’une année sur l’autre, quant au battage médiatique entourant les lauréats et les romans du célébrissime Goncourt…
Il y a les pavés dans les mares, lorsque de bienveillantes et terrifiantes ombres brunes surgissent au détour de la sélection ; d’autres s’en vont dès minuit, ou passent trois jours chez leur mère, discrets et légers comme pouvait être une soirée à Apostrophes, au temps du Grand Bernard, avant qu’il ne se mette uniquement en tête des règles d’orthographes et ne se prenne pour Maître Capello…
D’autres enfin partent en voyage immobile, traversent l’Atlantique en direction de l’Alabama, ou le Rhin pour rencontrer une maîtresse de Brecht, quand ils ne se changent pas en pierres, patientes et invisibles, telles ombres errantes.
L’année 2009 aura marqué une sorte de révolution copernicienne dans le monde des Lettres : une femme, et noire, qui plus est, vient de remporter le Goncourt. Et c’est assez grisant, somme toute, puisque la littérature n’est pas mieux lotie que n’importe quel autre champ social quant à l’égalité des sexes…
Mais le succès de Marie Ndiaye a été de courte durée : certes, les médias lui firent la fête une petite journée, éblouis par la grâce et la prestance intellectuelle de princesse des mots cumulant le physique de RamaYade et l’intelligence d’Obama.
Hélas, Claude Lévi- Strauss eut la mauvaise idée de disparaître juste après cette attribution de prix, et les « nécros » se succédèrent à un rythme trépidant, puisque ces tristes tropiques là parurent soudain bien plus importants que l’attribution du plus prestigieux prix littéraire français à une femme…Et, ironie de l’histoire pour notre auteure, qui vit à Berlin, sa récente gloire continua d’être éclipsée par un autre événement médiatique d’importance : la commémoration de la chute du Mur !
La « chienne de garde » qui sommeille en moi, prête à se réveiller non pas à la moindre apparition d’Isabelle Alonso chez Ruquier, mais lorsque l’on porte atteinte à la liberté des femmes, avait intérieurement bondi au vu de cette injustice crasse ; annonce de l’attribution du Prix, petit rappel historique soulignant l’importance de la féminisation du Goncourt, quelques interviews de l’heureuse élue, et puis…plus rien, vite, si vite, alors que la moindre frasque de notre Ministre de la Culture est étalée de longs jours durant, aussi ennuyeuse qu’un travelling dans les appartements de Loft Story.
Ce silence me dérangea.
C’était, comment vous dire, à mon sens, un peu comme Marie Curie évincée par son Pierre, ou comme Camille volée par Rodin. Oui, l’annonce faite à Marie se perdit dans les limbes médiatiques…
Alors comme lui en vouloir, à notre princesse des bruyères berlinoises-« Erika » signifie « bruyère, et d’immenses landes entourent la capitale teutonne !-, comment lui en vouloir, si, par hasard ou par miracle, l’un de ses bons mots fait soudain office de bombe à retardement, lorsque des journalistes déterrent une lointaine déclaration quant à son « exil » politique ?
Car s’il est de bon ton de déserter notre territoire national pour aller vendre des lunettes en Suisse, il est apparemment bien moins toléré de déclarer que l’on a sciemment quitté les Champs pour préférer le Kudamm…
Et nos politiques de redécouvrir l’actualité littéraire, la venue à Paname de notre chancelière préférée ayant enfin clos les festivités autour de l’anniversaire de la chute du Mur, et l’Hymne à la joie ayant définitivement enterré les haches de guerres entre les deux Grands Voisins : la page de l’Europe étant tournée, il est temps de revenir à nos préoccupations franco françaises, à notre identité, et aux déclarations de nos « people ». Marie Ndiaye existait, c’est étrange, mais c’est prouvé, avant même sa célébrité automnale, et elle avait osé s’exprimer…
C’est ainsi qu’un député UMP se découvre une passion pour la lecture qui bat l’amble avec des velléités de censure, et qu’il confond le statut de Prix Goncourt avec celui d’une Miss France. Il ne manque plus à Monsieur Eric Raoult que le chapeau, le voilà qui veille sur ses ouailles littéraires comme Madame de Fontenay sur ses belles.
Mais Marie Ndiaye n’est pas une patate, loin de là !
Et je trouve personnellement qu’il n’est que justice que l’on s’intéresse enfin à son cas. Pourtant, il paraîtrait ce soir que les hautes autorités de la Culture ont fait vœu de silence à son sujet…Il est vrai qu’il est tellement plus intéressant de défendre l’innommable et de proclamer innocentes les mains pleines de films de certains héros de notre société sans dessus dessous…Notre culture, je crois, boit le bouillon…
Et le bal des mots dits se perd dans la valse à mille temps des inepties politiques, des censeurs et des dérapages.
Il faut lire Marie, et non pas écouter les journalistes déterrer les chiens écrasés.
Bravo, Marie ! Continuez à écrire, à parler, à faire parler de vous, de nous. Vous êtes, vous aussi, une femme puissante.
Madame Rama Yade déclara un jour : « Je ne me lève pas tous les matins en me disant que je suis noire et musulmane. »
Je voudrais, Madame Marie Ndiaye, que vous continuiez à vous lever tous les matins en nous prouvant que vous êtes une femme noire qui écrit merveilleusement bien.
Les femmes qui lisent sont dangereuses. Celles qui écrivent, aussi.